Sacrifice de l’Aïd : une fetwa à contre-courant des mesures barrières
Par Mounir Serraï – La fetwa émise par le ministère des Affaires religieuses sur le sacrifice de la fête de l’Aïd El-Adha a été vivement critiquée. Au moment où les gens attendaient des annonces fortes allant dans le sens du renforcement de la lutte contre le coronavirus qui continue de semer la mort sur son chemin, la commission des Affaires religieuses s’est contentée de mesures de sensibilisation pour limiter le risque d’aggravation de la propagation du virus.
De la désinfection impérative du matériel d’égorgement et d’écorchage en évitant leur échange ou emprunt à la réduction du nombre de participants à l’opération du sacrifice, en passant par la possibilité d’effectuer le sacrifice le deuxième, voire le troisième jour de l’Aïd El-Adha, la commission des fetwas s’est donc limitée à une série de recommandations et de préconisations pour ce rendez-vous sacrificiel maintenu malgré tous les risques de contagion.
Pour de nombreux commentateurs, la fetwa du ministère des Affaires religieuses va à contre-courant des mesures barrières édictées par le gouvernement, dans le sens où il est quasiment impossible d’empêcher des rassemblements et des regroupements au moment du sacrifice.
«C’est du n’importe quoi !» affirme un internaute. Un autre voit derrière la position de la commission des Affaires religieuses la pression des maquignons et des éleveurs de moutons qui réalisent l’essentiel de leur chiffre d’affaires durant cette fête où plus de 4 millions de têtes de moutons sont sacrifiés. Pourtant, la commission des fetwas a rencontré le comité scientifique qui a émis un avis opposé au maintien du sacrifice de l’Aïd en insistant sur le risque élevé de contamination durant cette période.
Mais l’avis des scientifiques n’est pas prédominant dans la gestion de cette crise sanitaire inédite. D’autres considérations entrent en jeu, estiment des commentateurs sur les réseaux sociaux. «Ne pas voir derrière cette commission l’ombre et la pression des maquignons qui veulent à tout prix maintenir leur commerce est quelque peu déconcertant. Depuis la «zaâka» haram des moutons d’Australie (décrétée pour casser la concurrence), on sait ce que valent les décisions de ces religieux», dénonce un autre internaute qui relève au passage « l’irresponsabilité d’un pouvoir qui ne veut pas assumer son rôle».
Ainsi, si le couvre-feu n’est jamais respecté, comment les recommandations d’une commission des Affaires religieuses peuvent-elles être suivies et appliquées ? Il est bien clair que beaucoup d’Algériens vont célébrer cette fête religieuse comme ils ont l’habitude de le faire. Car jamais les campagnes de sensibilisation, fussent-elles tapageuses comme celle relative à la préservation et la collecte de la peau du mouton, n’ont été écoutées et suivies.
Demander ainsi aux Algériens de faire le rituel du sacrifice au deuxième ou au troisième jour de l’Aïd est aussi un non-sens. Dans de pareilles situations, estiment beaucoup d’internautes, l’Etat à travers ses démembrements doit prendre les mesures qui s’imposent sur avis du comité scientifique. Les autorités auraient pu interdire la vente des moutons et exiger leur vente égorgés dans les abattoirs. Dans des pays comme l’Arabie Saoudite ou les Emirats arabes unis, les citoyens achètent leur mouton de l’Aïd égorgé sur Internet auprès des abattoirs et se font livrer à la maison. Chez nous, le gros du sacrifice de l’Aïd se fait dans les cités, sur la route ou les trottoirs sans la moindre condition d’hygiène, ni de sécurité.
Compter exclusivement sur le citoyen pour appliquer les mesures barrières, c’est faire preuve de naïveté, voire d’irresponsabilité lorsque l’on sait que les mesures édictées par le gouvernement ne sont jamais respectées. Et, selon de nombreux spécialistes, c’est ce non-respect de la distanciation sociale, du port de la bavette et autres mesures d’hygiène des mains qui a fait exploser le nombre de cas au niveau national. Il est ainsi à craindre que le nombre de contaminations va atteindre des seuils vertigineux après le sacrifice de l’Aïd. Une aggravation de la situation compromettrait la rentrée sociale et la reprise de l’école. L’Etat, pour de nombreux internautes, doit assumer ses responsabilités en cessant de faire preuve d’hésitation et d’improvisation.
M. S.
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