Rahabi sur la Constitution : «Le système bicaméral reproduira à terme les mêmes réflexes»
Par Mounir Serraï – L’ancien ministre Abdelaziz Rahabi apporte quelques remarques critiques quant à la mouture du projet de révision de la Constitution qui devrait être soumis à un référendum d’ici octobre prochain. Dans un texte portant ses propositions remises au président de la République, cet ancien ambassadeur considère que globalement les rédacteurs de ce texte ont adopté la méthode empirique, en raison de l’indigence de la tradition constitutionnelle chez nous et, probablement aussi, en raison du manque de visibilité et de la singularité de la méthode de révision de la Constitution.
«Ils semblent avoir inscrit leur démarche dans une logique de préservation des équilibres des pouvoirs qui gouvernent le pays, tout en veillant à ne pas négliger les revendications populaires», ajoute-t-il, considérant ainsi que cela donne le sentiment de la recherche à tout prix d’un texte consensuel comme si «le consensus» avait la vertu de l’équilibre et de la pérennité dont seules la liberté et la justice peuvent s’en prévaloir. Il estime qu’actuellement, à défaut d’un Etat de droit qui organise les rapports entre les citoyens et leur Etat, nous assistons à «une situation de formatage des esprits par le foisonnement d’idéologies décalées, souvent télé-importées, qui ont fait des nationaux des relais et le pays un champ d’expérimentation et de confrontation de stratégies étrangères».
«L’inopérance de notre ordre institutionnel construit autour de la figure tutélaire du chef de l’Etat a fait qu’en février 2019 la crise du pouvoir présidentiel s’est transformée en celle du pays. Paradoxalement, et contrairement à l’effet attendu, la forte concentration du pouvoir politique, économique et administratif à son niveau est devenue alors la cause principale des dysfonctionnements de l’Etat et de la paralysie des institutions», souligne-t-il.
Pour Abdelaziz Rahabi, qui a toujours défendu l’idée de donner du temps aux Algériens pour se réorganiser politiquement à la faveur du Mouvement du 22 février 2019 afin d’élargir la base démocratique du pays, ce texte maintient ainsi la flou institutionnel en gardant le système semi-présidentiel.
Il assure que la sortie inéluctable de la «légitimé historique» doit céder la place à celle des urnes et des connaissances qui font les grandes nations. Rahabi critique également le point relatif à la création d’un poste de vice-président.
«Le président de la République est en droit de désigner un vice-président s’il l’estime nécessaire, comme ses prédécesseurs l’avaient envisagé. Cette hypothèse est évoquée depuis 1963, et parfois même prévue, revient à chaque révision de la Constitution avec l’arrière-pensée d’organiser la succession du chef de l’Etat dans des conditions normales ou en temps de crise, sans passer par les urnes», relève-t-il avant d’enchaîner en considérant qu’une telle «disposition qui ne déroge pas à la tradition nationale en la matière décrédibilise toute l’architecture du texte et déprécie son esprit et ne participe pas à la réforme annoncée».
Aussi insiste-t-il sur l’indépendance de la justice qui ne pourrait, selon lui, «être effective qu’une fois le Conseil supérieur de la magistrature n’est considéré ni comme un prolongement de l’Exécutif ni comme un Syndicat de magistrats mais comme une autorité au service de la loi et du justiciable».
Sur un autre registre, Rahabi appelle à la suppression du Conseil de la nation, qu’il qualifie d’«institution budgétivore et inutile, créée pour répondre à un besoin ponctuel en rapport avec la crise politico-sécuritaire des années quatre-vingt-dix». Son maintien, estime-t-il, «ne semble pas participer d’un esprit d’équilibre des pouvoirs, ni de rationalisation des dépenses budgétaires».
«Le système bicaméral adossé à un régime semi-présidentiel rigide reproduira à terme les réflexes qui ont fait la fragilité de l’ordre institutionnel algérien qui a pris les réflexes qui ont fait la fragilité de l’ordre institutionnel algérien qui a cédé au mimétisme et qui n’a tiré que la forme du modèle des nations avancées», prévient-il.
Sur la nouvelle doctrine militaire, Rahabi estime qu’il est important que les choses se fassent dans la transparence et sous le contrôle du peuple. Pour lui, il y a une nouvelle réalité géopolitique du pays qui confère, certes, des atouts mais réclame notamment, en raison du caractère transfrontalier des nouvelles menaces, une adaptation à de nouvelles missions de participation des troupes militaires dans des opérations humanitaires, d’observation et de paix qui ne sont pas prévues explicitement dans notre ordre constitutionnel.
«Ces opérations, du fait d’être soumises à la satisfaction au préalable institutionnel interne contraignant et à un mandat de l’Organisation des Nations unies, de l’Union africaine ou de la Ligue des Etats Aarabes, consacrent le principe du contrôle populaire sur les actions des forces armées hors des frontières nationales», soutient-il, affirmant ainsi que «cette opportunité permettra également à nos forces d’apprendre, de s’adapter et de participer activement à des situations de gestion des crises, au maintien de la paix et à la sécurité régionale et internationale et à mieux accompagner ainsi notre politique extérieure».
M. S.
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