1972 Nixon sourit à la Chine, 2020 Trump lui déclare la guerre
Par Ali Akika – Par des ruses dont elle détient les secrets, l’histoire surprend souvent son monde. Elle surprend surtout ceux qui ont adopté le pragmatisme comme philosophie politique indépassable. Comme fut «la fin de l’Histoire» de cette ineptie sortie du cerveau d’un «philosophe» américain qui croyait que l’Histoire pouvait s’arrêter au coup de sifflet de l’arrogant homme imbu de sa petite personne. Voyons pourquoi ce genre de philosophie guide la «pensée» des hommes qui dirigent les Etats-Unis ? Le secrétaire d’Etat américain, Pompeo, ex-directeur de la CIA, vient de «déclarer la guerre» à la Chine dans un discours prononcé le 23 juillet à la bibliothèque Nixon de Californie.
La petite histoire retiendra que Pompeo fit son discours dans un lieu qui porte le nom d’un ancien président américain. C’était Nixon sous les conseils de Kissinger qui ouvrit la grande la porte à la Chine en arrêtant de mettre des obstacles à ce grand pays sur la scène internationale. Nixon/Kissinger «un couple de paix» opposé à Trump/Pompeo des foudres de guerre. Paradoxe ? Pas tant que ça puisque l’un et l’autre couple obéissent au pragmatisme qui leur fait croire que l’Histoire est le reflet de leur propre appréhension du réel du moment. Voyons pourquoi Trump/Pompeo biberonnés au même pragmatisme prennent le contrepied de Nixon face à la Chine. Arrêtons-nous sur le pragmatisme de Nixon pour mieux comprendre la «déclaration de guerre» de Pompeo.
Le 21 février 1972 (1) Nixon débarque en Chine alors que les Etats-Unis étaient embourbés dans la guerre du Vietnam, vaillant pays qui recevait l’aide de l’URSS et de la Chine. Ces deux pays se disputaient alors sur le concept de la coexistence pacifique prônée par l’URSS alors que la Chine était en faveur de la lutte continue contre la domination coloniale et impérialiste. Pour isoler l’URSS à l’époque, Nixon conseillé par le docteur Henry Kissinger suggéra d’ouvrir une brèche entre les deux géants du communisme. Si Nixon avait un «brillant» conseiller, Mao Tsé Toung était à la fois, son propre conseiller, président d’un pays millénaire, poète et philosophe, grand stratège de la guerre prolongée, accepta de recevoir Nixon.
La Chine avait accepté de le recevoir parce que les USA avait déjà montré leurs bonnes dispositions en ne s’opposant pas à l’entrée de la Chine à l’ONU et au conseil de sécurité en 1971, ce qui signifiait l’expulsion de Taïwan leur protégée. Pour la Chine, avant même la visite de Nixon, l’essentiel était donc acquis. Mao réserva un accueil chaleureux d’autant que Nixon allait favoriser les relations économiques entre les deux pays. Une économie et un commerce qui étaient bénéfiques à la Chine qui venait de sortir d’une économie semi-féodale. Avec le recul de l’Histoire, Trump doit se dire que la Chine s’est servie de son pays pour devenir 40 ans plus tard un redoutable concurrent.
Sans doute Trump veut-il réparer l’erreur de son prédécesseur ? Voilà pourquoi il déclare aujourd’hui la guerre commerciale à la Chine et charge Pompeo pour cette tâche titanesque qui rappelle la guerre froide comme jadis au temps béni de la lutte contre le communisme. Ainsi l’appel de Pompeo du 23 juillet 2020, avait pour but la formation d’une alliance des démocraties dans le monde pour contrer la Chine. Quand il fit sa déclaration, Pompeo n’avait pas le visage ravagé par un quelconque signe de peur car la puissance militaire et économique de son pays le met à l’abri d’une surprise sur le plan strictement militaire. En revanche, son regard perçant et la voix étranglée exprimaient une rage refoulée.
