17 Octobre : une «histoire commune» dites-vous ?

guerre octobre
Manifestation en hommage aux victimes du 17 Octobre. D. R.

Par Ali Akika – Il pleuvait ce jour-là. C’était un mardi du mois d’octobre dans un Paris qui n’était nullement une fête. (1) La ville Lumière baignait dans le froid précoce de la morne saison automnale. Les grands boulevards, habituellement bondés de foules bigarrées, se voyaient envahir par une foule pacifique et bon enfant qui pensait «désarmer», avec ses habits de dimanche, une armée de policiers harnachés et hargneux. Les Algériens avançaient stoïquement vers les cordons de policiers dont la haine multipliait la rage de frapper ; frapper pour étouffer les cris de ces parias qui osaient manifester dans leur capitale. Ce 17 octobre 61, la Seine était rouge du sang de femmes et d’hommes tués non loin de la Butte rouge qui connut l’orgie parisienne durant la Commune de Paris (Arthur Rimbaud).

Au moment où une commission franco-algérienne veut faire œuvre mémorielle d’une Histoire «commune», il n’est pas inutile de rappeler la mort de centaines d’Algériens durant ce mardi 17 octobre 1961. Ce jour-là, déjà des voix de justes Français condamnèrent une répression inouïe. Avec les révélations de l’ampleur de cette répression, d’autres voix se font entendre depuis et demandent que cette tragédie soit déclarée et nommée crime d’Etat. Il faut espérer que la contribution de l’émigration à la Guerre de libération ne soit pas rangée dans un appendice en bas de page du travail de la commission en question.

L’Histoire s’écrit avec des mots mais elle est l’œuvre concrète des femmes et des hommes qui l’ont écrite avec leur vie, leur sang et leurs larmes. Il s’agit donc de trouver les mots vrais, les mots justes pour honorer leurs luttes. Car la vérité exige le respect de l’histoire mais aussi celui des mots. Et c’est la fusion de la beauté du récit historique et des mots qui immortaliseront le sacrifice des morts qui ont rendu la dignité aux vivants.

Et ces derniers, à chaque date anniversaire de cette tragédie, rendent hommage, sur les bords de la Seine, à ces morts qui n’ont pas eu droit à une sépulture. Comment nomme-t-on un passé quand deux camps s’opposent en bataillant chacun dans leur tranchée sous leur propre drapeau virevoltant sous des vents contraires ? De tout temps, les pouvoirs ont écrit l’histoire en veillant ensuite pour que personne ne soit tenté de jeter un trouble, de douter de l’histoire officielle. Une histoire officielle qui laisse le soin au temps d’ensevelir l’âpre vérité difficile à entendre. Pour cette histoire-là, des petits arrangements de certains avec le passé sont parfois nécessaires au regard des intérêts d’Etat.

Dans pareille situation, qui peut alors croire qu’une vraie sentence de l’Histoire, connue et reconnue par tous, puisse voir le jour ? Dans la recherche d’un consensus «fédérateur», les institutions officielles préfèrent confier pareil travail à une commission qui agit sous son parrainage et «suggèrent» des objectifs souhaitables, sous-entendu «modérées». De toute manière, ces institutions ne sont pas trop inquiètes car les lieux où sont stockés les matériaux gênants sont archivés sous le sceau du secret-défense. Précaution utile pour mettre ces secrets à l’abri de regards trop curieux !

Faudra-t-il attendre 100 ans que le temps adoucisse les regards une fois le voile de l’oubli ayant recouvert pudiquement les fantômes de la guerre ? Pour l’heure, personne n’ose décadenasser ces bunkers pour diffuser les images des villages algériens dévorés par les flammes du napalm. Exposer au public ces images remettrait à leur juste place les mots de civilisation et de barbarie au nom desquels on a organisé l’entreprise coloniale ! Pourtant, de nos jours, ne faut-il pas saisir l’occasion pour remettre à l’heure l’horloge du temps et renvoyer à leurs études les «professeurs» qui nous bassinent avec leurs élucubrations «d’entrer dans l’histoire et de fin de l’histoire». C’est ce genre de propos qui laissent libre cours, au premier imbécile venu, de déverser ses propres fantasmes sans qu’il se rende compte de l’énormité de son ignorance. Pour toutes ces raisons, mille et une questions nécessitent un débat public car l’Histoire est matière trop sérieuse pour être confiée aux seuls historiens. (2)

