Le salafisme instaure ses lois : l’Algérie est-elle déjà une République islamiste ?
Par Abdelaziz Boucherit – Le besoin métaphysique est un réveil inné à la vie qui surgit, fatalement, dès l’aube de la conscience humaine. Ce sentiment précoce, de l’éternelle question qui se pose à nous avec des termes simples – qui suis-je ? Où vais-je ? – déroute continuellement la raison. Cette appétence, vieille comme le monde, de savoir qui on est vraiment provient des profondeurs obscures du silence de soi, sans qu’on sache les causes pressantes de cette problématique. Cette quête existentielle est plus difficile, aujourd’hui, dans un contexte ardu, où les repères se délitent et où les identités se précisent, de plus en plus, en nombre en s’agrégeant les unes aux autres.
Ce sursaut naturel, édifiant, commun à la nature humaine draine dans son sillage une recherche maintenue, à travers des réflexions personnelles, par mimétisme social ou par héritage implicite du milieu familial, des moments de doutes et de certitudes avant de se forger une opinion sur le mystère de sa propre existence et son orientation spirituelle. Ce curieux réflexe qui s’impose à nous, légitimement, nous place dans une recherche intrinsèque, intime et presque inconsciente sur la réalité des intérêts qui conditionnent notre vie terrestre.
Une pensée permanente, curieuse et angoissante, préoccupe, depuis toujours, la conscience de l’homme sur les sombres méandres du gouffre du néant qui guette la vie et ne lui laisse, en apparence, aucun espoir pour prétendre à la survie de son âme éternelle. La nature humaine fut, de tout temps, perdue face aux tourments des mystères qui entourent le monde réel. La raison fut impuissante de concevoir, tant bien que mal, une réponse claire pour rassurer les mortels sur leurs destinées éphémères, indéfinies et abstraites.
En somme, l’homme avait toujours tenté, sans arriver jusque-là, à vaincre, le vide qui le sépare de la vérité avec son propre destin après la mort. Même l’illusion imaginaire ne put combler, avec certitude, notre incapacité à contrôler notre bref destin.
Aucune philosophie n’est arrivée à se projeter pour apaiser les âmes, en dehors de la foi qui se rattache, avec un excès de zèle, aux certitudes des religions. Malheureusement, la conscience humaine reste incapable d’apporter une réponse scientifique unanime pour satisfaire l’angoisse de la mort. Nous sommes un élément de la nature doté du privilège d’une conscience éveillée, incapable de se définir par elle-même. Elle se perd dans les mystères, des liens ténébreux, des vastes espaces inconnus de notre univers. La jeunesse algérienne est privée de cet élan de recherche intellectuelle et spirituelle, pourtant nécessaire, pour lui garantir l’équilibre mental. Elle est interceptée au berceau et à l’école fondamentale pour la formater à suivre aveuglement les concepts imposés d’un islam détourné de sa vocation première : la paix de l’âme.
Les sentiments relayés par les mystères de la vie et la mort se définissent selon deux visions opposées : l’une admet le ressenti d’une éternité divine sans fin ; la croyance, l’autre ; l’esprit critique, une vision entachée de scepticisme, avec un regard singulier et pragmatique, se réalise autour du concept d’un monde lié à un pur hasard sans avenir. L’option de la vie sans avenir probant après la mort inquiète assurément. Si une partie, à l’image des sociétés musulmanes, croit au sacré et s’accroche, définitivement, sans se poser de questions, sur le message divin des religions, pour se rassurer et bénéficier de l’existence d’un destin meilleur dans l’au-delà, l’autre partie se résigne à vivre dans le doute, en construisant sa propre moralité, ses lois et ses philosophies inspirées du réel, en acceptant la mort comme le péril de la vie ; une fin sans suite.
La meilleure façon d’assurer le bien-être et l’équilibre intellectuel de l’être humain, c’est de le libérer pour lui permettre d’évoluer, sereinement, selon sa propre perception des choses. Chacun doit apporter sa propre réponse pour réguler la peur viscérale, qui est en lui, face à une vie incertaine et une mort qui nous propulse, sans raison, vers les contours opaques du néant. La culture objective de la mort, qui apporte la quiétude, est ignorée dans notre société islamisée.
La spiritualité est un sentiment universel ; les religions s’emparent de la fragilité de ce sentiment pour offrir les dogmes qui encadrent la vérité temporelle, spirituelle et éternelle.
L’islam est une religion comme les autres, qui se distingue, en imposant, comme principe unaire, un modèle de vie unique, qui ne peut être valable que s’il est défini autour des valeurs édictées par le Coran et son complément : la charia. En somme, aucune pensée nouvelle, aucune création sous toutes ses formes, aucune idée politique et sociétale ne doit porter le sceau de vérité, si elle n’est pas étoffée, inspirée ou issue des concepts islamiques. L’islam est un tout, une vision binaire ; tout ou rien. On ne peut accepter de retirer, renier, mettre en cause ou en doute la véracité infinitésimale de son tout véridique.
On entre dans l’islam et on n’en sort jamais. Le musulman est convaincu de la suprématie de l’islam sur les autres religions. Et, convaincu de sa suffisance, vraie ou supposée, que toutes les vérités scientifiques, sociétales et spirituelles associées à la vie sur terre et dans le ciel sont révélées dans le Coran. On peut résumer facilement cette partie du dogme musulman par : vivre dans un espace musulman clos, en autarcie, en rejetant toutes les idées venant de l’extérieur. Cette nouvelle lecture de l’islam, au demeurant insidieuse, portée par les islamistes radicaux, venant du Golfe, pervertit l’esprit attractif de l’islam des lumières.
