L’ARPT : 2 100 millions de dinars par an pour un travail qu’elle ne fait pas (III)
Dans cette troisième partie du dossier paru dans Algeriepatriotique en juillet 2015, et qui demeure d’une brûlante actualité, nous soulevions le problème de l’Autorité de régulation qui a joué un rôle néfaste. Officiellement autonome, l’ARPT, rebaptisée ARPCE, était, en fait, l’appendice du ministère et l’exécutant des sales besognes de Houda-Imane Feraoun et de son complice récemment limogé, Abdelkader Lachkhem. Sa mission : tuer dans l’œuf toute entreprise privée qui concourrait à faire avancer le secteur et à faire progresser le pays dans le domaine des nouvelles technologies de l’information et de la communication.
L’Autorité de régulation de la poste et des télécommunications (ARPT, actuellement ARPCE, ndlr) a été créée pour veiller à l’existence d’une concurrence effective et loyale sur le marché des télécommunications et planifier, gérer, assigner et contrôler les fréquences radioélectriques. Elle est chargée d’approuver les offres de référence d’interconnexion, d’octroyer les autorisations d’exploitation et l’agrément des équipements de télécommunications, et est habilitée à arbitrer des litiges opposant les opérateurs entre eux ou avec les utilisateurs. L’ARPT remplit-elle, pour autant, les missions pour lesquelles elle a été instituée ? Rien n’est moins sûr.
L’Autorité de régulation, dont le rôle est d’assurer un traitement impartial, objectif, transparent et non discriminatoire, a dévié de sa trajectoire depuis 2008, avec l’arrivée à la tête de cette institution de Mme Zohra Derdouri. En matière de contrôle de la concurrence, l’ARPT se contente de valider les offres commerciales et promotionnelles périodiques – notamment de téléphonie mobile – avant leur lancement sur le marché par les opérateurs, «alors qu’un travail de fond devrait être réalisé par cette autorité en matière de tarifs aux abonnés finaux», expliquent des experts en télécommunications à Algeriepatriotique.
Par ailleurs, la loi impose à l’ARPT de prendre toutes les mesures nécessaires pour promouvoir la concurrence ou de la rétablir éventuellement, si celle-ci venait à disparaître du marché. «Or, relèvent ces experts, la téléphonie fixe en Algérie est dominée par un seul opérateur qui gère ces services en situation de monopole alors que cette autorité n’a pas attiré l’attention du ministère pour que celui-ci lance un processus de vente de licence de téléphonie fixe, en vue de rétablir la concurrence sur ce marché». Pour rappel, cette institution n’en est pas à son premier manquement grave, puisqu’elle a fait perdre à l’Algérie deux milliards de dollars pour n’avoir pas appliqué la loi sur la concurrence à l’opérateur privé Djezzy(1).
S’agissant de la planification, de la gestion, de l’assignation et du contrôle des bandes de fréquences radioélectriques, «aucun travail de planification des bandes de fréquences commerciales qui lui ont été attribuées par l’Etat n’a été effectué depuis sa création en 2001», notent nos sources, «alors que ces bandes nécessitent un toilettage urgent pour libérer la place aux nouveaux investisseurs ou ceux déjà existants». Les demandes d’assignation de ces fréquences formulées par les opérateurs demeurent vaines, bien que la loi oblige le régulateur à les satisfaire «de manière objective, transparente et non discriminatoire».
Quant au contrôle de ces fréquences, l’ARPT est «purement et simplement démunie», révèlent nos sources, qui expliquent qu’elle «ne dispose d’aucun outil technique lui permettant de remplir cette mission normalement et d’anticiper les éventuels problèmes de brouillages entre les opérateurs, en vérifiant notamment la bonne utilisation de la fréquence assignée». Pour ces experts sollicités par Algeriepatriotique, les opérateurs sont en droit de demander au régulateur de disposer de technologies récentes de contrôle des fréquences installées sur l’ensemble du territoire national «car ces fréquences sont chèrement payées». Autrement dit, l’ARPT perçoit des redevances pour un travail qu’elle n’effectue pas. Sachant qu’un canal GSM coûte 10 millions de dinars, que chaque opérateur mobile dispose de 70 canaux, la redevance globale annuelle se chiffre à 2 100 millions de dinars. Une somme colossale qui rentre indument dans les caisses de l’ARPT.
Cette institution, dont la gestion catastrophique a poussé un directeur général à claquer la porte en refusant de cautionner le travail de sape de son ancienne présidente, Zohra Derdouri(2), fait preuve de subjectivité et de discrimination dans l’approbation des catalogues d’interconnexion des opérateurs. «Ces catalogues, qui sont soumis chaque année à l’ARPT pour approbation, contiennent les tarifs d’interconnexion des réseaux des opérateurs fixes et mobiles», expliquent nos sources, qui soulignent que «la loi sur les télécommunications dispose que ces tarifs d’interconnexion doivent tendre vers les coûts de production, ce qui signifie que la législation interdit aux opérateurs de réaliser des marges bénéficiaires sur les services de l’interconnexion». Cependant, l’approbation de ces catalogues par l’ARPT est en porte-à-faux.
L’ARPT, dont la gestion opaque est décriée depuis longtemps(3), est aussi chargée de délivrer les autorisations d’exploitation ainsi que l’agrément des équipements terminaux devant être raccordés aux réseaux de télécommunications. Pour ce qui est de l’octroi des autorisations d’exploitation aux investisseurs, la loi oblige le régulateur à répondre aux demandeurs dans un délai maximum de deux mois. L’ARPT a non seulement transgressé cette disposition légale, mais elle retiré plus de 80 autorisations aux fournisseurs d’accès à Internet.
«Comment démocratiser l’Internet dans notre pays si, dans le même temps, les opérateurs sont découragés avec de tels agissements irrationnels ?», s’interrogent nos sources, qui révèlent qu’en ce qui concerne l’octroi d’agréments de conformité pour les équipements terminaux de télécommunications, l’ARPT «paye à vue» alors qu’elle ne dispose d’aucun laboratoire ni d’aucun équipement adéquats pour ce faire. Un autre volet important de l’Autorité de régulation porte sur l’arbitrage dans les conflits qui peuvent survenir entre opérateurs.
«Bien que cette mission doive être menée avec une grande impartialité et objectivité, plusieurs recours en cassation des décisions de l’ARPT ont été déposés auprès du Conseil d’Etat car les opérateurs se sentent lésés par le verdict de l’Autorité de régulation», notent nos sources qui ne comprennent pas comment l’ARPT, qui, dans les années 2000, était considérée comme la meilleure d’Afrique et dans le monde arabe, a régressé à ce point.
Pour eux, l’Autorité de régulation «doit être l’un des moteurs du développement des télécommunications» et «jouer pleinement son rôle». Les experts interrogés par Algeriepatriotique sont convaincus que le ministre de la Poste et des TIC est tenu d’intervenir à chaque fois que les dispositions légales ou réglementaires sont bafouées «y compris par l’ARPT», bien que cette entité soit indépendante, car, estiment-ils, «nul n’est au-dessus de la loi».
L. S.
Prochaine partie : Algérie Télécom : un mammouth nourri à la mamelle des opérateurs privés
(1) https://www.algeriepatriotique.com/article/djezzy-comment-l-arpt-fait-perdre-deux-milliards-de-dollars-l-algerie
(2) http://50.62.10.145/article/le-directeur-general-de-l-arpt-claque-la-porte
(3) https://www.algeriepatriotique.com/article/des-experts-en-tic-algeriepatriotique-l-arpt-veut-assurer-une-regulation-sur-fond-d-opacite
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