Une opposante syrienne sous-traite pour allumer une guerre ethnique en Algérie
Par Youcef Benzatat – «Initiative de réforme arabe» (IRA) est un think tank fondé en 2005 par la controversée politologue syrienne Bassma Kodmani, dont le siège est situé à Paris. Elle est également co-fondatrice du Conseil national syrien en exil (CNS), le 15 septembre 2011 à Istanbul, en Turquie. Il s’agit d’une organisation cofinancée par les Européens et les Américains, qui ont été rejoints plus tard par les monarchies arabes du Golfe. Son objectif, selon ses fondateurs, «est de faire avancer le changement démocratique dans les pays arabes, […] en mobilisant des intellectuels, des militants, des femmes, des représentants de la société civile, des groupes de défense des droits de l’Homme, les mouvements sociaux, les partis politiques, le secteur privé et les médias.»
Sa directrice, Basma Kodmani, déclarait, le 9 janvier 2009 : «Nous travaillons sur un calendrier de cinq à dix ans. Nous voulons contribuer à ouvrir l’espace public de débat dans les sociétés arabes. Nous croyons que la réforme de l’éducation, celle du statut de la femme, celle de la religion et des institutions religieuses, passent par une réforme du politique, c’est-à-dire des révisions constitutionnelles, des élections libres, une alternance à la tête des Etats, une indépendance du pouvoir judiciaire. […] Notre idée est de permettre la jonction entre des éléments réformistes au sein des gouvernements et une opposition modérée prête à rejoindre le pouvoir, afin d’enclencher une réforme pacifique et graduelle».
C’était la veille de ce qui a été convenu d’appeler le «printemps arabe», devenu par le «hasard» des circonstances, un hiver chaotique de destructions, de déplacements massifs de populations, de crimes aveugles contre les populations civiles et le démembrement de plusieurs pays.
Cette organisation poursuit encore ses activités de «démocratisation» des pays arabes aujourd’hui, en ciblant cette fois-ci l’Algérie. C’est dans ces circonstances que j’ai été approché, il y a quelques jours, par l’un de ses membres, disant s’appeler Stephan King, probablement un pseudonyme emprunté au grand écrivain, prix Nobel de littérature, du même nom, pour répondre à une série de questions sur le «racisme anti-noir en Algérie» : «Je suis un professeur afro-américain qui écrit une série d’articles sur le racisme anti-noir dans le monde arabe, puis-je vous interviewer sur le sujet ?».
Après lecture de ses questions et l’orientation explicite de leur objectif, je suis parvenu à me faire une idée très claire sur les méthodes de recrutement des «contrebandiers» du militantisme, sur le ciblage de l’Algérie pour y provoquer le chaos dans le but de sa partition et sa recolonisation. En résumé, la série de questions vise l’investissement du Hirak par un sous-entendu fallacieux fondé sur une supposée «persécution de minorités», considérée comme un crime contre l’humanité. Ce qui constitue une porte ouverte à l’ingérence étrangère et à une intervention armée si le Hirak basculait dans la violence.
Voici, ci-dessous, les questions posées et mes réponses.
Présentez-vous aux adeptes de l’Initiative de réforme arabe…
Je suis un militant indépendant de toute structure politique ou associative et je milite pour un Etat souverain en Algérie, à savoir, un Etat désaliéné du militaire, du religieux et de l’identitaire, où tout Algérien et toute Algérienne puissent être représentés et se sentir respectés à travers leur seule appartenance à la nation algérienne sous la catégorie citoyenne. Je milite essentiellement par la production d’articles de presse, en tant que journaliste indépendant, avec la publication d’un premier roman qui traite de cette problématique.
Les raisons pour lesquelles je ne suis lié à aucune structure politique ou associative résulte du fait que la revendication d’un Etat souverain, tel que je l’ai défini plus haut, ne recueille pas significativement d’adhésion parmi les réseaux politiques et associatifs existants en Algérie. Cela ne me décourage pas, pour autant, car je suis persuadé que c’est la seule issue pour la transition d’une société traditionnelle vers une société moderne avec toutes les conséquences que cela implique en termes d’organisation politique, sociale et culturelle de la société.
Le racisme existe dans tous les pays du monde mais varie selon les contextes. Quels sont le contexte et les manifestations du racisme anti-noir en Algérie ?