La mémoire habite et nourrit à la fois la conscience d’une société. Elle est la sentinelle qui veille pour que les victimes de la colonisation ne subissent pas les outrages du temps qui passe. Un peuple qui a tant sacrifié pour échapper à l’obscurité de la nuit coloniale, il lui revient d’élever chaque jour des digues pour rendre risibles les contes des nostalgiques qui se pensaient maîtres d’une terre dont l’histoire est semée de graines qui ont germé pour finir par éclater en 1871, 1945, 1954/1962. (3)

Pour tout ça, l’histoire de ce peuple ne peut être noyée dans une histoire «commune» et officielle. Les victimes ne sont plus de notre monde mais leurs enfants ne demandent pas réparation pécuniaire mais la reconnaissance des crimes d’Etat à inscrire sur les tables du droit international. Dans leur inlassable quête et avec l’aide d’enquêtes solidement documentées, ces enfants finiront par faire admettre au droit international son obligation de nommer aussi bien la victime que le qualificatif du crime. Car le rôle des acteurs de cette histoire «commune» sont de nos jours connus et leur rôle bien défini sur la scène du crime. Nombre de soldats et d’officiers français qui avaient participé à cette guerre de conquête avaient écrit et décrit leur sanglant théâtre d’opérations à leur famille en ces termes : «Après de durs combats, des jours et des nuits, nous rentrons dans nos campements. Affamés et harassés de fatigue, nous n’avions qu’une idée, dormir pour oublier les scènes que nous venions de vivre. Notre sommeil était peuplé de cauchemars provoqués par les bruits de la mitraille, les hurlements des blessés et les corps de cadavres déchiquetés qui se consumaient sous la chaleur torride du généreux soleil d’Afrique.» (3)

Tout est dit dans ces phrases et ces mots couchés dans des lettres adressées à des parents à qui on ne peut pas mentir. (4)

A. A.

Réalisateur des films Les Enfants d’octobre et Les Chasseurs de la nuit dans la ville Lumière.

1- Allusion au roman Paris est une fête de Hemingway dans les années 1950-60 quand Paris était la capitale des arts et des lettres.

2- Paraphrase de Clemenceau qui déclara : «La guerre est chose sérieuse pour être confiée aux militaires.»

3- On nous apprit que cette résistance n’était pas contre le peuple français mais contre le colonialisme. C’est pourquoi il faut rendre hommage aux Français qui ont soigné les Algériens le 17 octobre 1961 et qui se joignent à nous pour réclamer la reconnaissance de ce crime d’État.

4- Phrases inspirées par la lecture des lettres des soldats français et du célèbre essai de Tocqueville De la colonie en Algérie.

Comment (14)

    Merrikh
    18 octobre 2020 - 7 h 13 min

    Juste une petite remarque concernant la manifestation du 17 Octobre 1961 à Paris:
    la raison de cette manifestation est le couvre-feu « ségrégationniste » imposé aux seuls algériens le soir à Paris !

    Les français, ou du moins une grande partie d’entre eux, ne raisonnent qu’au travers du prisme de la religion et mélangent tout ! Certains internautes ne comprennent pas que les algériens ne sont pas comptables (responsables) des autres immigrés « musulmans » en France (et ailleurs). Un internaute français a exposé son incompréhension totale du fait qu’Israël vende des armes à l’Azerbaidjan chiite, lequel est presque en conflit avec l’Iran chiite. L’Iran soutient l’Arménie chrétienne !
    Et écrit qu’Israël a livré 3 guerres contre les musulmans !!!
    De grâce soyez un peu rationnel (l’objectivité est une autre chose), les intérêts sont au dessus de tout et les algériens doivent d’abord défendre les algériens !

