Ce point commun qui lie l’Etat hébreu et les Emirats arabes unis
Par Abderrahmane Cherfouh – La normalisation des relations diplomatiques entre Israël et les Emirats arabes unis a fait les manchettes des journaux et suscité une pluie de réactions au sein de la communauté internationale. Si certains politiciens ont applaudi et estimé que cet accord est une énorme avancée pour la stabilité et la paix dans la région, d’autres, par contre, n’y sont pas allés de main morte pour critiquer cet accord qui a desservi la cause palestinienne et lui aurait porté, d’après eux, un rude coup.
En Palestine, cet accord a provoqué une onde de choc parmi la population, et l’Autorité palestinienne, la principale concernée, a, quant à elle, réagi en déclarant que cet accord «va tuer la solution à deux Etats», renforcer les extrémistes et éloigner la possibilité d’une paix israélo-palestinienne. Quant à la réaction des pays arabes, seule l’Egypte a estimé que cet accord est porteur de prospérité et stabilité. Pour ne pas être en reste, la Turquie déclare qu’il s’agit d’un «comportement hypocrite» et pense que «l’histoire ne pardonnera jamais» cette normalisation.
Le président turc a même menacé de rompre ses relations diplomatiques avec les Emirats arabes unis. Faut-il en rire ou en pleurer ? La décence même aurait recommandé à la Turquie de se taire pour avoir été le premier pays musulman à reconnaître Israël et à établir des relations plus que privilégiées et plus poussées avec cet Etat. Pour ses déclarations, la Turquie d’Erdogan va remporter, et de loin, la palme d’or de l’hypocrisie. Pour ce qui est de la réaction des pays européens, l’Allemagne, la France principalement ont salué cet accord qui, d’après eux, va contribuer à renforcer la paix et rapprocher les deux parties en conflit et plaident pour la solution à deux Etats.
Curieusement, l’Algérie officielle a fait la sourde oreille et n’a pas réagi en ne faisant aucune déclaration. Quant au peuple algérien, son choix s’est fait. Il est avec le Palestine sans ambiguïté et avec tout ce que ce choix comporte comme sacrifice. Pour la majorité des Algériens, Israël représente le mal absolu et ne doit jamais exister. D’ailleurs, ils en font une fierté de ne pas le reconnaître. Le fait de prononcer le nom d’Israël provoque chez les Algériens un mouvement de répulsion et de dégoût. Israël incarne, à leurs yeux, l’horreur dans toute sa splendeur. Les crimes horribles qu’ils ont commis à Gaza contre la population civile, femmes et enfants y compris, qualifiés par feu Fidel Castro de «macabre génocide et de nouvelle et répugnante forme de fascisme» ne sont pas près d’être oubliés par les Algériens.
Au nom de ce soi-disant droit de se défendre, l’entité sioniste a commis les pires exactions et les crimes de guerre les plus abjects sur le territoire palestinien, ce qui a provoqué une colère et un sentiment de révolte de la part de la population algérienne qui a toujours exprimé sa solidarité, sans faille, pour la Palestine spoliée de ses droits les plus absolus. C’est pour cette raison que l’accord conclu entre les Emirats et Israël est mal vu et il est considéré par la majorité des Algériens comme un acte de lâcheté et de haute trahison.
Les Emirats arabes unis seront donc le troisième pays arabe à avoir établi des relations diplomatiques et à reconnaître officiellement l’Etat d’Israël après l’Egypte en 1979 et la Jordanie en 2004. Cet accord va certainement ouvrir la voie à d’autres pays arabes qui vont se bousculer pour parapher le même accord. On le savait depuis des lustres que presque la majorité des pays du Golfe et le Maroc tissaient des liens clandestinement et se rencontraient en catimini avec Israël pour se préparer à établir des relations et à reconnaître officiellement l’entité sioniste sur le dos des Palestiniens.
Curieusement, par pure coïncidence où, parfois, le hasard fait mal les choses, il y a 73 ans à peine, ces deux Etats n’existaient pas. Ils sont sortis tous les deux, tout droit, du néant et ont fait du chemin. Aujourd’hui, Israël fait partie des neuf puissances nucléaires du monde et dispose à lui seul de plus de 300 ogives nucléaires. C’est un Etat surarmé et qui compte sur le soutien quasi total des Etats-Unis, qui lui fournissent les armes les plus modernes et les plus ultrasophistiquées. Le territoire sur lequel se trouve cette entité sioniste a été spolié à la Palestine. Après le retrait de la Grande-Bretagne, qui avait renoncé à son mandat en Palestine en 1947, les Nations unies avaient partagé la Palestine en deux territoires pour donner naissance à un Etat juif et un Etat arabe avec la bénédiction des Etats-Unis. La première guerre israélo-arabe (1948-49) avait permis à cet Etat juif d’agrandir encore son territoire au détriment de celui de l’Etat arabe.
