Une constitution peut en cacher une autre
Par Mohand Ouabdelkader – Il fut un temps, un fou, un mégalomane adoubé d’une volonté morbide de gouverner avait, dans ses moments de bouffées délirantes, accouché de ce qui semble nourrir, encore aujourd’hui, le Moi apocalyptique de nos gouvernants : la meilleure façon de contrôler un peuple et de le contrôler complètement, c’est de lui retirer un petit peu de liberté à la fois, pour rogner ses droits par des milliers de réductions minuscules et presque imperceptibles. De cette façon, les gens ne verront pas qu’on leur retire ces droits et ces libertés jusqu’au point où ces changements ne pourront plus être inversés. Hitler est mort, mais sa pensée continue, de la façon la plus sournoise, lénifiée et indolore, à faire autant d’émules parmi les cassis du pouvoir d’en haut que de victimes parmi le petit peuple d’en bas.
La Constitution en cours de validation n’est que l’illustration d’une longue et apocalyptique tradition de maintien en vie du pouvoir contre la volonté de démocratie et de liberté. De la toute première Constitution, qui date de 1963, à celle qu’on s’apprête à faire passer dans les prochains jours, aucune n’a garanti la moindre des libertés individuelles et collectives. Toutes ont connu, au passage de chaque Président, des révisions de lois et des amendements qui accommodaient ceux qui sévissaient et asservissaient ceux sur qui les sévices s’abattaient. De conjonctures politiques défavorables au pouvoir à des accointances idéologiques, de nature à sauver le régime, des partis islamistes ont vu le jour et des Présidents à vie sont venus remettre en cause le principe de l’alternance au pouvoir, même lorsque celui-ci était, de tout temps, largement piétiné.
La question de savoir qui élabore les textes de loi qui insufflent la trajectoire fondamentale de bonne gouvernance à laquelle doivent se soumettre nos dirigeants, est étroitement liée à la légitimité politique de ces derniers et au projet de société sans lesquels aucun texte de loi, même ceux littéralement inspirés de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, ne peut garantir aux citoyens un Etat de droit. A l’avènement du Hirak, Gaïd-Salah, en farouche cerbère du régime dont il a été artisan, a refusé opiniâtrement l’application de l’article 7 de la Constitution qui stipule que le peuple est la source de tout pouvoir.
Toutes les Constitutions, depuis Ben Bella en 1963, jusqu’ à celle moult fois amendée par Bouteflika jusqu’à ce qu’il obtienne la garantie d’une présidence à vie, avec et grâce au soutien de Gaïd-Salah, n’ont été que le paravent derrière lequel se jouait les plus infâmes tragédies. Asservissement des femmes, utilisation de la religion à des fins politiques, bâillonnement de la liberté d’expression et de rassemblement, négation viscérale de l’identité amazighe du pays, canonisation de la fonction présidentielle, relégation au second plan des prérogatives de l’Assemblée populaire nationale, spoliation des richesses du pays, etc.
Depuis, nous collectionnons les pertes en termes de droit, petit à petit, à chaque fois un peu plus, jusqu’à ce que l’on oublie le pourquoi que l’on vit, le pourquoi d’aller voter pour une Constitution qui, même si elle nous miroite les plus beaux textes humanistes que l’on n’a encore jamais connus, est déjà corrompue par le fait qu’un journaliste, Khaled Drareni, pour ne citer que lui, et tant d’autres victimes de la répression politiques, croupissent dans les prisons du pays.
Le choix du 1er Novembre comme date du référendum constitutionnel incarne le lien sémantique entre l’illégitimité révolutionnaire et l’illégitimité politique dont les dirigeants se drapent depuis l’indépendance du pays. Une chose est sûre : l’argent et le pouvoir sont comme l’opium, ni l’un ni l’autre ne tient sa promesse.
M. O.
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