    Elephant Man
    17 octobre 2020 - 17 h 55 min

    « Les victimes ne sont plus de notre monde mais leurs enfants ne demandent pas réparation pécuniaire mais la reconnaissance des crimes d’Etat à inscrire sur les tables du droit international »
    Et puis quoi encore raser les murs … 100 balles et un mars !!
    Et pendant ce temps des éternelles victimes se font indemniser systématiquement pour de l’antisémitisme VIRTUEL en France et à contrario pour des faits avérés et RÉELS vous voudriez qu’il en soit autrement.
    Le code pénal français article 212-1 définit clairement le CRIME CONTRE L’HUMANITÉ : « la déportation, la réduction en esclavage ou la pratique massive et systématique d’exécutions sommaires, d’enlèvements de personnes suivis de leur disparition, de la torture, ou d’actes inhumains, inspirés par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux et organisés en exécution d’un plan concerté à l’encontre d’un groupe de population civile ».
    Je reprends encore une ÉNIÈME fois @Anonyme 13/07/19 :
    Un raciste restera toujours un raciste.
    Il est temps pour nous Algériens de changer notre politique envers cette France pour le bien de l´Algérie.
    Une des priorités de la nouvelle république….est de régler le contentieux historique avec la France!
    La France devra ou pas demander pardon pour ces crimes, c est son affaire: on ne peut pas exiger de la grandeur de celui qui n´en a pas.
    Mais on doit obligatoirement exiger des réparations pour 132 années de crimes et d´exploitation de pillage.
    C est meme une question d´estime de soi!
    Les lois ne sont pas à GÉOMÉTRIE VARIABLE.
    Merci AP pour ce rappel et commémoration Allah Yarhmoum.

      Anonyme
      17 octobre 2020 - 19 h 52 min

      Cela fait toujours drôle de vous voir parler de racisme!! Le votre ne l’est pas bien sûr!! Vous crachez votre haine des français à longueur d’année à tel point que vous n’avez jamais voulu rendre hommage aux français comme Maurice Audin qui ont donné leur vie pour l’Algérie

        @ anonyme
        17 octobre 2020 - 20 h 36 min

        Merci d’avoir bien répondu.
        De ma part, lundi matin un petit mail sur la plateforme dédiée pour signaler ce comportement qui porte atteinte à tous les Algériens.

    Kahina-DZ
    17 octobre 2020 - 16 h 15 min

     »…la Seine était rouge du sang de femmes et d’hommes… »

    Ces massacres ont été exécutés au nom de la LIBERTÉ_FRATERNITÉ_ÉGALITÉ.

    Que ces braves âmes courageuses reposent en paix…même si elles sont au fond de la Seine..

    Paix à leur Âme…

    Cette France qui se courbe aux juifs et crache sur les musulmans
    17 octobre 2020 - 9 h 24 min

    Jamais le deux poids deux mesures en France n’a était si pesant et si flagrant. Cette France hypocrite qui se met à quatre pattes pour demander pardon aux juifs pour ses crimes antisémites, elle ose même donner des leçons des droits de l’homme pour les ‘Arméniens, elle va même s’ autofeliciter pour ses positions humanitaires que elle seule voit les bienfaits derrière ses arrières pensées malhonnêtes, elle va même s’immiscer dans les affaires internes de l’algerie pour sauver son espion drareni alors qu’elle ignore royalement les manifestations devant son ministère des affaires étrangères des sahraouis victimes des pires atrocités par le colonisateur marocain qu’elle soutien pour renforcer ses plans impérialistes en Afrique. Ou sont les delahousse, les Giles bouleau, les France 24, et autres reporters sans frontières, pour ces manifestants sahraouis victime de tortures, de meurtres, de pillage, etc ?
    Non la France n’a qu’un seul ennemi qu’elle déteste, c’est l’Algérie ! L’hypocrisie du ministre le drian hier et son discours si faux et si fourbe, crevait l’écran de ma télé ainsi que celle des algérois. Cette France dont est réputée pour avoir commis les pires crimes contre l’humanité dans l’histoire de l’homme et de la terre, ose même s’immiscer dans toutes les affaires qui concernent l’Algérie pour nous nuire et détruire: Libye, Mali, Sahara occidental, Niger, Burkina fasso, etc.
    Franchement pourquoi l’Algérie fait confiance à ce pays pendant qu’il trame avec le Maroc pour nous saboter sur le plan économique et diplomatique ? La France et le Maroc ont signé tout dernièrement un plan pour effacer l’algerie du marché africain. Franchement pourquoi vouloir absolument rester sous le giron de la France alors qu’elle ne sème que malheur, instabilité politique et pauvreté économique ? Regardez tous les pays du tiers où pas qui étaient sous développés il y a quelques années et qui sont devenus tous très développés économiquement et technologiquement, tous ont bénéficié de l’aide américaine et pas un seul de la France. La France n’a semé que malheur et sous développement.