Les Emirats arabes unis, quant à eux, ont été créés il y a tout juste 49 ans, en 1971. Il n’y a pas si longtemps, cet Etat, comme tous les pays arabes, vivait dans la pauvreté quasi absolue mais, grâce au pétrole et au gaz, ce pays est devenu riche et vit dans l’opulence. Sa richesse ne provient pas, bien entendu, d’une révolution industrielle, ni de cet effort que fait une société sur elle-même pour créer sa propre richesse et se développer en comptant sur sa propre force ouvrière et le génie de ses cadres. C’est la richesse de son sol qui va lui permettre de se moderniser et de construire un pays «clés en main» par des étrangers payés rubis sur l’ongle qui ont réussi à édifier des infrastructures impressionnantes, de grands centres commerciaux, des hôtels de luxe et la plus haute structure humaine jamais construite, dénommée Bordj Al-Khalifa qui les rendra célèbres dans le monde entier.
Cet Etat minuscule, mais très riche, est devenu un interlocuteur incontournable au Proche-Orient ; il a beaucoup d’ambition et compte s’imposer et même jouer un rôle de premier plan dans le monde. Avec la manne pétrolière et sa richesse, cet Etat a vu se multiplier ses partisans et ses courtisans, parmi eux les piètres politiciens de l’Algérie et nos oligarques qui se rendaient souvent dans ce pays pour faire fructifier leurs affaires.
La paix qui se prépare dans le Golfe ne se fera pas sans concessions. Elle induira un nouvel ordre politique et économique pour toute la région du Moyen-Orient. Les Etats-Unis ne s’embarrasseront d’aucun scrupule, ni d’aucun moyen pour établir ce nouvel ordre. Personne ne nie que toutes les démarches en faveur d’une paix négociée sont les bienvenues mais pas au détriment d’un peuple qui se sent trahi et abandonné. Depuis les accords de Camp David, l’Egypte est devenue, après l’alliance privilégié avec Israël, la pièce maîtresse de la politique américaine au Proche-Orient. Pour les Américains, l’Egypte est le pays le plus important de la région.
Les positions américaines y seraient assurées, et aucun danger ne pourrait les menacer tant que seraient maintenus les liens établis entre Washington et Le Caire. Un lien qui s’est fait pour une poignée de dollars, et avec ce nouvel accord et celui qui se prépare avec l’Arabie Saoudite les dés sont jetés et rien ne sera plus comme avant. Le Proche-Orient et les pays du Golfe seront sous le contrôle absolu de l’Axe israélo-américain. Cet Axe pourra se tourner vers l’Iran mais ça c’est une autre histoire. La défaite des Arabes sera consommée. La coalition américano-israélienne va les protéger de l’Iran et ils vont certainement en tirer une fierté.
N’empêche qu’il a fallu beaucoup de temps aux Arabes pour comprendre que les dés sont jetés et qu’Israël, qui bénéficie du soutien total et sans condition des Etats-Unis qui ont toujours érigé la sécurité d’Israël en priorité absolue, de l’appui de l’Europe qui voit en Israël la seule démocratie du Moyen-Orient, à juste titre d’ailleurs, et fort de leur diaspora disséminée à travers le monde entier qui leur a toujours apporté aide et soutien, cet Etat a donc toujours fait la loi sur les territoires occupés et au Moyen-Orient et bravé la communauté internationale à plusieurs reprises en toute impunité. Si les pays arabes du Moyen-Orient, et à leur tête les Egyptiens, étaient intelligents, ils auraient tiré meilleur profit en faisant la paix avec Israël en 1965. Ils auraient dû écouter le président Bourguiba qui leur a toujours conseillé de devancer les événements et de prendre le taureau par les cornes et de faire la paix avec cet Etat israélien, en négociant en position de force pendant qu’il était temps. En politique, il faut toujours saisir l’opportunité quand elle se présente. Les véritables hommes d’Etat ont cette intuition de pouvoir changer l’ordre des choses, de ne pas rater les occasions et d’agir sur le cours des événements et de les transformer à leur avantage.
Les grands visionnaires qui font l’histoire et l’écrivent ont cette intelligence d’analyser les situations et de prendre les devants en prenant des décisions qui engagent leur destinée et celle de leur pays. A titre d’exemple, nous pouvons citer la prise de décision des six leaders (ou les vingt-deux) algériens qui, face aux tergiversations de Messali Hadj qui vivait sur ses lauriers et des luttes intestines entre les messalistes et les centralistes, ont su peser sur le cours l’histoire et ont su prendre leur responsabilité le 1er novembre 1954, et la suite tout le monde la connaît. L’appel du 18 juin de de Gaulle a aussi marqué l’histoire et fait de De Gaulle un héros national dans son pays.