L’Algérie est un haut lieu du métissage humain, lié à un brassage de sa population autochtone, amazighe, depuis près de trois millénaires, depuis l’établissement des premiers comptoirs phéniciens sur ses rivages méditerranéens. Ce premier brassage sera augmenté durant l’histoire par des populations venues de l’Est et du Nord, tels que les Hébreux, les Grecs, les Romains, les Byzantins, les Vandales, les Arabes, les Espagnols, les Portugais, les Ottomans et autres Européens venus dans le sillage de la colonisation française. Durant toute cette période, des populations noires africaines sont venues, elles aussi, des frontières sud du pays et n’ont pas manqué de venir s’établir sur le territoire algérien pour enrichir encore de leur présence la composante humaine de la population algérienne. Parmi elles se trouvent des populations originaires du Mali, du Niger, du Soudan, du Tchad et de beaucoup d’autres pays de l’Afrique de l’Ouest.
Toutes ces périodes de l’histoire ont été autant de contextes pour voir se développer un racisme anti-noir qui leur est relative. Aujourd’hui, en Algérie, le sentiment qui domine est que toute la population algérienne est assimilée à la nation sans distinction de couleur. Il n’y a pas, à vrai dire, de racisme basé sur la haine et le rejet du Noir, mais, naturellement, il existe comme partout ailleurs un racisme virtuel, alimenté beaucoup plus par des contextes d’altérité liés à l’apparence physique que proprement ethnique ou anthropologique. Il faut rappeler que le métissage opéré entre Noirs et autochtones s’était produit essentiellement dans les établissements humains du Sud de l’Algérie et résiduellement dans le Nord. Au point de ne plus pouvoir faire une quelconque distinction ethnique entre les habitants d’un lieu.
Schématiquement, l’Algérie est fortement métissée aux Noirs dans le Sud et méditerranéenne et orientale dans le Nord. C’est cette distribution des populations sur le territoire national qui explique certaines résistances au métissage aujourd’hui entre les deux catégories de populations avec une prédominance des refus des mariages mixtes chez les familles nordistes. A part les discriminations dans les mariages, il n’y a pas une véritable hostilité systématique envers les populations à fort métissage noir.
Existe-t-il des associations ou des dirigeants qui s’emploient à mettre fin au racisme anti-noir et à la discrimination contre les citoyens noirs algériens ? Sinon, pourquoi pas ?
Il n’existe pas en Algérie d’associations ou des dirigeants qui s’emploient à militer contre le racisme anti-noir car celui-ci n’a pas une réelle existence dans les interactions humaines ou institutionnelles, voire administratives. Comme il est précisé plus haut, son existence est de l’ordre du virtuel, qui est propre à toute forme d’altérité et ne se traduit en aucun cas par des comportements de rejet ou haineux ou de quelques violences soient-elles, excepté dans le cas des mariages mixtes. L’Algérie n’est pas l’Amérique du Nord ou l’Europe, qui ont rencontré les peuples noirs dans des contextes de violence (coloniales) sur des périodes relativement courtes pendant l’histoire. Les Noirs en Algérie ont de tout temps vécu sur son territoire depuis des millénaires dans des conditions pacifiques et de solidarité humaine.
Quelle est la relation entre le racisme anti-noir et le mouvement Hirak en Algérie ?
On peut considérer que l’ethnicisme adopté par le mouvement séparatiste du MAK, qui milite pour le nationalisme ethnique et la quête de la pureté ethnique amazighe, exclut d’emblée les populations noires ou métissées de leur projet de société en tant que populations non-autochtones. Pour le reste de la population algérienne, les noirs sont une partie intégrante de la nation algérienne. Ce sentiment est renforcé par la culture religieuse musulmane qui est dominante dans la société algérienne, par la transcendance des différences ethniques devant l’impératif d’appartenance à une foi commune.
Si les Algériens noirs s’organisaient pour mettre fin au racisme anti-noir dans leur patrie, quels seraient leurs objectifs spécifiques de changement ? A quelle discrimination sont-ils confrontés ?