Le salafisme, une expression nouvelle de l’islam radicalisé, s’empare de l’aubaine pour instaurer ses propres lois, en corrompant le message universel de base, d’un islam tolérant.
Ce fondamentalisme édulcoré par des formules fleuries pour flatter l’égo des musulmans fragiles monopolise tous les moyens des puissants médias, à travers le monde, des riches monarchies du Moyen-Orient. Ils déversent, inlassablement, une propagande fallacieuse et belliqueuse, à travers l’humanité entière, pour justifier l’archaïsme qui mine la grande détresse de la civilisation arabe. Ils n’hésitent pas à proférer, toute honte bue, les insanités du type : l’islam, c’est l’unique vraie religion. L’homme est né musulman et, tôt ou tard, ceux qui sont dans l’erreur des autres religions retrouveront le chemin de la vérité qui se trouve dans l’islam. Le musulman est fier de ce qu’il est, et non de ce qu’il fait.
L’islamiste consomme passivement, sans se sentir offusqué, ce que le mécréant invente. Sa fierté lui suffit pour gagner le Paradis éternel. Il n’a pas, alors, à se soucier de faire des efforts pour maîtriser les sciences et participer à parfaire l’harmonie du futur d’une humanité de bien-être et de paix. On gonfle le torse, pour affirmer haut et fort, sur tous les toits, sur un ton qui défie la raison, qu’un monde meilleur réservé uniquement aux fidèles d’Allah les attend dans l’Au-delà, au Paradis. Le salafiste cherche à imiter les mœurs, les us et les coutumes des musulmans de l’hégire et mène une vie au chaud, sans efforts, dans les mosquées. Pour lui, le travail structurant, la modernité et l’innovation sont les biens exclusifs des impies.
On sacralise la langue arabe au même titre que le Coran, en lui accolant le titre de la langue d’Allah, pour pousser vers le monolinguisme et faire obstacle, par la ruse, à l’épanouissement des autres langues vecteurs du savoir. La langue française et la langue amazighe sont menacées de disparition par une société arabisée à l’excès, islamisée avec force et fanatisée par les extrémistes qui veulent en découdre avec l’ordre mondial construit sur les bases du génie, débordant, des mécréants. En désignant, sciemment, comme adversaire la langue française, les islamistes visent, sournoisement, en réalité la langue amazighe. Le piège est bien pensé, bien ficelé par les esprits chagrins et lugubres des conservateurs irréductibles. Si la langue française disparaît de l’espace culturel algérien, la langue amazighe connaîtra une déchéance systématique. Les salafistes le savent très bien, en proposant l’idée farfelue, pour affaiblir la position de la langue française, en la remplaçant par l’anglais.
Cette façon de concevoir la religiosité, indispensable à la paix de l’âme, dressera, un jour, les gens les uns contre les autres et détournera les jeunes du véritable message universel de l’islam. Cette philosophie est la source de l’intégrisme accoudé aux piliers de l’ignorance des fervents salafistes des mosquées. Leur credo : isoler pour mieux fanatiser afin de fermer toutes les portes à la modernité. L’islam politique, par le truchement d’une armada de concepts religieux mystifiés et trompeurs, construit ses programmes politiques verbeux afin de s’emparer du pouvoir et parachever l’Etat islamique en Algérie.
Les vœux politiques des pays du Golfe commencent à prendre forme en islamisant, à outrance, la société algérienne. Aujourd’hui, l’Algérie est le pays le plus arabisé et le plus islamisé des pays du monde arabe. Paradoxalement, trente ans en arrière, l’Algérie était le pays berbère le moins arabisé et le plus disposé à la laïcité dans le monde arabe.
Il nous faut, au contraire, davantage d’esprit d’ouverture, de tolérance et du vivre-ensemble dans nos sociétés pour relever le défi de la modernité afin de rattraper notre retard technologique. Nous sommes capables de cet élan en tirant profit de la richesse de la belle diversité qui anime notre société. Nous venons de démontrer que l’islam porte en son sein le refus de la laïcité, il nous faut, donc, nous engager, un peu plus, dans une lutte acharnée pour l’instituer dans la nouvelle Constitution, en remplaçant l’article 2 par celui de la laïcité. C’est notre dernier rempart avant que notre pays ne soit de nouveau, définitivement, colonisé par les Saoudiens et les Qataris.
Les concepts de cet islam militant, avec des slogans guerriers biens huilés, aident la duplicité du pouvoir en Algérie.
En instituant, sous la pression des Arabo-musulmans, l’islam comme religion d’Etat (article 2), les pouvoirs successifs commettent l’irréparable, en donnant un statut religieux à un Etat dont le caractère multiculturel de sa population impose, plutôt, d’instaurer la laïcité. L’islam religion d’Etat s’installe en s’opposant à toute évolution sociétale, non inspirée du dogme islamique. Depuis, la société algérienne est bloquée par le piège d’un islam qui ignore, à dessein, l’accompagnement de l’évolution des sociétés modernes des pays développés.
Toutes les lois qui gèrent l’espace public et privé de la société algérienne sont d‘inspiration religieuse, conformément aux commandements édictés par la charia. Le piège se referme sur une société qui se meurt, à petit feu, en peinant à se moderniser.
A. B.
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