Soutien des dirigeants français à Israël : résolution Maillard, assimilant antisionisme et antisémitisme
Par Boualem Snaoui – Dans le long processus de soutien qu’apportent les dirigeants français, depuis des dizaines d’années, aux politiques des gouvernements successifs israéliens, une étape importante a été franchie le mardi 3 décembre 2019, avec le vote à l’Assemblée nationale d’une résolution, déposée par le député La République En Marche (LREM) Sylvain Maillard, et soutenue par le gouvernement, assimilant toute critique à l’égard de l’Etat d’Israël à de l’antisémitisme. L’objet de ce texte ? Affirmer que l’antisionisme est l’une des formes de l’antisémitisme.
C’est dans un hémicycle clairsemé que cette résolution avait été discutée puis soumise au vote. Sur un total de 577 députés, 269 seulement avaient participé au vote. Le reste des représentant du peuple de France avait choisi la formule «courage, fuyons !». Au final, la résolution a bel et bien été votée par 154 voix favorables, 72 voix contre, et 43 abstentions.
Avec l’approbation de cette résolution par l’Assemblée nationale, en dépit de l’opposition d’un collectif de 39 associations françaises et de fortes réserves émises, y compris par la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), la France confortait l’appui qu’elle apporte à la politique israélienne, politique balayant la moindre lueur de respect du droit international.
En répondant à Emmanuel Macron, président de la République, qui avait affirmé : «Nous ne céderons rien à l’antisionisme, car c’est la forme réinventée de l’antisémitisme», Dominique Vidal a contribué en très grande partie à décrédibiliser cette posture de criminalisation des opinions, notamment à travers son ouvrage intitulé Antisionisme = antisémitisme ? Réponse à Emmanuel Macron (Libertalia). Il écrit : «L’antisémitisme est un délit, puni comme tous les racismes, par les lois françaises. L’antisionisme est une opinion que chacun est libre d’approuver ou non».
Un appel émanant de 125 universitaires juifs, et relayé par la LDH, avait été adressé aux députés français, leur demandant de ne pas voter ce texte controversé. Ils précisaient que leurs opinions sur le sionisme peuvent être diverses, mais que tous pensent, y compris ceux qui se considèrent comme sionistes, que l’association de l’antisionisme et de l’antisémitisme est fondamentalement fausse.
A force de manœuvre lexicale, les politiques souvent accompagnés et appuyés d’idéologues engagés, ont réussi à travestir le sens des mots antisémitisme, sionisme et antisionisme, ouvrant la voie à la validation de la poursuite de la colonisation de la Palestine et de son peuple. Par la même occasion, il est généré une catégorisation de «juifs antisémites» et de «sionistes antisémites», par le simple fait d’être opposés aux politiques israéliennes.
Qu’il y ait un débat public contradictoire sur les idéologies, y compris le sionisme, nous ne pouvons que nous en féliciter, et nous avons même le devoir de l’encourager. En revanche, user de l’arme législative pour museler toutes les formes de critiques vis-à-vis de l’Etat d’Israël et de sa politique criminelle (crimes de guerre, voire crimes contre l’humanité, in rapport Goldstone et rapport Falk), cela parait relever davantage d’une légalisation du «délit d’opinion» et d’un soutien à peine voilé aux dirigeants successifs israéliens.
A travers ces quelques réactions, on ne peut que déduire que le vote de cette résolution n’avait pas pour objectif sincère la lutte contre l’antisémitisme, puisqu’il est contredit par la CNCDH et des personnalités que l’on ne peut soupçonner d’appartenir au courant «antisémite». Il s’agit donc bien d’une affirmation encore plus forte des dirigeants français de soutenir la politique coloniale israélienne, sous couvert de lutte contre l’antisémitisme. Dans leur élan, ces responsables politiques ne se rendent peut-être même pas compte qu’ils participent non seulement au rétrécissement du maigre champ de liberté d’opinion qu’il nous reste, mais aussi à la diffusion de l’idée que la lutte antiraciste est sélective, avec comme conséquence immédiate la propagation de l’antisémitisme.
Si cette résolution hautement problématique, votée par le Parlement français, est non contraignante pour le moment, rien n’interdit sa légalisation définitive par la classe politique. En l’état, cette initiative incongrue – qui conduit une instance politique, le Parlement représentant le peuple de France, à prendre parti dans un débat philosophique et notamment en faveur du sionisme –, constitue un véritable et dangereux outil d’intimidation vis-à-vis des élus locaux (des collectivités locales), des intellectuels, des militants et leurs organisations, qui oseraient exprimer publiquement une quelconque forme de solidarité avec les Palestiniens. C’est aussi un avertissement aux camarades israéliens de la lutte anticoloniale, aux refuzniks, aux «anarchistes contre le Mur», au «Comité israélien contre les démolitions des maisons», B’Tselem, association des droits de l’Homme, à Zochrot, qui entretient la mémoire des villages palestiniens effacés de la carte, à la Coalition des femmes pour la paix, aux Femmes en noir, à l’Association israélienne et palestinienne des familles endeuillées pour la paix, à Michel Warschawski et son centre Alternative Information Center, aux historiens Ilan Pappé et Shlomo Sand, et à tous ceux qui se battent pour le droit et la justice de l’autre côté du mur.