La question nécessite deux réponses distinctes. La première concerne le problème de l’altérité dans son acceptation universelle. En Algérie, cette altérité connaît une distribution très complexe. L’identification à des segments civilisationnels, ethniques, voire régionaux, constitue l’essentiel de cette complexité. Certains s’identifient en tant qu’Arabes, d’autres en tant qu’Amazighs ou Turcs, Maltais, mais rarement en tant que Noirs comme spécificité due à leur couleur de peau. Ils se distinguent plutôt en tant qu’habitants du Sud-Ouest, du Sud-Est, des portes du désert, des confins du Sahara, et ces derniers ont des affinités proches avec les Maliens, les Nigériens et les Tchadiens. Cette situation ne peut qu’engendrer un ressentiment généralisé des uns contre les autres du seul fait de l’appartenance géographique.
Le second volet de la réponse nécessite une approche proprement politique et renvoie à la question de la citoyenneté et à l’identité de l’Etat algérien. Pour rappel, l’identité de l’Etat algérien est fondée sur le triptyque arabité, amazighité, et islamité. Cette conception de l’identité de l’Etat exclut une partie importante de la population algérienne de la citoyenneté car les Algériens sont une population fortement métissée et ne peuvent correspondre à cette subdivision ethnique. Cette conception de l’Etat relève plus de l’idéologie que d’une véritable référence ethnique établie. Ceux parmi la population qui s’identifient dans cette distribution identitaire le font eux aussi par une volonté politique fondée sur l’idéologie que proprement sur la certitude d’appartenance à l’ethnie arabe ou amazighe.
Les structures mentales néopatriarcales et l’imaginaire mythologique religieux dans lesquelles la majorité de la population est aliénée rendent la tâche très facile pour le pouvoir central et les élites ethnicistes arabes et amazighes d’instrumentaliser cette subdivision. Dans ce cas, il me paraît évident que les objectifs spécifiques de changement que pourraient revendiquer les populations de couleur ou ceux qui se reconnaissent en tant que métisses, généralement, seraient la revendication d’un Etat souverain, désaliéné de l’identitaire, qui met au même pied d’égalité tous les citoyens de la nation algérienne.
Quelle est la relation entre les migrants noirs subsahariens et la communauté noire d’Algérie ?
Le regard que porte un Noir algérien sur un migrant subsaharien est le même que celui de n’importe quel Algérien du Nord, à savoir une source d’insécurité supplémentaire et de désordre dans le paysage urbain pour les uns, et un sentiment de compassion et d’empathie pour d’autres, comme partout ailleurs où ces migrants ont choisi de se rendre. Cependant, il faut admettre qu’il peut y avoir certainement un sentiment d’affinité de couleur de peau qui fait que se dégage de cette rencontre plus d’humanité qu’avec un Algérien du Nord. Cette hypothèse, bien évidemment, est purement théorique car l’humanité d’un individu quelconque ne peut dépendre de sa couleur de peau, mais plutôt de son éducation et de sa sensibilité personnelle.
Quelle est la relation entre les Berbères algériens (amazighs) et ses citoyens noirs ? Se coordonnent-ils pour protester contre la discrimination ? Sinon, pourquoi pas ?
J’ai déjà répondu à cette question un peu plus haut. Mais je voudrais apporter une précision sur la formulation de votre question. Lorsque vous dites les «Berbères algériens», vous reconnaissez d’emblée l’existence en Algérie d’une ethnie pure qui aurait échappé au processus trois fois millénaires de métissage, y compris avec des populations à la couleur de peau noire. Notamment dans le Hoggar et le Tassili, ainsi que dans beaucoup d’autres régions berbérophones, y compris dans le Nord.
On peut parler, dans ce cas, de survivances de cultures et de parlers amazighs dans différentes régions d’Algérie, mais fortement traversés d’une transculturalité à des échelles variables d’une région à l’autre, comme l’est la population algérienne dans son ensemble. Cette approche est valable aussi bien pour une quelconque autre population, arabe ou noire, à prétendre à la pureté ethnique et qui ne sont que chimères et objets d’instrumentalisation d’idéologues animés de conceptions identitaires ethnicistes.
Les autorités algériennes ont récemment promu une «loi sur la prévention et la lutte contre la discrimination et les discours de haine». Qu’est-ce qui a motivé cette loi ? Qu’est-ce que les autorités espèrent réaliser avec la loi ? Quel sera l’impact de la loi sur les citoyens noirs algériens ?
Cette loi a été dictée principalement par le développement d’une certaine forme de violence verbale sur les réseaux sociaux et sur une certaine presse partisane, sitôt transformée en racisme structurel entre ceux qui s’identifient en tant qu’Arabes et ceux qui s’identifient en tant qu’Amazighs. Cette loi est venue à point pour éteindre un début d’incendie qui aurait pu dégénérer en des affrontements faussement interethniques, mais dont les protagonistes s’identifient en tant que tels.