      Anonyme
      17 octobre 2020 - 10 h 24 min

      Crache sur les musulmans??? C’est pour ça que toi et des millions de musulmans y ont trouvé refuge. Crache pas dans la soupe…

        Merrikh
        18 octobre 2020 - 6 h 58 min

        La France coloniale et ensuite les pieds-noirs se sont installés en Algérie par les armes et les massacres, rien de tout cela concernant les algériens (les algériens ne sont pas comptables des « musulmans » qui se trouvent en France lesquels s’y trouvent en raison de la colonisation/protectorat de leur pays par la France -réplique de la colonisation donc). Par les accords d’Evian, il y avait un quota de travailleurs algériens qui étaient admis en France au nom de la main d’oeuvre pour travailler dans les usines françaises. Boumédienne a rompu ce contrat début des années 70 et les algériens qui sont allés en France ensuite l’ont fait à titre individuel, encouragés par les patrons français qui leur établissaient des contras de travail à distance (parfois sur place). Les algériens n’y allaient pas les armes à la main et ne voulaient pas « coloniser » la France et après tout la France nous DOIT énormément de choses, 132 ans de colonisation se « paient » forcément !

      Kasso
      17 octobre 2020 - 10 h 34 min

      Nous le peuple Algériens si la faute aux gens qui nous gouvernent ils baisse leurs têtes devant les français et contre partie il faut protéger leurs intérêts dans les banques de France,si si des vrais patriotes qui sont a la tête de notre beaux pays ils vont obligé les autorités françaises de demander PARDON aux peuples Algériens même il sera suivie de demander les dommage et intérêts,vu le trésor qui ont volé environ 5 milliards d’euros.

        Belveder
        17 octobre 2020 - 18 h 02 min

        tu es une vraie encyclopedie toi….

    La Vérité
    17 octobre 2020 - 9 h 14 min

    Ces hommes de grande valeur sacrifiés pour rien ou presque,un colon peut-on-caché un autre plus barbare

    Anonyme
    17 octobre 2020 - 8 h 58 min

    (…) Nous avons beaucoup de choses et même de grande révélation à donner et sortir elles mêmes sorties directement des archives de ceux qui ont lancé le mot d’ordre un certain mercredi 11 octobre 1961 pour le le mardi 17 octobre 1961. Papon alors préfet de Paris avait fait une annonce direct très explicite ……………… (…)

    Anonyme
    17 octobre 2020 - 8 h 56 min

    « les pouvoirs ont écrit l’histoire en veillant ensuite pour que personne ne soit tenté de jeter un trouble, de douter de l’histoire officielle »?? Dire que le pouvoir refuse de revenir sur ses massacres et ne veut pas que les gens le sachent, d’accord, mais dire « qu’ils » ont écrit une histoire officielle est complètement faux car les écrits sur cet événement qui nous ont permis vous et moi de connaître les détails de cet événement sont accessibles. Ne pas confondre la non reconnaissance des faits et la réécriture des faits!!

      akika
      18 octobre 2020 - 8 h 59 min

      Bonjour, voici pour vous une information pour compléter vos connaissances. le rapport entre politique/idéologie est vieux comme le monde. Les vérités que nous connaissons sur le 17 octobre sont dues à des  »non » historiens comme Einaudi. Et cette conquête comme toutes les conquêtes de la liberté sont toujours arrachées. La pétition ci-dessus, est signée par des hommes politiques et historiens, preuve que le bunker où sont déposées des archives secrètes cache encore des choses. Les chiffres de morts entre 100 et 400 sont imprécis. S’il y a une plaque sur le 17 octobre, plus de 50 ans après, c’est grâce aux enfants de ces combattants qui ont dans la solitude ont manifesté, écrit des articles et des livres, fait des films et du théâtre etc… Voici un extrait de cette pétition :
       »Signée par des sénateurs, députés, élus locaux, militants et journalistes, la pétition qui a déjà recueilli près de 200 signatures revendique, en outre, que «des plaques commémoratives soient apposées dans les villes où les associations en font la demande». La pétition rappelle qu’il y a 59 ans, une sanglante répression policière à l’encontre de manifestants pour le droit à l’indépendance de l’Algérie fit entre 200 et 300 morts» et «réclame notamment l’ouverture des archives pour que la lumière soit faite sur ces événements».
      Bon courage à tous ceux qui continue le combat.

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