Les exemples de ce genre sont légion. Mais, à mon avis, les Arabes et les Palestiniens avaient raté le coche en 1965 quand Bourguiba a prononcé son discours à Ariha (Jéricho) en appelant les Arabes et les Israéliens à faire la paix. J’ai toujours eu un faible pour Bourguiba que je considère comme le président le plus intelligent et le plus pragmatique de tous les temps du monde qu’on dit arabe, et ça ne reste que mon avis. Il est vrai que, par la suite, Bourguiba a mal vieilli et n’a plus été que l’ombre de lui-même en s’accrochant vaille que vaille au pouvoir. Abbas, Abane et Boudiaf, du côté algérien, étaient aussi intelligents et aussi grands visionnaires que Bourguiba mais la lutte pour le pouvoir et les ambitions personnelles en ont décidé autrement. Bourguiba avait donc prononcé un discours qui est resté mémorable dans le camp des réfugiés palestiniens à Ariha (Jéricho). Il a demandé aux Palestiniens d’accepter la proposition onusienne de l’époque qui consistait à partager la Palestine en deux parties, presque égales, la moitié pour les Palestiniens et l’autre moitié à l’ennemi.
Si cet accord avait été accepté, il aurait ouvert la voie à la création de deux Etats, l’un palestinien et l’autre israélien, et aurait contribué à assurer la paix et la stabilité dans la région. Mais les Arabes de l’époque, à leur tête Nasser qui voulait incarner le nationalisme arabe, avaient mal accueilli cette proposition de Bourguiba, le considérant comme un traître à la nation arabe et à la cause palestinienne, et Bourguiba était devenu la risée de monde arabe. Il fut jeté en pâture et voué aux gémonies.
Deux ans plus tard, Israël déclencha la troisième guerre israélo-arabe dite des «Six Jours», et occupa le Sinaï, la bande de Gaza, la Cisjordanie, Jérusalem-Est et le plateau du Golan. Le sort de la Palestine était scellé et, forts de leur conquête de nouveaux territoires occupés, les Israéliens vont se retrouver en position de force et refuser même de se conformer à la résolution 242 du Conseil de sécurité qui prévoyait l’évacuation des territoires occupés en échange de la reconnaissance mutuelle de tous les Etats de la région et de l’établissement de la paix. Ensuite, il y a eu la guerre d’Octobre et l’attaque surprise de l’Egypte contre Israël qui avait réussi à détruire la ligne Bar Lev, cette guerre s’acheva sans vainqueur, ni vaincu, et les Egyptiens avaient fini par comprendre que pour assurer leur sécurité et récupérer leur territoire conquis il fallait se rendre à l’évidence.
L’histoire va donner raison à Bourguiba. Les Egyptiens n’avaient plus le choix, ni le sort de leur destin entre leurs mains et finiront par établir des relations diplomatiques avec Israël en adoptant un profil bas, pour quelques poignées de dollars et en se mettant, toute honte bue, sous la protection américano-israélienne.
Pour le reste, on peut palabrer à satiété, le monde arabe est une chimère et n’est qu’un mythe construit sur du sable mouvant. Les pays arabes ne font que s’entretuer et se font la guerre entre eux et contre leurs peuples. La guerre entre l’Arabie Saoudite et le Yémen en est la parfaite illustration. En Syrie et en Libye, la guerre civile bat son plein. Partout dans le monde arabe, c’est l’instabilité qui règne. Les potentats arabes écrasent leurs peuples et font régner la terreur. Aucune critique n’est tolérée et la démocratie n’est pas encore près d’être instaurée.
Alors, parler de trahison et multiplier les soutiens pour la Palestine dans des salons feutrés et lancer une pétition contre la lâcheté du monde arabe n’ont aucun sens et c’est de l’hypocrisie pure et simple, surtout venant de la part de Lakhdar Brahimi qui vit en Jordanie et qui a échoué lamentablement dans toutes les missions qui lui ont été confiées par l’ONU et était réduit à travailler sous les ordres de Saïd Bouteflika en tentant de sauver le 5e mandant du clan. Ce Lakhdar Brahimi, qui est devenu le beau-père du fils du roi Hussein de Jordanie, ce même roi qui avait massacré et liquidé les troupes de la résistance palestinienne en 1970, aurait dû avoir au moins la décence de se taire.
A. C.
(Canada)
Comment (29)