Interview – Tentative d’assassinat, cas Fekhar : Maître Salah Dabouz se confie
Maître Salah Dabouz lève le voile, dans cette interview, sur un certain nombre de questions, dont celle de la tentative d’assassinat dont il a été victime, avant de s’exiler, et l’affaire du décès de son client, le militant Kamel-Eddine Fekhar, en détention, dans des circonstances dramatiques. L’avocat se dit pessimiste quant à la situation qui prévaut en Algérie.
Algeriepatriotique : La famille de Moussa Benhamadi a rompu le silence et accusé les autorités pénitentiaires d’être coupables de graves négligences ayant provoqué la mort de l’ancien ministre. Quel commentaire cette réaction vous inspire-t-elle ?
Maître Salah Dabouz : Si la famille de Moussa Benhamadi déclare que les autorités pénitentiaires sont coupables de graves négligences ayant provoqué la mort de l’ancien ministre, c’est qu’elle a de bonnes raisons de le faire, d’autant plus qu’on n’en est pas aux premiers détenus morts en prison, suite aux mauvais traitements subis. Rien que ces dernières années, et rien que les détenus morts en prison dont j’ai été en contact avec leurs familles, je peux vous citer Kamel-Eddine Fekhar, Salah Gueddouh, Aïssa Bencheikh, Affari Baouchi, sans parler de Mohamed Tamalt, mort dans des conditions mystérieuses, publiées sur les réseaux sociaux où l’on évoque carrément une agression physique par des personnes étrangères aux services pénitentiaires, à l’intérieur de sa cellule dans la prison de Koléa.
Le détenu en Algérie et en général est très mal traité, sauf s’il bénéficie de traitement de «faveur» qui fait de lui un détenu jouissant des normes internationales. La culture de la détention en Algérie est une culture de souffrance et de vengeance, puisque le détenu, selon la conception des responsables pénitentiaires en Algérie, doit souffrir physiquement et moralement, ainsi que sa famille. Les dégâts peuvent être catastrophiques, surtout pour les détenus non condamnés (en détention provisoire) qui normalement ne doivent pas être soumis au même régime de détention que celui des condamnés, selon l’article 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et l’article 49 du Code algérien de l’organisation pénitentiaire et de la réinsertion sociale des détenus.
Je conseille à la famille Benhamadi d’exiger une autopsie, si cela n’a pas encore été fait, et de déposer plainte contre ceux qui sont responsables de sa mort, s’ils les ont identifiés ou contre X pour déterminer les responsabilités. Je leur dis tout de suite qu’ils doivent s’attendre à une bataille sans merci car c’est contre tout un système qu’ils vont se battre et ce ne sera pas seulement une plainte contre X ou Y.
Votre client, feu Kamel-Eddine Fekhar est également mort après avoir observé une grève de la faim en prison. Les autorités ont-elles diligenté une enquête pour déterminer les responsabilités ?
Kamel-Eddine Fekhar n’est pas mort à cause de la grève de la faim, sinon pourquoi, alors, Aouf Hadj Brahim, son codétenu, exactement dans les mêmes conditions, qui était en grève de la faim et qui avait dépassé en nombre de jours celle de Fekhar n’en est pas mort ?
L’affaire Kamel-Eddine Fekhar était un programme tracé pour le tuer. Ceux qui ont exécuté le programme de sa mort sont Azzedine Mechri, ex-wali de Tagherdayt et Mohamed Bensalem, ex-procureur général de Tagherdayt. Ces deux-là étaient chargés par Bouteflika, Gaïd-Salah, Louh, Ouyahia et Sellal de liquider Fekhar et tous les militants progressistes mozabites, la décision fut prise lors d’une réunion tenue le 8 juillet 2015, au siège de la Présidence. Une première tentative avait échoué grâce à l’intervention du groupe de travail sur la détention arbitraire de l’ONU, le 27 avril 2017, mais ils ne l’ont pas raté la deuxième fois.
Ceux qui sont impliqués directement dans l’assassinat de Kamel-Eddine Fekhar sont le juge d’instruction qui avait ordonné son incarcération et refusé de le libérer pour qu’il se soigne, le directeur de la prison de Tagherdayt (Ghardaïa, ndlr), qui avait ordonné d’enfermer Fekhar et Aouf dans des toilettes pour une période de 28 jours, le directeur de l’hôpital Tirichine de Tagherdayt, qui avait refusé de mettre à la disposition de Fekhar des moyens matériels et humains pour une couverture médicale adéquate à son état de santé et qui avait instruit, selon des sources sûres, les médecins – qui sont donc également complices – à se comporter avec lui comme un ennemi à abattre et non pas comme un malade. D’après certaines sources, ils auraient même tenté de falsifier son dossier médical pour dissimuler certaines traces de maltraitance, chose qu’ils ne réussiront jamais à faire, car ils oublient qu’il y avait un témoin oculaire de tout ce qui est arrivé à Fekhar depuis son arrestation jusqu’à sa mort, sans l’avoir quitté un seul instant.
C’est la raison qui avait fait que le juge d’instruction de la deuxième chambre du tribunal de Tagherdayt ait refusé l’ouverture d’une information judiciaire en flagrante violation du Code de procédure pénale. Cela fait de lui un complice, au moins moralement, car il a essayé de couvrir des criminels en usant de l’autorité qui lui est conférée par la loi.
Cinq jours avant sa mort, Fekhar m’avait dit que les autorités avaient programmé sa mort et qu’ils étaient en train de l’exécuter. A ce moment-là, il n’était pas en grève de la faim, mais il n’était presque pas nourri, bien que la direction de la prison de Tagherdayt lui eût fait signer un document dans lequel il avait déclaré avoir arrêté sa grève de la faim.
