De la démocratie des chars de George Bush à celle du fric de Donald Trump
Par Ali Akika – Le général Giap : «Les impérialistes sont de mauvais élèves, ils n’apprennent pas les leçons de l’Histoire.» Le vainqueur de Diên Biên Phu a mille fois raisons. Avec leur vision ethnico-religieuse, les Etats-Unis veulent changer le monde en exploitant la religion et l’ethnie pour imposer la «démocratie» des chars. Et quand le bâton ne suffit pas, on passe à une autre méthode, la carotte des dollars pour booster l’économie. On voit le désastreux bilan de ce culte de la force brute et du dollar, les deux mamelles d’une idéologie analphabète de la philosophie de l’histoire qui a fait de l’homme un animal politique. Hier, ce sont les chars contre l’Irak ; aujourd’hui, c’est le binôme dollar/sécurité qui est à l’œuvre avec les pays du Golfe pour le grand bénéfice d’Israël. Mais aujourd’hui comme hier, ni le bâton ni la carotte ne peuvent démentir une loi à la fois universelle et historique, la liberté et la dignité d’un peuple ne se vendant pas pour un plat de lentilles.
Faut-il rappeler que le pacte de Bagdad s’est traduit par la mort des monarchies irakienne et iranienne ? Que les chars de Bush qui ont renversé Saddam Hussein ont créé une situation contraire au vœu secret des Américains, celui de neutraliser et l’Irak et l’Iran, cauchemar d’Israël et des Etats-Unis. Sans être prophète ni béatement optimiste, on peut parier que les accords entre les Emirats/Bahreïn et Israël dont le double objectif est d’effacer la Palestine et de neutraliser l’Iran connaîtront le même sort que les précédents pactes et accords qui gisent de nos jours dans les poubelles de l’Histoire. Cependant et, hélas, on ne peut ne pas penser au général Giap quand on voit l’agitation hystérique des mauvais élèves qui risquent de mettre le feu aux poudres dans une région inflammable. Ce n’est pas le carburant qui manque au Moyen-Orient !
Ainsi, les derniers accords signés entre les Emirats, Bahreïn et Israël sous le regard paternaliste de Trump sont loin d’être des messages de paix. Ils rapprochent plutôt le monde d’une guerre qui vise l’Iran. Mais avant de faire l’analyse du contenu desdits accords et leurs conséquences, il me paraît nécessaire de faire un détour sur le pourquoi de la politique de Trump.
Depuis l’arrivée de Trump au pouvoir, les accords internationaux sur le climat, le nucléaire, le commerce international ont été déchirés. Quant aux organisations de l’ONU comme l’Unesco et l’OMS, ils seraient devenus, aux yeux de ce singulier Président, des «vassaux» de la Palestine et de la Chine, rien que ça ! Tous ces faits et décisions ébranlent un système international créé après le Seconde Guerre mondiale pour éviter à l’humanité de connaître à nouveau des tragédies. Alors que chaque jour les pays du Golfe avancent vers l’abîme, les bonnes âmes gardent le silence devant de telles décisions. Courageux mais pas téméraires les obligés de l’Oncle Sam. En revanche, on déverse sans risque les foudres de la colère sur la Chine, sur l’Iran, sur la fragile mais courageuse Palestine.
De quoi Mister Trump accuse-t-il ces pays ? La Chine de lui damer le pion sur un terrain où l’Amérique était championne. L’Iran d’avoir signé un accord nucléaire sous l’autorité de l’ONU et de résister à son embargo. Quant à la Palestine, on prive ses refugiés des subventions de l’ONU. Tous ces pays auraient un mauvais caractère qui les incite à ne pas obéir au Jules César des temps modernes. Ainsi, le monde dit libre est en train de scier la branche sur laquelle il est assis. Il avait conquis son prestige en se déclarant être la forteresse de la démocratie. Et voilà qu’il assiste impuissant à la déchirure du droit international qui est, était, un rempart contre la loi de la jungle. Devant ce triste tableau, ses idéologues crient leur détresse et leur colère contre le déclin de la civilisation occidentale. Et si «nos» éclairés idéologues au lieu de s’adonner aux cris d’orfraie, ils commençaient à saisir les causes structurelles du système. Je reconnais que ça ne doit pas être facile d’imaginer une démocratie avec un «sang» nouveau qui détourne le dos à un système qui se fatigue et une vision du monde quelque peu vieillie. Encore faut-il après des siècles de formatage des esprits pouvoir cerner précisément la nature et les lois qui forment le socle de la «légitimité» dudit système.
Revenons aux accords entre deux pays du Golfe et Israël. On le sait maintenant, ces accords ont été préparés par Trump et signés à la Maison-Blanche par quatre pays (Emirats, Bahreïn, Israël et Etats-Unis). Bizarres accords entre des contractants ayant le même avocat ! En cas de litige, on voit vers qui pencheront les sympathies de Trump. Les accords publiés forment une liste impressionnante des secteurs économiques qui vont profiter, paraît-il, d’une pluie de dollars. Ce choix délibéré de l’économique est conforme à une vision du monde qui donne la primauté de l’économie sur le politique. Vieille lubie de l’idéologie capitaliste qui veut que le commerce crée mécaniquement de la richesse sans jamais énoncer les termes souvent inégaux de l’échange. Mais passons.
