Alimentation en eau potable du Grand Alger : quand Suez n’honore pas son contrat
Par Mounir Serraï – Au deuxième jour de l’Aïd comme au premier jour, des quartiers entiers de la capitale sont privés d’eau de robinet. Officiellement, ces coupures sont dues à des «actes de sabotage» sur certaines installations ou des pannes électriques empêchant les stations de pompage de fonctionner. De nombreux foyers algérois ont passé le premier jour de l’Aïd (le jour du sacrifice) sans l’eau de robinet et sans les fameuses citernes d’eau promises par la société de distribution Seaal.
Dans certains quartiers, des citoyens en colère ont protesté en fermant des axes routiers comme c’est le cas sur la côte ouest d’Alger qui connaît de fortes perturbations en la distribution de l’eau potable depuis le début de l’été. A chaque fois, on lie ces coupures d’eau quasi quotidiennes, quand elles ne durent pas plusieurs jours d’affilée, à des travaux de réparation ou d’entretien. En moins de deux mois, la Seaal a annoncé l’arrêt de la station de dessalement de l’eau de mer de Fouka plusieurs fois.
Ce problème de distribution nous rappelle les dures périodes de pénurie d’eau au début des années 2000 à cause d’un grand manque de pluviométrie. Aujourd’hui, le ministère des Ressources en eau ne se plaint pas d’un manque de disponibilité de la ressource. Bien au contraire. Il assure que les réserves d’eau suffisent largement pour subvenir aux besoins de la population jusqu’à la fin de l’année en cours. Pourquoi donc l’alimentation en eau potable de la capitale est fortement perturbée en cette période de grandes chaleurs et de pandémie du coronavirus ? La Société des eaux et d’assainissement d’Alger (Seaal), dont le management est assuré par le groupe Suez, est-elle à la hauteur ? Honore-t-elle son contrat ?
Le contrat du groupe Suez, à travers la Seaal, société de droit algérien créée par la co-construction du partenariat public-privé entre l’ADE, l’ONA et Suez, relatif à la gestion des eaux du Grand Alger, a bien été renouvelé, en octobre 2018, pour trois années de plus et étendu à la wilaya de Tipaza et au barrage de Taksebt. Par son management, Suez devait, en effet, garantir la performance des services d’eau et d’assainissement du Grand Alger et accompagner les opérateurs nationaux sur les savoir-faire métiers et la mise en place d’une Ecole nationale de gestion de l’eau et de l’assainissement.
L’objectif initial de ce contrat de management consistait à offrir aux millions d’Algérois un accès à l’eau potable H24, 7 jours sur 7 et à améliorer significativement le service d’assainissement de la ville. Le partenariat reposait également sur un transfert de savoir-faire de Suez aux équipes de Seaal. Ce contrat, renouvelé pour 5 ans en 2011 et pour 2 ans en 2016, a été même étendu à la wilaya de Tipasa, située à l’ouest d’Alger, et au système de production d’eau potable de Taksebt, situé à l’est d’Alger, représentant une population desservie en eau potable de 5 millions d’habitants.
Le nouvel accord, entré en vigueur le 1er septembre 2018, vise à poursuivre les avancées réalisées depuis 12 ans à Alger. Il fixe de nouveaux objectifs sur l’amélioration de l’efficacité des réseaux, la performance des usines et la satisfaction des clients, tant sur Alger que sur Tipasa. Il a également pour objet le maintien du transfert de savoir-faire métier et managérial à Seaal.
«Afin d’atteindre les nouveaux objectifs, Suez déploiera ses solutions AquadvancedTM sur les réseaux d’eau potable, les réseaux d’assainissement et les champs de forage. Grâce à l’installation de capteurs (débit, pression…) placés sur les réseaux et les forages et alimentant des outils modernes d’aide à la décision, ces solutions permettront d’assurer une gestion dynamique et une priorisation des actions en temps réel», soulignait Suez. Qu’en est-il sur le terrain ? Il est bien clair qu’on est loin de l’objectif de ce contrat. Les problèmes de disponibilité et de déperdition d’eau persistent. Les Algérois ne profitent toujours pas de l’eau H24 et le Grand Alger continue de faire face aux problèmes récurrents du réseau d’assainissement des eaux usées qui est loin de la performance mentionnée dans le contrat de «partenariat».
Pourquoi donc continuer à payer en monnaie sonnante et trébuchante un contrat qui n’est pas honoré ? Il faut juste préciser que cela ne veut nullement dire que la ressource hydrique est mieux gérée par l’ADE, qui fait ce travail de distribution et de gestion des réseaux d’assainissement dans le reste des wilayas du pays. La révision de la politique de l’eau et de sa gestion doit être globale, surtout que le pays est situé dans une zone semi-aride et fortement exposée au réchauffement climatique. Autrement dit, l’eau va devenir de plus en plus rare et sa répartition sur une population qui ne cesse d’augmenter va être encore plus problématique qu’à l’heure actuelle.
M. S.
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