Ce sont principalement les idéologues séparatistes du MAK qui militent dans le cadre du nationalisme ethnique, d’une part, et les islamistes partisans de l’arabité de l’Algérie, d’autre part, qui sont les principaux pyromanes de cette tension. Il faut rappeler que les citoyens de Kabylie, en majorité, ne se sentent pas concernés par cette cabale et rejettent catégoriquement les discours ethnicistes de ces idéologues en se considérant en tant qu’Algériens à part entière. Cette loi ne peut être que bénéfique pour les Algériens de couleur de peau noire, non pas pour atténuer une discrimination envers eux du fait de leur couleur de peau, qui n’existe pas en soi, du moins dans les proportions dont vous les affublez, mais plutôt par l’éradication des discours ethnicistes qui les réduisent à des citoyens indus comme pour tous autres Algériens et Algériennes qui ont conscience de leur filiation métissée.
Pourquoi les mots extrêmement désobligeants «esclave», «serviteur» parmi eux, pour désigner les Algériens noirs, ont-ils continué à être fréquemment utilisés dans le pays ? Quelles sont les autres insultes raciales courantes en Algérie et quelle est leur signification et leur origine ?
Les mots «esclave» et «serviteur» ne sont pas d’abord en usage en Algérie et encore moins d’un usage fréquent ! C’est une contrevérité alimentée par une propagande sournoise. Le mot «âbîd», qui signifie «esclaves» en langue arabe, n’a pas son équivalent dans la langue parlée des Algériens, la derja. Certes, il y a une tradition de réduction au statut de serviteur des populations à la couleur de peau noire, mais celle-ci concerne toute personne offrant des services domestiques à une famille bourgeoise, contre une rémunération conséquente. Le recours à ce terme concerne, en l’occurrence, également, les populations à la peau blanche. En derja, le mot en usage est «khdima» au féminin, et «khdim» au masculin. Il recèle, en effet, une connotation discriminatoire, toutefois non pas à cause de la couleur de la peau, mais plutôt du statut social.
Cependant, comme dit plus haut, la population noire est généralement stigmatisée par le reste de la population algérienne du fait du problème d’altérité structurel dans la société. Dans notre cas, nous ne sommes pas dans les schémas discriminatoires en vigueur en Europe et en Amérique où les Noirs sont explicitement tenus pour une race inférieure et ne peuvent être considérés pour les égaux de l’homme blanc. Il en va autrement en Algérie. Les Noirs sont stigmatisés exclusivement à cause de la couleur de leur peau et de leurs traits négroïdes, comparativement à la couleur de leur propre peau, survalorisée par sa blancheur, comme s’il s’agissait d’un handicap, au même titre que pour tout autre handicapé par une malformation congénitale, accidentelle ou tout simplement victime d’un accident corporel de la vie. De cette façon, on les désigne couramment par les termes puisés dans la derja «kahlouche», «babaye», «oussif», voir «nigrou» pour signifier la couleur de leur peau noire et exclusivement en référence à la couleur de leur peau.
C’est cette prédisposition mentale qui fait que les mariages mixtes entre une femme blanche et un homme noir, dans la majorité des cas, ne recueillent pas l’approbation des parents de la femme ou des femmes elles-mêmes lorsqu’elles reçoivent une demande en mariage d’un homme noir.
Quelles réformes proposeriez-vous pour contrer le racisme anti-noir vieux de plusieurs siècles en Algérie ?
Si l’on peut parvenir à éradiquer le racisme par les réformes des lois, en durcissant la pénalisation des discriminations raciales, peut-on réellement réformer le racisme virtuel ? Je ne pense pas que cela relève d’une quelconque action institutionnelle, juridique ou cognitive. Le problème du racisme virtuel est une affaire civilisationnelle et je suis persuadé qu’il ne disparaîtra de la surface de la terre que lorsqu’il n’y aura plus de dominante de couleur chez les populations des établissements humains sur toute la planète. Le processus d’accélération des migrations et les conséquences sur les métissages des populations me semblent être le seul remède à ce désagrément que subit l’humanité en termes de racisme et de discriminations dus à la couleur de la peau ou à la forme des traits du visage. Telle est la condition humaine.
Y. B.
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