Sonatrach versus Haliburton : trois fois plus d’effectifs, six fois moins de profits
Par Mounir Serraï – La réorganisation des deux groupes les plus névralgiques du pays, Sonatrach et Sonelgaz, constitue un axe primordial dans la relance et la dynamisation du secteur de l’énergie, a assuré le ministre du secteur, Abdelmadjid Attar. Sonelgaz est financièrement à genoux. Sans l’aide de l’Etat, cette entreprise aurait déjà déposé le bilan. Sonatrach a, certes, moins de problèmes financiers en raison du monopole qu’elle exerce sur le secteur, mais elle reste loin de la performance managériale d’un groupe pétrolier de son envergure.
Abdelmadjid Attar compte beaucoup sur le groupe Sonatrach. Mais il est impératif de mener des réformes qui permettraient à cette société nationale de se hisser aux standards d’un groupe pétrolier en étant plus performante et plus rentable. Car, actuellement, son bilan est loin d’être satisfaisant. Bien au contraire. Attar estime, ainsi, que Sonatrach «s’occupe de ce qui ne la regarde pas». Ce groupe doit impérativement réduire ses coûts de fonctionnement et d’exploitation qui demeurent au-dessus de la moyenne mondiale. Pour être compétitive, la firme doit subir une véritable mue, une réorganisation totale et une réduction des effectifs pléthoriques. C’est aussi le même constat pour Sonelgaz qui emploie plus de 91 000 travailleurs contre, à titre indicatif, un effectif inférieur à 70 000 chez le groupe français EDF, pourtant présent dans de nombreux pays européens.
Sonatrach emploie plus de 180 000 personnes, alors que des sociétés pétrolières cinq fois plus grandes fonctionnent avec des effectifs bien moins importants. Haliburton, au chiffre d’affaires de 240 milliards de dollars en 2019, n’emploie que 55 000 personnes. BP, au chiffre d’affaires de 128 milliards de dollars en 2019, ne compte que 73 000 employés. Avec un chiffre d’affaires de 39 milliards de dollars en 2018, Sonatrach dispose de plus que le double de l’effectif de BP et du triple d’Haliburton.
Pour transformer ce groupe et le hisser au niveau des standards internationaux en matière de fonctionnement et de management, il faudra se séparer d’une bonne partie de son effectif qui, d’un point de vue technico-économique, ne sert absolument à rien. Abdelmadjid Attar pourra-t-il agir sur ce point crucial lorsqu’on connaît le fonctionnement de ce groupe et comment a été recruté cet effectif pléthorique ? C’est presque une mission impossible pour le ministre, en ce sens qu’il y a tellement d’intervenants, de lobbies et de réseaux puissants au sein de l’appareil de l’Etat qui sont liés à une bonne partie des salariés qu’il est difficile de mener une telle opération sans qu’il y ait de fortes résistances.
Or, cette étape est primordiale dans la refonte du groupe. Idem pour Sonelgaz. Il n’y a qu’à voir Air Algérie qui, elle aussi, souffre depuis de très longues années d’une pléthore d’effectifs pour conclure qu’il s’agit d’une mission impossible pour Attar. Air Algérie a tenté plusieurs fois de réduire le nombre de travailleurs qui dépasse les 9 000, mais en vain. Les syndicats très puissants au sein de cette compagnie ont fait échouer tous les plans sociaux. A Sonatrach, les syndicats sont encore plus puissants. Tout plan social sera difficile à engager, d’autant que le groupe est confronté, depuis de longues années, au problème de la fuite des compétences qui sont attirées par des postes mieux rémunérés, notamment dans les pays du Golfe. Au courant de ces cinq dernières années, le groupe a perdu plus de 10 000 cadres. Pour arrêter cette saignée, il faudra revoir tout le système de rémunération du groupe. Pour pouvoir le redresser et le renforcer, il est impératif de procéder à une totale mutation dans la politique managériale, qui est jusqu’à présent dictée par l’Etat propriétaire, loin des notions de gestion rationnelle de l’entreprise. Il faudra que Sonatrach innove, modernise sa gestion, développe ses métiers de base et s’oriente vers des activités du futur, telles que le solaire et le biocarburant.
Abdelmadjid Attar pourra-t-il faire mieux que ses prédécesseurs ? La mission paraît extrêmement complexe. Sans un véritable soutien au plus haut sommet de l’Etat, il finira comme tous les autres ministres qui ont su faire le diagnostic sans avoir pu appliquer la thérapie.
M. S.
Comment (24)