Pour prétendre «libérer le pays» il faut d’abord se libérer soi-même
Par Youcef Benzatat – Il faut admettre que le mouvement populaire piétine et n’arrive plus à avancer, du moins, c’est ce qui est perceptible pour tout observateur objectif. La raison à cela est très évidente : la contre-révolution s’est dressée sur sa trajectoire et s’est soldée par la victoire. Certes, Gaïd-Salah a imposé un pouvoir de fait par la reconduction des anciennes pratiques du système de pouvoir en vigueur depuis le tournant de l’indépendance nationale, en le drapant d’une légalité d’usage et préservant ainsi le statu quo. Mais pour être objectif, il ne faut pas attribuer la contre-révolution exclusivement au coup de force de Gaïd-Salah.
La raison en est simple : si le mouvement populaire avait réussi à se doter d’un leadership consensuel porteur d’un projet de transition démocratique, préservant l’intégrité territoriale, la paix civile, l’unité du peuple, la pérennité des institutions de l’Etat et la valorisation des corps constitués pour la défense nationale, et qui aurait convaincu l’état-major de l’armée du bien-fondé de son contenu et la nécessité de le mettre en pratique pour l’intérêt suprême de la nation, l’issue de la crise aurait été certainement autrement.
Dans ce cas, si on admet objectivement que c’est le déficit d’un leadership consensuel qui a fait défaut au mouvement populaire pour réussir la transition démocratique, il faudra donc essayer d’élargir la compréhension de la contre-révolution dans les raisons qui ont empêché l’émergence d’un tel leadership.
On a pu voir, à partir de la décantation du sursaut populaire survenue quelques semaines seulement après le 22 février 2019, apparaître des slogans sous forme d’oxymores, brandis par des étudiants pro-MAK, tels que «démocratie amazighe», d’autres défilaient en affichant ouvertement le slogan «pour un Etat fédéral», ou, alors, par des islamistes, tel que «badissia-novembaria». Chacun défilant avec son emblème particulier. A partir de ce moment, la division du mouvement populaire est consommée et la potentialité d’émergence d’un leadership consensuel sera durablement hypothéquée, pour laisser un affrontement idéologique dominer les débats au sein de la population au détriment de son unité.
Même si ce clivage est d’évidence non spontané, car ces slogans sont apparus simultanément sur tout le territoire national, certainement manipulés par des parties de l’intérieur du système, des parties dans la société, voire de l’extérieur, par des parties étrangères intéressées, l’aliénation de la majorité de la population dans l’imaginaire mythologique religieux et les structures mentales patriarcales ont été les principaux coupables de l’engouement du mouvement populaire dans ce clivage contre-révolutionnaire.
Dans ces conditions, il n’est pas seulement impossible de voir l’émergence d’un leadership consensuel, issu du mouvement populaire, pouvant se constituer en un véritable contre-pouvoir, pour négocier une transition démocratique avec le pouvoir en place. Mais il serait plutôt vain de décréter la démocratie pour élire des idéologies contre-révolutionnaires, conservatrices et anti-démocratiques, comme cela s’était produit dans les années 1990.
La démocratie n’a pas besoin d’adjectif pour s’affirmer ; elle se suffi à elle-même et n’a nullement besoin d’être amazighe ou musulmane. Les oxymores qui lui ont été accolés par les parties clivantes et qui ont drainé la majorité de la population dans leur sillage est le signe de l’immaturité de la société et de son impréparation à conduire un mouvement révolutionnaire pour la consécration d’un Etat civil sous un régime démocratique.
Pour libérer l’Etat de son aliénation dans l’instance militaire et lui restituer sa vocation d’Etat civil, il faudra, au préalable, se défaire soi-même de sa propre aliénation dans les valeurs clivantes, conservatrices, anti-démocratiques et contre-révolutionnaires, qui permettra la formation d’un leadership consensuel représentatif de l’unité du peuple pour un objectif commun et pouvant se structurer en un véritable contre-pouvoir.
Y. B.
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