La mondialisation cherche une aubaine pour sortir de son propre bourbier
Par Ali Akika – Une féroce guerre «souterraine» a lieu sans que l’opinion internationale soit au fait de ce mystérieux champ de bataille.(1) On ne mesure pas encore que l’issue de cette guerre sera décisive dans la configuration de la géopolitique de demain. Ladite guerre se déroule autour des technologies du numérique et de l’intelligence artificielle qui rythment d’ores et déjà la vie économique et la géostratégie. Même les secteurs névralgiques de la défense et de la sécurité des Etats ne sont pas totalement à l’abri des cyberattaques. On connaît grosso-modo les adversaires de ce champ de bataille.
Les Etats-Unis, jadis maîtres du jeu, ont quelques difficultés à faire la loi. L’Europe traîne des pieds car elle n’a pas les moyens de ses ambitions. Deux pays, la Chine et la Russie ont dépassé le stade de l’ambition, ils sont devenus des acteurs majeurs dans la maîtrise de cette guerre des technologies high-tech sans oublier leur puissance économique et le militaire.
Les futurs pôles de la mondialisation de demain auront des liens évidents avec le poids et de la maîtrise de ces technologies. L’actuelle mondialisation qui bat de l’aile pas uniquement à cause du coronavirus est à la recherche d’une «astuce» pour redonner de la vigueur à ses ailes. Sera-t-elle le seul pôle qui a la maîtrise de ces nouvelles technologies comme jadis le charbon et le pétrole ? Pourra-t-elle faire face ou tenir en respect les nouvelles puissances émergentes qui bousculent d’ores et déjà les hégémonies issues du triomphe du capitalisme industriel et financier (Etats-Unis et Europe) ? Mais pour esquisser modestement les contours de la «nouvelle» mondialisation en gestation, il me faut faire un détour par celle que le monde subit de nos jours.
Le capitalisme depuis sa naissance a connu moult crises. A chaque fois, il a rebondi et surmonté les épreuves rencontrées. A l’heure du coronavirus, quelle surprise nous réserve la «flamboyante» mondialisation pour sa survie ? Va-t-elle surprendre son monde en sortant vainqueur (et à quel prix) de la crise actuelle comme le firent le capitalisme des fabriques, de l’industrie, de la finance ? Quelles sont les ressources qui lui ont permis de guérir de ses «maladies» et autres accidents de son parcours historique ? Disons-le rapidement, ce fut d’abord grâce à la nouveauté et à la nature (essence) de cette économie née à la Renaissance sur les débris du féodalisme. Une économie qui accumule une partie de la richesse produite pour ensuite l’investir.
En s’épanouissant dans sa terre natale (Europe), ce système rencontra des obstacles de taille, le manque de matières premières et le besoin de vendre ses marchandises ailleurs. Ensuite, les découvertes scientifiques et l’esprit d’aventures l’incitèrent à explorer les régions inconnues. La conquête des continents «vierges» qu’il transforme en théâtre de la prédation des richesses, prédation qui révélera le paradoxe d’un système qui libéra chez lui le paysan du servage pour créer l’esclavage chez les autres. Guerres inlassables sur le continent européen et guerres coloniales féroces vont inaugurer un cycle de confrontations entre puissances qui a atteint son paroxysme avec les deux guerres mondiales (1914 et 1939).
Les guerres offrent l’occasion de reconstruire les ruines que l’on vient de causer. Des reconstructions qui nécessitent des investissements gigantesques du type plan Marshall. Mais les guerres sont aussi un stimulant de la recherche scientifique, laquelle offre des technologies pour augmenter la production et la rentabilité des industries. Et c’est encore la science qui stimula et facilita la mondialisation, celle que nous vivons. Le monde entier devint la banlieue de quelques métropoles nommées par leur bourses, Wall-Street, la City of London, etc. L’espace ainsi rétréci est traversé à la vitesse grand V accéléra la circulation des biens. L’accumulation du capital et la circulation de l’argent, ces deux piliers du capitalisme, en ont fait une «forteresse imprenable». Avec le coronavirus, allons-nous assister à une pochette-surprise où le système va puiser quelque astuce pour sauter l’obstacle santé/récession économique provoqué par cette maladie ? Hélas pour lui, l’ennemi d’aujourd’hui ne ressemble pas à celui d’hier.
En ces temps-là, la guerre vraie des hommes contre d’autres, et les embargos suffisaient à isoler, à assiéger, comme au moyen-âge, une forteresse et l’anéantir. Manque de pot, aujourd’hui, c’est un ennemi invisible qui assiège la planète entière. Cet étrange ennemi qui plus est pratique la «guérilla» (frapper et disparaître), une tactique contre laquelle les Etats mastodontes ont révélé leur impuissance. En France, le président Macron tenta l’esquisse d’une tactique pour colmater les brèches du système, en déclarant : «Nous devons remettre en cause des lois du marché.»(2) Surprenant aveu dans la bouche d’un Président connu pour avoir été un brillant financier d’une banque internationale ! Il ouvrit ainsi la voie à des spécialistes qui se mirent à cogiter pour que le bateau ne prenne pas l’eau.
