Ce que traduisent les soulèvements, insurrections et séparatismes en Algérie
Par Mesloub Khider – A la faveur de la crise économique, politique et institutionnelle, accentuée par le Hirak, exacerbée par l’épidémie du Covid-19, la question de l’identité nationale a refait surface. D’aucuns se sont engouffrés dans cette brèche du Hirak pour porter haut la revendication identitaire berbériste, cristallisée par le brandissement de l’emblème amazigh lors des manifestations contre le régime. Moyen et ruse ethniques de se démarquer du reste de la population «arabe» ou opportunité contestataire exploitée pour imposer l’idéologie berbériste sur la scène protestataire algérienne ou, plus gravement, opération commanditée par quelque obscure officine étatique pour dévoyer le mouvement populaire authentiquement national et moderne vers l’impasse politique et l’aporie identitaire ?
Ainsi, la question berbère s’est-elle invitée, avec acuité, dans le débat public depuis le déclenchement du Hirak. La controverse avait pris une dimension judiciaire avec l’interdiction calculée de l’exhibition de l’emblème amazigh, interdiction ordonnée par le défunt homme fort de l’époque, le général Gaïd-Salah. Entre les partisans de l’identité berbère, les tenants de l’arabité de l’identité nationale et les islamistes toujours en embuscade, le conflit semble de nouveau ouvert pour mieux fermer définitivement la parenthèse du soulèvement populaire du Hirak, déjà opportunément circonscrit à la faveur de l’apparition de l’épidémie du Covid-19.
Au-delà des polémiques sur la légitimité de l’existence des mouvements séparatistes berbéristes, notamment le MAK, de ses liens avec les puissances étrangères telles que le Maroc, Israël et la France, la question fondamentale que pose l’émergence de ce nouvel avatar sur la scène politique algérienne est la suivante : comment expliquer que la «nation algérienne», en à peine plus de 50 ans d’existence, a été confrontée au surgissement d’une multitude de forces centrifuges en révolte contre le régime installé au pouvoir depuis l’indépendance ?
D’aucuns, à la suite de mes précédentes contributions sur la question identitaire en Algérie, m’ont reproché de verser dans l’amalgame par mon parallèle établi entre islamisme et berbérisme. Comme argument erroné, de nombreux commentateurs ont prétendu que les Kabyles berbéristes, contrairement aux islamistes, n’ont jamais pris les armes contre le pouvoir. Ils n’ont jamais versé dans la violence armée. Ils n’ont jamais provoqué de morts. Or, cet argument fallacieux est contredit par l’histoire de l’Algérie.
En effet, au lendemain seulement de la libération du pays, la première force oppositionnelle et insurrectionnelle à ouvrir le baptême du feu contre le pouvoir algérien fut le FFS, parti kabyle. Sans revenir en détails sur ces tragiques événements qui ont ensanglanté l’Algérie fraîchement indépendante, on sait que toute une région, en l’espèce la Kabylie, s’est soulevée violemment contre le pouvoir. Les Kabyles, fortement armés, avaient pris le maquis pour lutter contre le premier régime de l’Algérie postindépendante. Ce fut la première guerre civile partie de la Kabylie. A la lumière de ce rappel de la vérité historique, il convient donc de demeurer vigilant sur la nature du berbérisme irrédentiste, susceptible d’emprunter de nouveau la voie insurrectionnelle, donc d’embraser le pays, de démembrer l’Algérie.
Trois décennies plus tard, à la suite de l’annulation des élections «remportées» par le FIS, ce fut au tour des islamistes de monter au maquis pour combattre le pouvoir, avec comme objectif politique la volonté terroriste d’instaurer un Etat islamiste, au-delà de (et contre) l’Algérie, dans le cadre d’une Oumma englobant tous les pays musulmans.
A peine le projet islamiste d’édification d’une société théocratique fondée sur la Charia a été neutralisé, éradiqué au prix de dizaines de milliers de morts, qu’une énième force politique centrifuge, l’organisation séparatiste kabyle, le MAK, s’est aventurée à son tour dans une revendication irrédentiste en vue de créer un Etat kabyle indépendant.
Que traduisent ces multiples soulèvements, insurrections, séparatismes, à connotations ethnicistes ou religieuses, apparus sur une si courte période de l’existence de l’Algérie ? De toute évidence, ils révèlent la fragilité d’un Etat-nation artificiellement créé depuis 1962. En effet, en dépit d’une campagne d’endoctrinement nationaliste chauvine distillée depuis un demi-siècle pour fédérer le peuple algérien, doublée d’une islamisation totalitaire de la société censée cimenter religieusement la communauté nationale, le pouvoir n’est pas parvenu à unifier la population derrière son projet de société, actuellement plus que jamais déconsidéré, discrédité.
Aujourd’hui, à plus forte raison l’Algérie, ballottée entre un régime aux abois, totalement décrédibilisé, les islamistes moyenâgeux définitivement disqualifiés, les partis politiques traditionnels irréversiblement déconsidérés pour leur inféodation aux successifs pouvoirs, les différents mouvements réactionnaires irrédentistes tels les berbéristes du MAK et un peuple de nouveau résigné, tétanisé par la crise sanitaire du Covid-19, l’Algérie donc vit derechef une ère de vide politique.
Actuellement, aucun mouvement progressiste porteur d’un réel projet politique émancipateur et unificateur ne semble émerger dans cette Algérie plongée dans une profonde crise économique et sociale. Incapables de se hausser à une conscience politique émancipatrice porteuse d’un avenir social égalitaire et démocratique, les rares Algériens encore politisés s’arcboutent encore à ces vestiges de partis étatiques, identitaires ou religieux, pourtant corrompus et honnis. D’aucuns sombrent dans l’irrédentisme en s’affiliant aux organisations séparatistes kabyles. Consolidant ainsi leurs divisions pour le plus grand profit du pouvoir bourgeois algérien.
Prisonnier d’un passé marqué par l’idéologie nationaliste chauvine outrancière et l’endoctrinement religieux islamiste, l’Algérien ne parvient ainsi pas à concevoir et à construire une société moderne débarrassée de ces reliques religieuses et tribales surannées. Or, force est de reconnaître que le chauvinisme ethnico-linguistique et le communautarisme religieux islamiste alimentent seulement le ventre des détenteurs du pouvoir, par la tranquillité que leur assure la distribution quotidienne de ces deux indigestes mets au peuple, par ailleurs réellement paupérisé. Pendant que les masses algériennes se gavent de ces putrides aliments religieux et ethniques, le ventre vide, nos dirigeants, eux, remplissent leurs comptes bancaires, rempilent pour d’autres lucratifs mandats ministériels et parlementaires, la tête rassérénée.
L’Algérie, déchirée par des divisions artificielles nourries par le pouvoir, arc-boutée à des idées archaïques et rétrogrades, aussi bien religieuses que tribales, n’est pas près d’entrer dans la modernité par une transformation révolutionnaire de sa société. En effet, elle ne semble pas disposée à se débarrasser, et du communautarisme ethnico-linguistique (tribalisme), et de la religion (qui doit être reléguée dans la sphère privée), et du séparatisme berbériste (qui menace la stabilité et la sécurité du territoire), qui gangrènent le pays. Car aucune force politique officielle existante n’est en mesure de réaliser cette transformation radicale du pays. Aucune formation politique n’est porteuse d’un projet politique et économique émancipateur, unificateur, libérateur.
M. K.
Comment (79)