Du culte des morts à la mort des cultes (II)
Par Mesloub Khider – La pratique de l’ensevelissement des morts s’explique ainsi par le besoin de s’isoler des morts afin de les empêcher de revenir hanter et tourmenter les vivants.
Parmi la plus grande crainte concernant le mort, il faut citer la peur de voir le mort pactiser avec le démon, menaçant ainsi les vivants. Les croyances relatives aux revenants abondaient dans les cultures tant occidentales qu’orientales. Ce sont des figures fantastiques de morts censés revenir hanter les vivants. Généralement, ils se manifestent pour se venger ou pour réparer un tort qui leur a été causé. Dans ce dernier cas, le revenant apparaît tel qu’il était au moment de sa mort.
A cet égard, dans la plupart des cultures, la sépulture rituelle est essentielle pour éviter aux morts de revenir errer sur la terre et pour leur permettre de «vivre sereinement dans l’Au-delà».
Mircea Eliade rapporte dans son Histoire des croyances et des idées religieuses : «La croyance dans la survie est confirmée par les sépultures ; autrement, on ne comprendrait pas la peine qu’on se donnait pour enterrer le corps. Cette survie pouvait être purement spirituelle, c’est-à-dire conçue comme une post-existence de l’âme, croyance corroborée par l’apparition des morts dans les rêves. Mais on peut également interpréter certaines sépultures comme une précaution contre l’éventuel retour du mort ; dans ces cas, les cadavres étaient repliés et peut-être ficelés. Cette peur est attestée chez certains peuples.»
De même, dans les temps anciens, les amulettes, les petits textes de prière, les offrandes, les statues, les cierges avaient pour vocation d’écarter les revenants, les mauvais esprits, la résurrection des morts.
Les religions monothéistes ont annexé le culte de la peur des morts, mais pour le métamorphoser en culte de la crainte de la colère de Dieu.
Maniement délicat de la dépouille des défunts, cérémonies ritualisées des morts, crainte des morts, peur d’être possédé par l’esprit des morts, tout cela ne fait plus partie de notre monde moderne cartésien. C’était pourtant, des milliers d’années durant, un «problème existentiel» considéré comme réel pour les anciens peuples, nos prédécesseurs humains. C’était un culte partagé par l’immense majorité des populations de l’ancien monde.
Aujourd’hui, ces croyances et pratiques religieuses fondées sur le culte des morts sont tombées en désuétude, jugées comme des superstitions d’un autre âge.
La nécessité de se protéger par la prière et les oblations contre les esprits des morts pour éviter leur résurrection en vue de tourmenter les vivants a complètement disparu de l’univers mental des hommes modernes.
De nos jours, si on demande à un homme ce qu’évoquent pour lui «les revenants», il répondra spontanément : «C’est une série télé.» Les maisons hantées, les fantômes, les revenants ne font plus partie de la psychologie moderne, au point que l’immense majorité de la population mondiale les considère comme de simples films hollywoodiens, en un mot : c’est du cinéma.
Quoi qu’il en soit, contrairement à l’opinion communément répandue, à notre époque moderne, excepté dans certains pays hors Histoire, l’esprit religieux et la majorité des religions s’étiolent, périclitent. Ne demeurent en survie que quelques religions, vestiges de l’ancien monde précapitaliste. En effet, la religion chrétienne s’est depuis longtemps évaporée sous l’effet corrosif et destructif du mode de production capitaliste. Le judaïsme, quant à lui, s’est dégradé et métamorphosé en secte politique sioniste pour assouvir ses visées colonialistes en Palestine et assoir sa domination financière sur le monde.
Quant à l’islam, il se débat dans un inextricable combat d’arrière-garde pour résister désespérément et vainement à l’envahissement du modèle uniformisateur occidental capitaliste. La manifestation violente de l’islam actuel est l’illustration d’une tentative désespérée de résistance pour éviter son inévitable disparition. C’est l’expression d’une bête blessée en phase finale. Et il n’y pas pire qu’une bête blessée. Cette radicalisation marque le début de la fin. Elle ne dénote nullement la force d’une religion assurée de régner encore longtemps sur les âmes.