L’inattendue et la surprenante violence de ses propos cachait autre chose, une sorte de hantise de se retrouver dans la posture des aristocrates européens qui allaient se faire déposséder de leurs pouvoirs aux lendemains des révolutions des bourgeoisies montantes. Son appel rappelle en effet l’alliance des monarchies européennes qui se sont liguées contre la France de la Révolution de 1789. Il déclara en effet le 23 juillet mot pour mot : «Il nous faut une alliance des démocraties contre une Chine que nous ne pouvons transformer mais qui risque de changer notre système…»
Comment Pompeo va-t-il s’y prendre pour construire une telle alliance ? Il sait que la rengaine des «vérités» de la guerre froide contre l’URSS est de nos jours caduque. Il sortit alors son artillerie lourde où la fin du monde, son monde se conjugue avec l’émotion : l’Occident serait devant une menace existentielle puisque la Chine est devenue une forteresse imprenable qui risque de sortir de ses frontières pour porter atteinte à l’existence même des pays du «monde libre». Rien que ça ! Sa stratégie ressemble, à s’y méprendre, à celle utilisée par Nixon avec la Chine pour isoler l’URSS à l’époque. Aujourd’hui, l’ennemi c’est la Chine, tout le monde sous-entendu, y compris la Russie, doit contribuer à son isolement et, plus tard, à sa neutralisation. La Russie répondit à Pompeo qu’elle ne fera pas partie de cette sainte alliance qui serait une faute, sous-entendu nous combattrons ce genre d’alliance. Le couple Trump/Pompeo ne sait-il pas que l’époque de Nixon et de Mao Tsé Toug est entrée dans l’Histoire ? La séquence de l’Histoire de nos jours présente une autre géographie, un monde éclaté en petites alliances susceptibles de changer de posture selon la conjoncture et les intérêts de celle-ci.
L’URSS n’existe plus, la Chine est la 2e puissance économique du monde, l’OTAN est «en mort cérébrale», l’Union européenne est amputée de la Grande-Bretagne, la Turquie connaît les démangeaisons de sa nostalgie ottomane et l’Iran n’oublie pas qu’il descend de Darius… Le secrétaire d’Etat Pompeo finira par se rendre compte que le monde réel est différent du monde de l’ombre de l’espionnage qu’il a dirigé. Quant à Trump, il doit déjà sentir les fureurs qui déchirent le monde et le saura peut-être violemment contre sa personne à la prochaine élection, en novembre 2020. Il est peut-être temps que son Amérique se rende compte que l’Humanité ne supporte pas d’être emmurée, ni par la misère ni par les vrais murs qui fleurissent ici et là. Palestine, Mexique, Chypre, Cachemire, Sahara Occidental, Hongrie… Et dire que c’est le système du libéralisme qui prônait la libre circulation des hommes et de biens (2) qui érige de nos jours des murs en béton ou en fils de barbelés.
A. A.
(Cinéaste)
1- Le 21 février est devenu Journée internationale contre l’impérialisme en solidarité avec les peuples en lutte. Cette date a été choisie en hommage au groupe de Manouchian et des 21 immigrés fusillés par les nazis. Cette date symbolique devait être ignorée par la CIA qui ne pouvait pas avertir Nixon de se rendre en Chine ce jour-là. On ne peut s’empêcher de penser à l’esprit raffiné et malicieux de la part des Chinois avec un Chou en Laï fin diplomate alors Premier ministre.
2- Quant à la liberté de la presse, le libéralisme montre aussi son visage. Ainsi, plusieurs navires de guerre américains sont l’objet d’incendies, un pied nickelé fait un petit tour en Libye, «l’imagination» fertile de l’armée israélienne claironne avoir décimé un commando de combattants libanais, puis se rétracte en disant qu’elle a préféré les laisser fuir et enfin le décès de Gisèle Halimi dont sa défense des Algériens pendant la lutte de libération est passé sous silence… Tous ces événements d’une presse qui s’enorgueillit d’être libre peuvent berner les crédules. Ceci dit, chez nous aussi, il est une certaine presse qui est fâchée avec certains thèmes et, surtout, avec la manière de les traiter.
Comment (6)