Réseaux sociaux : un journaliste italien démasque les «ingénieurs du chaos»
Par Kamel M. – L’écrivain et journaliste italien Giuliano da Empoli explique, dans un livre intitulé Les Ingénieurs du chaos, paru aux éditons JCLattès en mars 2019, comment ces derniers (les ingénieurs du chaos) «sont en train de réinventer une propagande adaptée à l’ère des selfies et des réseaux sociaux et, ce faisant, ils transforment la nature même du jeu démocratique». «Leur action est la traduction politique de Facebook et Google», écrit-il.
Le président de Volta, un think tank basé à Milan, précise que cette action «est naturellement populiste car, comme les réseaux sociaux, elle ne supporte aucun type d’intermédiation et place tout le monde sur le même plan, avec un seul paramètre de jugement : les like». «Elle est indifférente aux contenus parce que, comme les réseaux sociaux, elle a un seul objectif : celui que les petits génies de la Silicon Valley appellent engagement et qui, en politique, signifie adhésion immédiate.» «Si l’algorithme des réseaux sociaux est programmé pour offrir à l’utilisateur n’importe quel contenu susceptible de l’attirer un peu plus souvent et un peu plus longuement sur la plateforme, l’algorithme des ingénieurs du chaos les pousse à soutenir n’importe quelle position, raisonnable ou absurde, réaliste ou intergalactique, à condition qu’elle intercepte les aspirations et les peurs – surtout les peurs – des électeurs», souligne le journaliste et écrivain.
«Pour les nouveaux docteurs Folamour de la politique, le jeu ne consiste plus à unir les gens autour du plus petit dénominateur commun mais, au contraire, à enflammer les passions du plus grand nombre possible de groupuscules pour, ensuite, les additionner, même à leur insu», relève-t-il, en ajoutant que «pour conquérir une majorité, ils ne vont pas converger vers le centre, mais joindre les extrêmes». «En cultivant la colère de chacun sans se préoccuper de la cohérence de l’ensemble, l’algorithme des ingénieurs du chaos dilue les anciennes barrières idéologiques et réarticule le conflit politique sur la base d’une simple opposition entre le peuple et les élites», précise-t-il.
«Comme les réseaux sociaux, fait remarquer Giuliano da Empoli, la nouvelle propagande se nourrit principalement d’émotions négatives car ce sont celles qui garantissent la plus grande participation, d’où le succès des fake news et des théories du complot». «Mais elle possède aussi un côté festif et libératoire, trop souvent méconnu de ceux qui mettent uniquement l’accent sur la partie obscure du carnaval populiste», estime-t-il, en expliquant que «la dérision est, depuis toujours, l’instrument le plus efficace pour renverser les hiérarchies».
«La vie n’est pas faite que de droits et de devoirs, de chiffres à respecter et de formulaires à remplir. Le nouveau carnaval ne cadre pas avec le sens commun, mais il a sa propre logique, plus proche de celle du théâtre que de la salle de classe, plus avide de corps et d’images que de textes et d’idées, plus concentrée sur l’intensité narrative que sur l’exactitude des faits. Une raison, certes, très lointaine des abstractions cartésiennes, mais pas non plus privée d’une cohérence inattendue, en particulier en ce qui concerne sa manière systématique de renverser les normes consolidées pour en affirmer d’autres de signe opposé», écrit le journaliste italien, selon lequel «derrière l’apparente absurdité des fake news et des théories du complot se cache une logique bien solide», à savoir que «les vérités alternatives ne sont pas un simple instrument de propagande [mais] constituent un formidable vecteur de cohésion».
«Aujourd’hui, l’irruption d’Internet et des réseaux sociaux en politique change encore une fois les règles du jeu et, paradoxalement, tout en se fondant sur des calculs de plus en plus sophistiqués, elle risque de produire des effets toujours plus imprévisibles et irrationnels», note Giuliano da Empoli qui relève qu’«interpréter cette transformation requiert un véritable changement de paradigme». Il affirme, catégorique : «Les forces modérées, progressistes et libérales continueront de reculer tant qu’elles ne parviendront pas à proposer une vision motivante du futur.»
Un état de fait qui rappelle la situation actuelle en Algérie où les ingénieurs du chaos sévissent depuis des capitales étrangères et tentent de mettre le pays à feu et à sang. En vain. Du moins, pour le moment.
K. M.
Comment (5)