Aussi, contrairement aux élucubrations fantaisistes de nombreux auteurs, on n’assiste pas au retour du refoulé religieux spectral, mais au défoulement de la religion spectacle. A la fin de la comédie religieuse, jouée par les derniers piètres acteurs accoutrés de leurs scripts fanatiques anachroniques, assaisonnés de violentes mises en scène, acteurs voués à quitter honteusement la scène de l’Histoire, avec les ovations approbatrices de l’humanité enfin affranchie définitivement des dogmes régressifs et agressifs.
L’histoire est jalonnée de cultes disparus sans laisser aucune trace dans la mémoire de l’humanité. Pour preuve : combien de gens actuellement révèrent Baal, Mardouk, Zarathustra, Zeus, Poséïdon, Dionysos, Râ, Athéna, Déméter, Eleusis, En-lil, En-ki, Osiris, Varuna, Yam, Môt, Kumarbi, Agni, Eileithyia, Jupiter, Teschup, Wurusema, Rudra, Héra, Aton, Lagma, etc. ? Nous ne citons ici que les dieux principaux des grandes civilisations et non les dieux mineurs des peuples des contrées «sous-développées». La plupart des dieux sont morts pour l’Histoire au point que nous ne connaissons ni leurs noms, ni les rites réservés à ces dieux, ni la signification cultuelle attachée à leur message.
Aujourd’hui, quel sera le sort réservé aux dernières religions contemporaines ? Après la fin du culte des morts, assisterait-on à la mort des cultes ? Dès le XIXe siècle, Nietzsche avait déjà annoncé la mort de Dieu. L’histoire occidentale a amplement confirmé sa prédiction. Le Dieu chrétien a été mis à mort par le dieu capital. Le capitalisme est le nouveau culte vivant du monde occidental, et imparfaitement de la planète.
Plus fondamentalement, dans le monde moderne développé, le délitement de l’esprit religieux est une donnée sociologique. La dissolution de la religion est depuis plusieurs décennies partout à l’œuvre. L’esprit religieux ne survit que dans les pays à structure socio-économique semi-féodale et semi-coloniale.
Plus globalement, à notre époque scientifique, que signifie pour l’homme moderne la croyance ? Notre monde moderne technologique est tellement lié à ses propres créations humaines que le Dieu créateur a perdu beaucoup de sa superbe, de sa force et de sa nécessité. L’homme créateur et bâtisseur moderne a descendu de son piédestal Dieu. Il l’a remisé dans le musée de l’Histoire.
On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve, a dit le grand philosophe matérialiste Héraclite, pour qui tout est mouvement et changement perpétuel. Aussi, demain, nos enfants ne se baigneront pas dans la même atmosphère intellectuelle, psychologique et culturelle que notre génération. Ainsi va le monde. Ainsi va la vie. Tout s’écoule. Tout s’écroule. Sous l’effet corrosif du développement incessant de l’Histoire. Nos idées modernes de notre époque deviendront les vestiges du passé, demain. La mort de l’idéologie religieuse, à l’instar des idéologies politiques totalitaires disparues du paysage social, est inscrite dans le mouvement de l’Histoire en perpétuelle transformation.
La religion, ce luxe des pauvres, révélera-t-elle sa pauvreté intellectuelle aux yeux des nouveaux luxueux peuples enfin enrichis par les vivantes connaissances modernes éclairées par les Lumières des sciences, peuples résolus à enterrer toutes les funèbres idéologies religieuses narcotiques et leurs sœurs siamoises, ces funestes et aliénantes doctrines politiques débilitantes, œuvres des classes dirigeantes maffieuses contemporaines, qui nous offrent comme unique perspective que le culte de l’argent, l’adoration du dieu-capital sur fond de misère éternelle subie dans la prosternation avilissante et la prostration débilitante ?
M. K.
(Suite et fin)
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