Ils l’ont assassiné froidement, même si j’avais signalé son meurtre en marche, avant sa mort.
Vous avez été agressé à l’arme blanche pour vous être élevé contre les conditions d’emprisonnement du défunt Kamel-Eddine Fekhar et pour votre activisme au sein du Hirak. Que pouvez-vous dire sur cette affaire ?
Le 9 septembre 2019, après avoir accompagné Mme Zahira Fekhar chez Khathir Bouzidaoui, procureur de la République près le tribunal de Tagherdayt, et dans la prison de Tagherdayt aussi, pour récupérer les effets de son défunt époux. Au moment où je me rendais chez Aouf Hadj Brahim, vers les coups de 20h30, deux individus m’ont attaqué à l’arme blanche, l’un d’eux était venu directement vers moi, alors que l’autre l’attendait sur une moto, heureusement que d’autres jeunes sont arrivés presque au même moment, ce qui a fait fuir les deux agresseurs juste au moment où ils voulaient me liquider. J’ai été touché aux bras et au visage.
Je dois signaler certaines choses que je trouve très graves.
1 – Khathir Bouzidaoui, qui vient d’être promu juge d’instruction près le tribunal d’El-Harrach, était le procureur de la République qui avait demandé ma mise en détention provisoire, à deux reprises, aux motifs de mes écrits dénonçant l’acharnement des services de sécurité et de la justice contre les activistes de Tagherdayt, sachant que je dénonçais l’acharnement de ses deux institutions à travers tout le territoire national, mais que c’était seulement le parquet de Tagherdayt qui s’acharnait contre moi.
2 – Le 27 juin 2019, un mois après la mort de Kamel-Eddine Fekhar, une personne s’était approchée de moi à ma sortie du tribunal de Tagherdayt pour me dire que je devais payer le prix de mes déclarations, dénonçant les agissements de Gaïd-Salah et la mafia de Tagherdayt, et j’avais déposé une plainte sur place chez Khathir Bouzidaoui le jour même, mais rien n’avait été fait, sachant que cette personne était venue me menacer à ma sortie du tribunal, juste après avoir signé le contrôle judiciaire qui m’était imposé trois fois par semaine. Le message était très clair et voulait dire : nous savons exactement où te trouver pour te régler ton compte et personne ne pourra nous en empêcher.
A partir de là, il est clair que les autorités de Tagherdayt sont responsables de la situation d’insécurité qui y règne, puisqu’ils couvrent les criminels et font en sorte d’exposer au danger les citoyens qui les dérangent, en leur faisant clairement savoir qu’ils les laissent exposés au danger s’ils ne se taisent pas.
Qui auraient pu être vos agresseurs?
Je ne peux pas dire qui étaient les deux personnes qui m’avaient agressé ce 9 septembre, mais remarquez que Brahim Bazine et Omar Allot ont été tués par des personnes qui avaient pris la fuite sur des motos et qui n’avait jamais été identifiées.
Je n’ai jamais pensé qu’on pouvait un jour m’agresser, j’ai sillonné l’Algérie du Nord au Sud et d’Est en Ouest, j’ai travaillé dans les endroits les plus reculés, j’ai marché à pied d’Alger à Laghouat pendant 9 jours avec une moyenne de 45 km par jours, et j’arrivais à destination souvent après minuit, mais quelques minutes après avoir quitté le véhicule de Kacem Soufghalem pour me rendre chez Aouf Hadj Brahim, une distance de près de 200 mètres a suffi pour que deux personnes essayent de me liquider physiquement. Cela n’est pas normal.
J’avoue que je n’ai pas reconnu ces deux personnes, mais je pense que ceux qui avaient tué Fekhar voulaient aussi me liquider.
Vous avez quitté le pays après votre agression. Comment jugez-vous la situation en Algérie actuellement ?
Je pense que les décideurs ont raté une énième occasion d’aller vers un contrat social d’une durée suffisante et, de là, de construire quelque chose de sérieux. A ce rythme, je crains vraiment le pire.
Le ministre de la Justice dont il était dit qu’il était sur la sellette, a été maintenu à son poste bien qu’il soit contesté par les magistrats et les avocats et qu’il ait été ouvertement l’exécutant de forces extrajudiciaires. Comment expliquez-vous la longévité de ce ministre controversé au gouvernement ?
Quand un pouvoir instrumentalise les services de sécurité et la justice pour des règlements de comptes personnels et claniques, pour réprimer les citoyens qui manifestent leur désarrois pacifiquement, ou ceux qui couvrent ces manifestations, et quand vous avez une vingtaine de généraux, une vingtaine de ministres poursuivis en justice, eux aussi, et quand vous avez parmi tous ces responsables, des ex-Premiers ministres, un ex-ministre de la Justice, un ex-directeurs des services de renseignements, et quand vous voyez que des responsables sont prêts à livrer des informations très confidentielles à des étrangers pour fuir le pays ou par vengeance, et quand vous voyez que le premier responsable de toute cette mascarade, en l’occurrence Abdelaziz Bouteflika, n’est même pas inquiété et passe les jours qui lui restent tranquillement dans une résidence d’Etat, parler de Zeghmati devient pour moi de la diversion.
C’est tout le système politique qui expose le pays entier à un danger certain.
Comptez-vous rentrer bientôt au pays ?
Je ne pense pas pouvoir revenir au pays bientôt malheureusement.
Un dernier mot ?
Le pays n’est pas entre de bonnes mains et je crains le pire pour les jours à venir.
Propos recueillis par Karim B.
Comment (38)