La normalisation des relations entre ces pays du Golfe et Israël n’a pas la même force symbolique que les accords avec l’Egypte (1974) et la Jordanie (1994). Il n’en reste pas moins que les accords signés font jubiler Israël pour deux raisons, le commerce/économie et le militaire/stratégique. Pour le commerce, ça saute aux yeux qu’Israël va tirer un grand bénéfice en s’intégrant dans le marché régional. Un marché gorgé de dollars et qui importe tout et n’importe quoi. Le stratégique/militaire espéré est d’un poids considérable dont l’objectif est de se rapprocher géographiquement d’un ennemi sérieux et tenace, l’Iran. L’Egypte et la Jordanie neutralisés, le danger militaire qui persiste et qui prend de l’ampleur vient du front nord, Liban (Hezbollah) et Syrie. Deux pays imperméables aux contes à dormir debout de Netanyahou.
Outre que la guerre actuelle en Syrie a aguerri leurs armées, ces deux pays sont soutenus par une puissance que l’on accuse d’être sur le point de posséder l’arme nucléaire. Nucléaire donc danger existentiel pour Israël ! Il faut donc tout faire pour le neutraliser. Que faire et comment quand on sait qu’une guerre se gagne sur terre et non avec des avions, fussent-ils furtifs. En cas d’une soudaine envie «de titiller» l’Iran, comment atteindre un ennemi situé à des milliers de kilomètres, qui a le temps de vous voir venir et de bien vous recevoir ? Et cerise sur le gâteau, ledit ennemi peut en même temps vous envoyer ses propres visiteurs par voie terrestre d’où il surveille vos gestes à partir du Golan. Et les stratèges d’Israël de conclure, il nous faut aussi être tout prêts de l’ennemi pour le surveiller et l’atteindre plus rapidement.
Qui mieux que cette myriade de petits Emirats entourés de petites îles qui contrôlent le détroit de Bab Al-Mandab face à l’Iran ? Lesquels Emirats ont besoin de protecteurs pour assurer leur sécurité. Hier, cette tâche revenait aux seuls Anglais auxquels se sont joints les Américains et même les Français (base à Abu Dhabi). Mais Israël sait d’ores et déjà que ces pays ne seront pas là éternellement. Les Etats-Unis sont en train de plier bagage d’Irak et d’Afghanistan et, dans un proche avenir, ils déserteront la région pour aller s’installer devant le géant du XXIe siècle, la Chine. Comme le temps presse, Israël veut profiter de l’influence américaine pour s’offrir une base sur une île en face de l’Iran. Ainsi, d’une pierre, Israël fait plusieurs coups. Une position militaire, une route aérienne vers l’Asie, un marché juteux dans la région et, enfin, couper et isoler les Palestiniens de leur environnement arabe. A travers cette agitation, on devine que les Etats-Unis veulent constituer une mini-OTAN orientale avec les pays du Golfe avec comme chef d’état-major Israël. Ils veulent ainsi assurer la sécurité des pays de cette «originale» alliance Israël-pays arabes. Parce que les Etats-Unis ne veulent plus «mourir pour Gdansk» (1) et veulent consacrer leurs forces pour contrer la Chine qui met en danger son dollar sur lequel est inscrit «In God we trust». Tout est dit dans ce dollar si l’on veut comprendre le danger qui guette le monde.
Un dernier mot. Les habituels «spécialistes» ont décrété qu’avec l’abandon de la Palestine par les pays arabes, la Palestine disparaîtrait de la carte. Ce n’est pas étonnant de la part de gens nés et éduqués dans un monde dans lequel ils se vautrent en toute tranquillité. Ils oublient le vrai monde qui existe dans sa terre et non dans la fiction qu’ils se racontent sur leurs plateaux de télé. Ils devraient s’informer non auprès de Netanyahou qui se vante d’avoir ôté le droit de veto aux Palestiniens contre les Etats arabes. Le même Netanyahou vient de déclarer qu’il s’attend que les Palestiniens viendraient négocier bientôt. Preuve qu’il souffre de l’épine des Palestiniens qui l’empêche de dormir paisiblement. Il aimerait les séduire mais les Palestiniens le connaissent de trop, le hâbleur soporifique.
Quant aux hâbleurs des télés, ils peuvent déblatérer pour gagner leur confort. Leur public est connu, il est formé de gugusses des réseaux anonymes qui reproduisent leur infantile propagande. Leur ignorance et de l’histoire et de la géopolitique leur sert de drogue pour flotter dans leur petit monde. Eux aussi font d’une pierre deux coups, rabâcher les balivernes des BHL et se venger des gens à l’origine de leurs frustrations. Triste comme le vent lugubre dans un cimetière !
M. A.
(1) Mourir pour Gdansk. Appel désespéré d’un député polonais en mai 1939 pour qu’on vienne soutenir la Pologne contre l’Allemagne nazie sur le point de l’envahir, le 1er septembre 1939.
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