Voilà donc une malheureuse initiative supplémentaire, qui encourage les politiques coloniales engagées par Israël, dont la stratégie adoptée, totalement contraire au principe du droit international à plusieurs égards, rappelle la mise en place des «réserves indiennes» et la politique de «nettoyage ethnique». Le programme actuel du gouvernement d’extrême-droite de l’Union nationale israélienne prévoit déjà d’annexer la Vallée du Jourdain et les colonies juives de Cisjordanie. Un véritable gruyère totalement sous contrôle israélien. Que restera-t-il alors de la Palestine reconnue par les instances internationales ?
Face à ce processus de destruction programmé des populations palestiniennes, l’idée qui se répand est la création d’un Etat unique Palestine-Israël. Eric Hazan et Elya Sivan l’exposent avec beaucoup de pertinence dans leur ouvrage Un Etat commun entre le Jourdain et la mer, paru aux éditons La Fabrique. Il faut dire que cette vision n’est pas récente, puisque déjà en octobre 1947, alors que le statut de la Palestine était encore en discussion à l’ONU, Hannah Arendt prit la parole devant la commission internationale chargée d’éclairer l’Assemblée générale, et plaida en faveur d’une fédération, d’un Etat binational sur le territoire de la Palestine mandataire. Cette perspective se heurte à trois problématiques essentielles. La première est qu’elle tend à se substituer aux citoyens palestiniens et aux citoyens israéliens, tout en n’offrant aucune garantie sur la viabilité du projet. La seconde problématique relève de l’acceptation de voir bafouer le droit international, qui mobilise toutes les énergies depuis de nombreuses années, et de voir triompher, non pas les droits de l’Homme, mais ceux des plus fort. On participera de fait à la liquidation de la notion de «droit». La troisième problématique est liée à la loi sur «l’Etat-nation» adoptée le 19 juillet 2018, qui ne reconnaît le droit à l’autodétermination qu’aux juifs – «Israël est l’Etat-nation du peuple juif dans lequel il réalise son droit naturel, culturel, historique et religieux à l’autodétermination».
En assimilant la critique antisioniste à de l’antisémitisme, les partisans de la résolution Maillard répondent aux vœux de dirigeants israéliens qui excluent de la pleine citoyenneté plus de 20% de la population israélienne (non-juive) et se fondent sur l’expansion coloniale permanente. Toute idée contraire, comme par exemple celle d’instaurer une paix durable à travers la création d’un Etat unique, garantissant la pleine égalité des droits entre Israéliens et Palestiniens – sans considération d’appartenance religieuse, ethnique ou culturelle – devient-elle antisémite dès lors qu’elle est parfaitement incompatible avec la loi fondamentale suprémaciste et discriminatoire de l’Etat – nation en vigueur aujourd’hui ?
Hannah Arendt, qui plaida en faveur d’une fédération, d’un Etat binational, sur le territoire de la Palestine mandataire devant la commission internationale chargée d’éclairer l’Assemblée générale, quand le statut de la Palestine était encore en discussion à l’ONU en octobre 1947, pourrait-elle être soupçonnée de propager ou d’encourager l’antisémitisme ? Pour MM. Netanyahu et Benett, il n’y aurait pas de doutes. Et pour MM. Maillard et Macron ? Faudrait-il leur offrir l’ouvrage paru aux éditions Fayard en 2008, Vaincre Hitler, d’Avraham Burg, ancien président de la Knesset, ancien président de l’agence juive et ancien président de l’Organisation sioniste mondiale ? Je laisse le lecteur découvrir la dernière déclaration d’Avraham Burg :
https://theworldnews.net/fr-news/avraham-burg-ancien-president-de-la-knesset-la-meme-politique-que-celle-engagee-contre-la-russie-envahissant-la-crimee-doit-etre-appliquee-a-israel
Stéphane Hessel, d’origine juive, résistant de la première heure, déporté dans les camps nazis de Buchenwald, Rottleberode et Dora, ambassadeur de France, l’un des rédacteurs de la Charte des droits de l’Homme de 1948, serait-il lui aussi «antisémite» pour le fait de soutenir la juste lutte du peuple palestinien ? Certains ont déjà répondu.
B. S.
L’Assemblée nationale vote un texte qui assimile l’antisionisme à l’antisémitisme
https://mrap.fr/l-assemblee-nationale-adopte-la-resolution-assimilant-l-antisionisme-et-l-antisemitisme
https://www.marianne.net/debattons/billets/pourquoi-assimiler-l-antisionisme-l-antisemitisme-est-inepte-et-dangereux
https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/12/02/appel-de-127-universitaires-juifs-aux-deputes-francais-ne-soutenez-pas-la-proposition-de-resolution-assimilant-l-antisionisme-a-l-antisemitisme_6021348_3232.html
Comment (14)