Interview – Une candidate d’origine algérienne menacée en Italie se confie
De Rome, Mourad R. – La candidate d’origine algérienne, Assia Belhadj, aux élections régionales de Vénétie, dans le nord-est de l’Italie, fait l’objet d’un flot incessant d’insultes et de menaces via les réseaux sociaux, l’invitant à «regagner son pays d’origine» et à «s’éloigner de la chose publique». Issue d’une famille originaire de Seddouk, dans la wilaya de Béjaïa, et parfaitement intégrée dans sa ville d’adoption de Belluno, Assia Belhadj a accepté de se confier à Algeriepatriotique, tout en veillant à rendre hommage à celles et ceux qui l’ont assurée de leur soutien et de leurs encouragements à persister dans la voie de l’engagement citoyen.
Algeriepatriotique : Vous êtes candidate aux élections régionales en Vénétie, dans les rangs du Parti démocratique. Quel est le programme pour lequel vous aimeriez être élue ?
Assia Belhadj : Pour être précise, je me porte candidate avec une liste civique populaire soutenant un des candidats en lice, Arturo Lorenzoni, et je suis convaincue qu’en tant que nouveaux citoyens italiens, nous apportons de la valeur ajoutée à tous les niveaux et sur tous les plans. Le programme est très riche et porte sur davantage d’engagement pour une santé inclusive, une attention constante pour l’environnement, le retour au plein emploi et une meilleure gestion de l’immigration. Des thèmes qui tiennent à cœur à tous les habitants de cette région.
Vous faites l’objet d’insultes et de menaces via les réseaux sociaux. Etes-vous inquiète ?
Je ne vous cache pas que le climat qui s’est créé en Vénétie me surprend et m’inquiète beaucoup. Je reçois des insultes et des menaces, au rythme d’une centaine de messages toutes les demi-heures. Je commence à avoir peur. Mais je suis une mère, ils savent que je suis de Belluno, j’ai plus peur pour ma famille que pour moi.
Néanmoins, je n’abandonnerai pas, parce que je crois en ce que je fais, je le dois à celles et ceux qui me soutiennent, à mes enfants nés ici en Italie, le devoir en tant que mère d’aider à créer le bon environnement pour que mes enfants puissent vivre pleinement leur citoyenneté, au sens plus large.
La politique c’est la vie et, pour cela, il faut s’engager car il y a encore un long chemin à parcourir pour atteindre une société qui ne discrimine pas les nouveaux Italiens. Bien sûr, on m’attaque aussi parce que je suis musulmane et d’origine étrangère. Ils sont incapables d’accepter ces nouveaux citoyens, nous devons donc travailler davantage sur la sensibilisation et sur les projets futurs pour favoriser un changement de paradigme culturel, en tant qu’atout et non pas comme un danger menaçant la culture italienne.
Je tiens cependant à souligner les nombreux messages de solidarité de la part de nombreux mouvements, d’associations, d’hommes politiques qui m’ont demandé d’aller de l’avant et de poursuivre mon combat pour faire de notre province et notre région un lieu plus accueillant pour toutes et tous.
Je tiens tout particulièrement à remercier l’évêque de la province de Belluno, Mgr Renato Marangoni, qui, en qualifiant de «barbarie» les insultes à mon endroit, a eu ces mots : «Qui connaît Assia reconnaît en elle une passion et une compétence en humanité, en capacité de se mettre au service d’autrui, en enseignement de la dignité de la vie, dans le respect des autres cultures et dans l’effort de promotion de notre région. Je lui exprime ma plus profonde solidarité, une gratitude sincère pour tout ce qu’elle fait et une invitation à persister dans sa voie de communion avec l’autre.»
Quel a été votre parcours avant d’en arriver à vous présenter à une élection en Italie ?
J’ai étudié la philosophie et l’arabe classique. Je suis diplômée en médiation culturelle et formée en tant qu’opératrice de transport médical et de sauvetage en ambulance (TSSA). J’ai travaillé pendant des années dans la médiation culturelle, créant des ponts entre différents mondes, en les faisant connaître.
Depuis des années, j’ai été impliquée dans des programmes d’intégration et d’interaction, en privilégiant le dialogue en général, le multiculturel et les droits des femmes. Et, à ce titre, j’ai décidé d’être candidate au poste de conseiller régional en Vénétie dans le district de la province de Belluno pour les prochaines élections des 2020 et 2021 septembre avec la liste «La Vénétie que nous voulons», qui soutient Arturo Lorenzoni.
Votre parcours est celui d’une intégration réussie…
Oui, et j’en suis fière. Pour moi, la politique, au sens large, c’est de m’engager pour le bien commun en y mettant mes aptitudes et mes compétences. Donner la priorité à notre humanité et notre empathie dans chaque engagement de notre vie quotidienne.
Ma candidature veut également donner l’opportunité de regarder l’Italie d’un point de vue différent, ce qui aidera chacun à mieux comprendre la nouvelle société italienne. A cet effet, j’ai écrit un livre, Au-delà du foulard, une femme passant d’étrangère à citoyenne à part entière, à travers lequel j’ai voulu mettre mon expérience au service du processus d’intégration en cours en Italie.
J’ai été cheffe du projet Aïcha, section Belluno, pour la lutte contre la violence et la discrimination à l’égard des femmes. J’ai décidé de me lancer en politique le jour où j’ai décidé de me battre. Je fais donc de la politique depuis le premier jour de mon arrivée en Italie.
Un dernier mot ?
En tant que nouveaux citoyens italiens, nous nous devons de participer au développement de ce pays. Nous ne devons plus accepter d’être considérés comme des fardeaux, mais agir avec conviction pour devenir des atouts, non plus des problèmes mais plutôt des solutions.
Propos recueillis Mourad R.
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