Ces spécialistes, connaissant le rôle des guerres dans le «sauvetage» du système, n’allaient tout de même pas suggérer la guerre. Ils ne sont quand même pas fous comme ce Hitler qui commit l’erreur fatale de s’attaquer au pays de la grande Catherine de Russie, de Pouchkine, de Lénine sans oublier l’enfant terrible du capitalisme, les Etats-Unis qui se réveillèrent de leur sommeil isolationniste.
Ainsi, «nos» spécialistes se contentent de montage financier classique. A coups de milliards d’euros de la planche à billets et quelques petites réformettes pour faire oublier leur vision du profit à tout crin, ils conseillent de «corriger» les erreurs des délocalisations en rapatriant certaines usines. Quant à la finance qui crée de la monnaie, l’Europe, zone de libre-échange mais sans Etat central, n’a pas la puissance politique et économique des Etats-Unis. Ces derniers ne laisseront pas l’Europe s’adonner à quelque aventurisme car ils veulent rester les banquiers du monde et leur dollar est la seule monnaie qui circule sans entrave dans les tuyaux de la finance internationale. Tous les plans mis sur la table en Europe ne sont pas à la hauteur de la profondeur de la crise qui couvait bien avant l’apparition du coronavirus.
Ce coronavirus est seulement un révélateur politique qui ne doit pas masquer les contradictions qui minent le système dit libéral. Lequel est censé reposer sur la rationalité de la «science» économique. Le traité de Maastricht a imposé au nom de cette rationalité les 3% du déficit budgétaire. Aujourd’hui, avec la planche à billet et l’argent «gratuit» (intérêt négatif), le déficit a doublé et personne ne trouve rien à dire.
Au regard du long et tortueux parcours du capitalisme, la mondialisation va-t-elle, peut-elle trouver une «astuce» pour sortir du bourbier actuel ? En mettant de côté pour l’heure l’utopie de la remise en cause de la nature de la mondialisation, on peut supposer que celle-ci va puiser dans les vieilles recettes, quitte à les adapter aux nouveaux rapports de force aussi bien internationaux qu’aux progrès de la démocratie dans les pays. Personne n’est à même de prédire les conséquences dans toutes leurs ampleurs de la dynamique en cours.
Les contradictions économiques et politiques s’aiguisent aussi bien sur la scène internationale qu’à l’intérieur des pays. Le monde fait face à une situation sanitaire exceptionnelle devenue ingérable à cause de la complexité du monde contemporain. Complexité de son appareil de production, des transports, de son urbanisation ; bref, de son mode et manière de vivre. Complexité et tension dans les relations internationales où la distribution des cartes géopolitique peut à tout moment entraîner des dérapages. Les déclarations démentielles de certains politiques qui parlent d’attaque préventive contre d’autres pays ne sont pas à négliger.
L’Allemagne nazie et le Japon impérial (3) ont attaqué la Pologne et les Etats-Unis sans aucune déclaration officielle de guerre. On sait où ça a mené le monde. Aussi, ce ne sont pas les replâtrages plus ou moins réussis de la mondialisation qui vont éloigner les menaces de guerre. Il faut aussi compter avec l’arrogance conjuguée avec des impasses de leur politique, qui risquent de pousser certains Etats à commettre des actes irrationnels.
Les guerres et la tension dans les relations internationales font peser sur le monde de graves menaces. Ces bruits de bottes font penser à d’autres époques où des Etats, partageant la même économie et les mêmes institutions élues démocratiquement, se sont fait la guerre avec une rare violence destructrice. De sombres nuages virevoltent de nos jours au-dessus d’une Humanité qui semble désunie face à l’effroi d’un danger qui s’approche à petits pas. A moins qu’une surprise ne vienne, comme d’habitude, sauver le système dominant. Ou bien, et ça sera une vraie et agréable surprise, nous assisterons à une période qui ouvrira plutôt la voie à d’autres rapports au monde où le mot solidarité détrône la cupidité qui n’a que trop duré.
A. A.
(1) J’avais signalé l’arrestation au Canada de la fille de Huawei, fabricant de la 5G chinoise, accusée d’espionnage. Les Etats-Unis prennent prétexte pour interdire le marché américain à la 5G chinoise. La guerre continue avec l’interdiction de l’application de Tiktok.
(2) Ce 2 octobre, j’ai entendu et vu Macron à la télé reconnaître que l’économie n’est pas une science, tout au plus de la psychologie. En ce sens, il renoue avec les fondateurs de l’économie politique (Adam Smith, David Ricardo) repris par Karl Marx. Il est bon de rappeler cette évidence pour calmer chez nous les spécialistes qui n’ont que ce mot à la bouche pour nous fourguer leur «scientifique» planche à billets.
(3) Ces deux pays à l’étroit dans leur espace dépourvu de matières premières ont «leur» guerre pour que leur industrie, très pointue, ait accès à ces matières premières, notamment le pétrole le poumon et le cœur de l’industrie moderne. La notion d’espace vital est une notion fasciste utilisée notamment par Hitler pour justifier la conquête des territoires d’autrui.
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