La fille de Sadate : «Mon père dormait quand Boumediene payait nos armes»
Par Kamel M.– La fille de l’ancien président égyptien Anouar Sadate a fait plusieurs révélations sur la contribution de l’Algérie à la guerre israélo-arabe de 1973, avant sa disparition en janvier 2019. «La victoire de la guerre [d’Octobre] s’appuie sur deux dirigeants : le roi Fayçal d’Arabie Saoudite et le président algérien Houari Boumediene», a affirmé le successeur de Jamal Abdennasser à son proche entourage. La fille de l’ancien raïs égyptien, assassiné en 1981, raconte que son père a reçu un appel de feu Houari Boumediene le 4 octobre. Au cours de l’entretien, le président algérien demandait à son homologue égyptien s’ils étaient «prêts». Sadate répondit par la négative, car les Russes, lui-a-t-il expliqué, devaient leur fournir les armements mais ont refusé de les troquer contre le coton, comme ils avaient l’habitude de le faire auparavant. «Cette fois-ci, ils exigent du cash !» avait dit Anwar Sadate à son interlocuteur.
La fille de l’ancien président égyptien poursuit son récit en confiant que Houari Boumediene a demandé combien allait coûter la transaction. Anwar Sadate a répondu qu’il avait besoin de 100 millions de dollars, une somme pharamineuse à l’époque. Puis elle explique qu’alors que son père dormait, il reçut un appel téléphonique de Houari Boumediene pour l’informer qu’il se trouvait à Moscou, qu’il avait réussi à réunir la somme demandée et qu’il avait reçu l’accord des Russes pour débloquer la commande, et pour lui demander de lui spécifier les types d’armements dont l’armée égyptienne avait besoin. Anwar Sadate n’ayant pas la liste à sa disposition, Houari Boumediene lui demanda de se la procurer auprès de son état-major, en l’assurant qu’il ne quitterait la Russie qu’«une fois que la cargaison sera livrée».
Houari Boumediene semble ne pas avoir tenu rigueur aux dirigeants égyptiens qui, trois ans après l’indépendance, ont eu une attitude condescendante envers la délégation militaire qu’il avait envoyée au Caire pour récupérer des armes destinées à l’Armée de libération nationale mais qui ne lui sont jamais parvenues. L’ancien ministre de la Défense nationale, le général Khaled Nezzar, rapporte, dans le détail, cet épisode des relations entre l’Algérie et l’Egypte dans ses mémoires.
«En 1965, écrit-il, alors que j’étais directeur du matériel, je fus chargé par Si Boumediene du démantèlement de nos dépôts d’armes et de nos munitions en Libye et en Egypte. Après m’être fait précéder par le lieutenant Abderrahmane Ben Attia, j’affrétai un bateau et pris l’avion pour l’Egypte. La Libye, quant à elle, ne nous posait aucun problème. Des renseignements me parvenaient que le black-out était fait par les Egyptiens sur les types d’armes et de munitions ainsi que sur le lieu où elles se trouvaient, surtout les récentes, en provenance d’URSS et de Chine.»
«Au Caire, poursuit-il, je pris attache avec notre chargé d’affaires en Egypte. Après plusieurs contacts, nous fûmes orientés vers le département logistique de l’état-major égyptien où nous nous rendîmes dans la voiture officielle, drapeau de l’Algérie flottant au vent. Les plantons nous firent rentrer dans le bureau du responsable qui se trouvait en réunion avec un groupe d’officiers. Il fit comme si nous n’étions pas là et continua sa discussion. Nous attendîmes, assis dans un coin du bureau, que le responsable daigne nous adresser la parole. Notre attente dura près d’un quart d’heure, dans une atmosphère inhospitalière et pesante. Tout cela était lourd de sens.»
«Le responsable bascula son fauteuil, se retourna vers nous et nous demanda le but de notre visite. Je lui signifiai que nous étions venus récupérer le matériel de l’ALN emmagasiné dans leurs dépôts. Il répondit hautin : Vous nous l’avez donné. D’ailleurs, nous disposons d’un document faisant foi. Je demandai à voir ce papier et on m’invita à revenir le lendemain, à la même heure. Le responsable égyptien prit tout ce temps avant de nous demander ce que nous voulions boire. Nous déclinâmes son invitation. A la sortie, nous ignorâmes la main qu’il nous tendit», se rappelle-t-il.
Et de poursuivre : «Je récupérai le document le lendemain après avoir apposé ma signature sur un reçu. C’était une lettre signée par le colonel Benaouda, attaché de défense auprès de notre ambassade en Egypte, dans laquelle il était dit que le président Ben Bella mettait à la disposition des Egyptiens l’armement et les munitions de l’ALN entreposés chez eux.» «Une fois à Alger, raconte encore le général Khaled Nezzar, je me rendis chez le président Boumediene qui, après lecture de la lettre, fut pris d’une colère rageuse qu’il essaya de maîtriser en ma présence. Je ne m’expliquais pas comment un attaché de défense eut pu signer un document aussi capital sans en référer à son supérieur hiérarchique. Le bateau que j’avais affrété pour récupérer l’armement en question était revenu d’Alexandrie, chargé de bric et de broc. Une évaluation approximative avait été faite à l’époque : les autorités égyptiennes accaparèrent une quantité d’armes qui nous aurait permis d’équiper une bonne partie de nos unités d’infanterie et d’artillerie de l’époque.»
Il s’agissait d’un grand nombre de fusils américains neufs achetés par les collectes des militants, d’un armement collectif et lourd d’une importance conséquente offert par l’URSS et la Chine dont l’armée algérienne a été privée par le machiavélisme de dirigeants égyptiens toujours aussi artificieux.
K. M.
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