Dérives despotiques
Par Nouredine Benferhat – «Si le pouvoir vous était donné, si vous aimiez la vie, vous le verriez se déchaîner ce monstre et cet ange que vous portez en vous.» (Camus, Caligula). Le silence assourdissant de certains partis politiques devant l’hécatombe d’arrestations d’activistes du Hirak et le recours systématique à la détention provisoire par une justice qui n’arrive pas à se libérer de ses vieux réflexes nous renseignent sur leur mode de fonctionnement, sans nous étonner. Les successeurs qui ont investi les partis n’ont rien à envier à leurs prédécesseurs qu’ils ont voués aux gémonies pour se refaire une virginité et semblent en attente d’un signe du pouvoir pour offrir leurs services mercenaires.
Encore une fois, leur indigence va leur faire rater l’occasion de se racheter aux yeux de la société, en défendant la juste justice, en prenant parti et en appuyant les revendications populaires.
La société a appris à compter sur elle-même et a montré un grand mépris à leur égard en maintenant une constante vigilance pour contrer les dérives du pouvoir dont les premières manifestations sont les arrestations de citoyens du Hirak, oubliant combien, à tous les niveaux de responsabilité, nous sommes redevables à ce mouvement.
En effet, le pouvoir est force et ruse, le désir fantasmatique qui va, par la violence, réduire le réel au fantasme et lui faire payer le prix de son altérité.
Le pouvoir totalitaire est l’essence fantasmatique du pouvoir, il est désir d’exercer le pouvoir et d’absorber le monde dans l’identité de son désir. C’est la folie de se vouloir centre unique et rayonnant du champ collectif ; c’est l’ambition personnelle et le plaisir qu’on trouve à l’exercer, c’est-à-dire la gloire et l’ivresse des sommets. C’est le processus d’aliénation que déclenchent les émotions et les passions. Même non recherchée au départ, l’expérience du pouvoir montre qu’elle est expérience de ce désir fantasmatique qui déclenche inévitablement sa logique, à moins d’une force d’âme extrêmement rare et qui suppose la compréhension de ce processus. Sans cela, le pouvoir corrompt, et ce, quels qu’en soient la base de légitimation et les motifs personnels initiaux.
Le pouvoir légitime ne se mesure pas au fondement dont il se réclame et à la perfection des institutions qui constituent ce fondement, tant il est vrai que cette légitimité tend toujours à être résorbée par le fonctionnement concret du pouvoir. Ce n’est pas parce qu’un pouvoir est légitime que toutes ses décisions le sont et qu’il devient infaillible.
Le critère de légitimité d’un pouvoir, c’est celui de la «contestabilité» de ce pouvoir, qui l’invite à «l’obéissance irrespectueuse» qui admet le fait du pouvoir, mais qui, irrespectueusement, en discute les actes.
Que devient l’art de gouverner quand celui-ci se sépare de l’éthique et que la prudence, vertu cardinale de l’homme d’Etat, est dévaluée et instrumentalisée ?
Le pouvoir, dans son essence, énonce des principes pour éviter les dérives despotiques. L’oubli de ces principes réduit le politique à un jeu de fourberies et d’apparence, négligeant toutes les fins autres que le maintien de la suprématie individuelle avec une forte tendance à la mégalomanie.
Le développement incontrôlé de l’ego conduit à s’identifier à la raison d’Etat et à se transformer en un chimérique marchand de bonheur.
N. B.
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