Le pacte avec Israël sera enseveli dans les sables mouvants de l’histoire
Par Ali Akika – Disons-le d’emblée, le coup de poignard dans le dos des Palestiniens vient d’abord de ces pays arabes qui glissent depuis longtemps sur une pente savonneuse qu’ils empruntent, aveuglément, bêtement, lâchement. Cette pente, ils l’ont eux-mêmes construite avant de demander à des spécialistes étrangers de faire les finitions. Ils ont commencé par enfermer leurs peuples dans un vaste campement balayé par les lugubres vents d’hiver. Le coup de génie de ces petits marquis, c’est de cultiver l’ignorance et la peur parmi leurs peuples, enfants d’une histoire dont ils n’ont pas à rougir.
Dans les nuits sans étoiles de cet hiver, ils ont oublié que le désert politique dans lequel ils errent, les portes étaient grandes ouvertes à des prédateurs qui vont leur offrir leur protection. Quant à ces prédateurs, ils sont fidèles à leurs pratiques de gangsters. Pour assurer leur propre tranquillité dans leur travail de rapine, ils essaiment des bases militaires dans le monde pour tenir en respect les peuples dominés. Et quand la menace est très grande, ils nouent des alliances avec des entités à leurs bottes. Alliances qui prennent des noms divers : pacte de défense, normalisation entre voisinage, etc. Heureusement, ces divers parchemins, fruits de rapports de force d’une époque, sombrent une fois les vents de l’histoire changent de direction. Le XXe siècle renferme dans ses musées ces pactes qui font uniquement la joie des historiens.
Arrêtons une minute sur un pacte né il y a 65 ans dans la même région de cette Palestine aujourd’hui trahie par ses faux frères. Ce pacte porte le nom de Bagdad. Il a été signé sous la houlette de l’Angleterre en 1955 avec la Turquie, l’Irak, l’Iran et le Pakistan. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’empire britannique, où le soleil ne se couche jamais, prit conscience d’une double force qui émergeait dans le Moyen-Orient, celle des peuples et celle d’un rival sorti grand vainqueur de la Seconde Guerre mondiale, l’URSS. Exemple de ces peuples, l’Iran de Mossadegh qui nationalise le pétrole en 1953, Nasser l’Egyptien qui prend le pouvoir la même année et les pays de la région – comme l’Irak, la Syrie, et le Liban – qui étaient en ébullition.
L’ennemi, qui donnait des sueurs froides à Winston Churchill à cette époque, avait pour nom le communisme, représenté par l’URSS et la Chine aux portes de l’Inde et du Pakistan, des fleurons de l’empire. Winston Churchill ne trouva pas mieux que de suggérer de bombarder l’URSS à coups de bombes atomiques pour éloigner la menace qui le faisait paniquer. Heureusement, pour Premier ministre qu’il était, il ne pouvait faire ce qu’il voulait dans une Angleterre avec sa grande histoire et ses alliances internationales (Etats-Unis, notamment). Pour se maintenir dans cette région si importante, l’Angleterre va utiliser l’outil traditionnel des pactes militaires. C’est ainsi que naquit, en 1955, le pacte de Bagdad. Ce pacte n’empêcha pas, bien au contraire, la fin des monarchies irakienne et iranienne et mourut de sa belle mort en 1979 dans l’indifférence générale. Pour l’anecdote, ces pays du pacte de Bagdad (Turquie, Irak et Iran), hier vassaux de l’Angleterre, se retrouvent aujourd’hui dans le camp opposé de Sa Majesté la reine.
Mais revenons à la tragédie d’aujourd’hui qui jette sa toile d’araignée sur le peuple palestinien à partir de la Maison-Blanche de l’Oncle Sam. Sans tomber dans un optimisme béat, ce type de tragédie sera enseveli dans les sables mouvants de l’histoire. L’isolement diplomatique des organisateurs autour de ce cirque et le rapport de force en perpétuel mouvement dans la région font de cette cérémonie un bluff à deux sous pour sauver les soldats Trump et Netanyahou. Les données du problème ne bougeront pas sous la signature d’un poker menteur. L’histoire ne respecte que le droit, la légitimité, la lutte résolue, les armes dont ne sont pas démunis les Palestiniens. N’en déplaise à certains, ils ont le soutien et la solidarité des gens qui refusent d’enfoncer la tête dans le sable en croyant échapper à la domination et finir leurs jours dans la tranquillité.
Ainsi, 65 ans plus tard, dans la même région, le binôme Angleterre-Etats-Unis est remplacé par celui Israël-Etats-Unis. Cette fois, pour protéger d’autres monarchies avec l’insistance pesante et pressante d’Israël. L’ennemi d’aujourd’hui n’est plus le communisme de l’URSS mais des pays bien installés et bien armés et, qui plus est, inventeurs et joueurs d’échecs. Comme avec le Pacte de Bagdad, ces monarchies connaîtront des surprises, vermoulues de l’intérieur et tremblant devant des pays qui n’attendent que l’occasion pour leur faire payer leur trahison. Ils ont déjà un avant-goût avec le Yémen, pauvre, certes, mais tellement intrépide. Leurs sauveurs d’aujourd’hui ne mourront pas demain pour eux. L’exemple de l’Afghanistan devrait les inquiéter.
Cette «normalisation» à pas forcés au milieu de pays et de peuples qui n’ont pas l’intention de courber l’échine va plutôt alimenter de féroces résistances. Le temps pour les opprimés est un allié. En revanche, pour les agresseurs, il est une denrée rare et coûteuse. De plus, les résistants de la région connaissent, à présent, les petites ruses de leurs ennemis et leur fâcheuse inclinaison à ne jamais respecter leur parole. Les accords d’Oslo en témoignent. Quant à leurs petits pièges dans lesquels est tombé un Saddam Hussein, les joueurs d’échecs de ces pays les ont évités. Avec leur habilité et leurs calculs légendaires, ils les ont d’ores et déjà chassés du ciel syrien et s’installent à quelques encablures de leurs bases militaires qu’ils s’acharnent à bombarder depuis des années. La «normalisation» de monarchies menées par le bout du nez par les Etats-Unis, qui traitent les affaires d’Israël, risque, en dépit des dégâts qu’elle fera, de finir en farce.
Dans les années 1950, le déclin lent et inévitable du colonialisme a débuté précisément à l’époque du Pacte de Bagdad. En 1949, la Chine boute les Japonais et les Américains. En 1947, l’Inde et le Pakistan remercient l’Angleterre. En 1954, à Diên Biên Phu, la France fait ses valises. Entre 1954 et 1962, l’Algérie ouvre le chemin des indépendances africaines.
Dans les années 2020, on assiste à l’émergence de grandes puissances à la fois économiques et militaires, qui a engendré une féroce guerre commerciale. Elle est le prélude à une nouvelle carte du monde. Il n’est pas sûr que «nos» monarchies aient misé sur le bon cheval. Une chose est sûre : les peuples ne les pleureront certainement pas.
A. A.
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