Eglise Sainte-Sophie ou Grande Mosquée : la politique éclipse la paix
Par Khaled Boulaziz – «Il existe des puissances dans le monde qui font encore confiance à l’ancienne recette romaine : si vous voulez la paix, préparez-vous à la guerre. C’est une aberration, c’est une idée fausse et dangereuse que l’on peut accroître sa sécurité nationale aux dépens de celle des autres nations.» (Olof Palme, homme d’Etat suédois, 1927-1986.)
L’histoire ne s’arrête guère aux différences entre formes de domination. Elle transcende les distinctions entre injustice et droit, entre arbitraire et loi, entre systèmes totalitaires et démocratiques. De ce fait, l’histoire ne dépeint pas la fin de la violence, mais plutôt l’alternance de ses formes.
Dans cette approche, ce qui se joue alors n’obéit à aucune loi, à aucune nécessité mais, bien au contraire, il est du domaine aléatoire, du hasard absolu et de l’événement dans sa singularité.
Pour comprendre cela, il faut se déprendre de deux illusions de la superstition optimiste, à savoir que les souffrances peuvent être rédimées, comme le défendent certains discours religieux, et qu’il est possible de vaincre la face maléfique de l’être humain, comme le prétendent certaines philosophies de l’histoire.
Aussi faut-il accepter l’idée qu’il n’y a guère de progrès dans l’équipement moral de l’espèce humaine, ses affects et ses sentiments, car c’est la culture et non la nature qui a fait de l’homme ce qu’il fut et demeure : un être capable de tout.
Dans l’ordre du politique, les régimes absolus et totalitaires ne sont pas des formes dégradées. Ils ne font que pousser à l’extrême ce qui est de toute façon inscrit dans le principe même du pouvoir.
Ainsi à l’origine, un état de violence, né alors l’ordre social, pour endiguer spécifiquement cette violence, finit par se dérégler lui-même et relancer le cycle originel, plaçant de facto la violence au cœur de l’ordre social ; tel est le métadiscours de l’histoire de l’humanité.
Mais à de très rares occasions, comme des étoiles filantes, sublimant notre désespoir et notre perdition, le hasard ouvre une fenêtre spatio-temporelle où la possibilité d’un seul geste suffit à annihiler et extirper des violences anciennes et présentes, enterrées dans le cœur et la mémoire des hommes depuis la nuit des temps.
La restitution de l’Eglise Sainte-Sophia, la première basilique de l’histoire chrétienne, aux chrétiens de l’Orient aurait pu être ce geste céleste.
Ce geste fort, s’il fut, ne renvoie pas à un corps de doctrine qui aurait en lui-même une résonance sociale ou politique. Il est, en son creuset, une attitude devant soi-même, répondant à un seul impératif de transformation de soi, le vivre-ensemble et la promotion jusqu’au-boutisme de la paix.
Quelle place peut-on faire, dans les calculs de la politique, à un geste comme celui-là ? Aucune, justement : ce geste est de l’ordre du divin.
Ce geste s’il avait été accompli aurait créé une nouvelle dynamique spirituelle entre chrétiens et musulmans dans sa forme la plus réfléchie, dynamique par laquelle chacun d’eux se serait rapproché de l’autre pour accéder ensemble à la vérité, faisant plier les forces du mal, rompant ainsi les chaînes de la violence et secouant la torpeur de l’histoire.
Le combat pour la paix est un «déchirement», une «interruption» de l’histoire, c’est parce qu’il correspond à ce seul lieu où la vie, exténuée par tant de guerres, est capable de se réaliser.
Là où elle n’est plus objet de tractations, de discussions, de propriété. Là où elle n’est plus disponible au jeu politique, puisqu’elle est exposée, simplement et irrémédiablement, au risque de la mort.
Eglise Saint-Sophie ou Grande Mosquée d’Istanbul, le Divin y est loué, mais la restitution de cette basilique aux chrétiens de l’Orient dans une terre musulmane aurait constitué l’éclat, la puissance cosmique rêvée pour tous les délaissés de cette terre afin de défaire les élites des ténèbres et la totalité de leur arment thermonucléaire.
Ce geste aurait marqué l’imaginaire des femmes et des hommes de ce siècle, surtout de celles et de ceux qui désespèrent à trouver au prix même de leur vie cette élusive paix.
S’il fut, il aurait aussi chassé la haine chez ceux qui sont sans amour, donné la paix à ceux qui sont sans repos et consolé ceux qui pleurent…
K. B.
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