Ferhat Abbas et le rêve andalou ou la vie sous une même «tente spirituelle»

FA dirigeant
Ferhat Abbas. D. R.

Par Khaled Boulaziz et Kaerdin Zerrouati –  «Le dirigeant est cet homme par lequel s’opère facilement la distinction entre la franchise et le mensonge dans les paroles, entre la vérité et l’erreur dans les convictions entre la beauté et la laideur dans les actes.» (Emir Abdelkader, homme d’Etat algérien). Se souvenir, c’est d’abord donner une forme de vie à celui qui n’en a plus. Les morts nous quittent mais continuent à vivre dans nos souvenirs. Une forme d’immortalité se dégage du souvenir par autrui.

Mais le souvenir a aussi une dimension ludique, il nous permet d’apprendre. Le passé est une source inépuisable d’apprentissages, sur l’humain comme sur la société. Revisiter les grands moments de l’histoire revient à apprendre, dans le cas de Ferhat Abbas, c’est s’imprégner de l’idéal de cet Algérien qui sut allier courage et humanisme dans les moments les plus sombres de notre pays.

Epopée extraordinaire d’un homme politique de mesure face à la démesure d’une histoire malveillante.

Pour lui, tous les problèmes en Algérie se ramènent à la libération : libérer de cette honteuse servitude qui remonte à l’antiquité romaine les cinq à six millions de paysans, d’ouvriers et de khammès. Cette masse humaine n’a jamais su ni lire ni écrire.

Tous les conquérants, tous les régimes, chacun à sa manière, ont pu l’endiguer, obtenir son obéissance, l’utiliser. Mais aucun n’a jamais songé à gouverner pour elle, à lui apporter des remèdes efficaces à ses tares physiques et morales, à briser le cortège de misères qui l’opprime.

Aucun régime n’a entrepris rationnellement son éducation, son instruction, son évolution. Les civilisations l’ont à peine effleurée. Pas une n’a baigné son corps, pris racine dans son foyer. Le gourbi moderne est celui même que connurent Carthage, Rome, Sidi Okba, les Barberousse, Bugeaud. Rien n’a changé.

Fin observateur de la condition humaine, il écrit à la veille du 1er Novembre : «Si cependant quelque chose a changé, la cité antique et celle du Moyen Age n’ont pas connu le siècle de la vitesse. Elles n’offraient pas, avec la campagne, ce contraste qui, de nos jours, est devenu le caractère spécifique de l’Algérie. La cité moderne, plantée au milieu d’un bled qui sue l’ignorance et la misère, reliée avec lui par l’auto ; le chemin de fer, l’avion, le téléphone, la radio et les obligations administratives, est devenue le témoin d’âge au milieu d’un autre âge.»

Et il ajoute : «On peut dire que le progrès qui s’attache à la cité moderne, loin d’offrir des contacts, est une aggravation. Il juxtapose deux mondes séparés en réalité par des siècles et qui demeurent impénétrables l’un à l’autre. Et l’on voit ainsi, dans nos jardins publics, dans les gares des chemins de fer, dans les autobus, dans les locaux administratifs, notre paysan déguenillé, pouilleux, crasseux, timide et violent, projeter sa silhouette familière, comme une tache sombre au milieu d’une civilisation brillante.»

Quand même bien le destin aux voies insondables fit de Ferhat Abbas le premier président de cette même Algérie, indépendante et souveraine, lorsqu’il devient président du premier gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) à sa création le 19 septembre 1958, puis du second GPRA, élu par le CNRA en janvier 1960.

Infatigable défenseur itinérant aux quatre coins du monde, d’une révolution en plein essor, il n’a adopté de plaider la cause nationaliste armée qu’après s’être battu, un quart de siècle durant, pour imposer le réformisme et la non-violence, le refus des solutions extrêmes, la volonté et le courage intrépide d’un compromis historique.

Dans une interview tardive (1), il a rappelé qu’il avait appelé de vive voix, contre vents et marées, à la coexistence des trois grandes religions monothéistes, le judaïsme, le christianisme et l’islam.

Dans sa vision du monde, Ferhat Abbas pensait que tout engagement devait être inscrit dans le sillage du vivre-ensemble et qu’un mauvais compris est bien meilleur qu’une bonne guerre.

Sa conviction inébranlable pour un dialogue entre croyants émane d’une profonde probité intellectuelle que les êtres humains forment tous une famille et qu’il existe une communauté humaine et un bien universel. Son long combat s’est forgé dans le refus total de la xénophobie, la dénonciation de l’ostracisme racial et surtout le rejet des idéologies d’exclusion.

Pour lui, le dialogue entre cultures et entre croyants n’a pas seulement pour but de mieux se connaître pour éviter les conflits mais aussi à aider à l’élaboration d’une culture qui souscrit à tous le droit de vivre dans la dignité et la sécurité et qui élève le vivre-ensemble à un combat au-delà de tout combat.

Ferhat Abbas considérait les croyants des trois religions non comme des sédentaires satisfaits de ce qu’ils possèdent mais comme appartenant à la grande famille humaine, vivant sous une même «tente spirituelle» des itinérants guidés par le Créateur.

Ces croyants se reconnaissent tous spontanément non pas comme possédant la vérité divine, mais comme possédés par cette même vérité qui les guide, les entraîne, les libère, chacun dans sa ligne propre. Il est un chemin de grandeur humaine et un antidote à l’étroitesse mesquine d’un courant de pensée prônant le clash des civilisations, prêché par le prophète des ténèbres Bernard Lewis et son apôtre Samuel Huntington.

En finalité, Ferhat Abbas souscrivait à l’idée fondamentale que l’homme est constitutivement d’essence transcendantale, et le dialogue interreligieux est partie intégrante de la condition humaine.

Transcendant le temps et l’espace, l’abnégation de Ferhat Abbas pour cet idéal doit être consignée dans les réminiscences d’un rêve perdu, le rêve andalou.

A. B./K. Z.

(1) https://www.youtube.com/watch?v=K-QR6ZipBGw&spfreload=10

Comment (16)

    Aures
    23 octobre 2020 - 2 h 25 min

    “Si j’avais découvert la nation algérienne, je serais nationaliste, et je n’en rougirais pas comme d’un crime. Les hommes morts pour l’idéal patriotique sont journellement honorés et respectés. Ma vie ne vaut pas plus que la leur. Et cependant, je ne mourrai pas pour la patrie algérienne, parce que cette patrie n’existe pas. Je ne l’ai pas découverte. J’ai interrogé l’histoire, j’ai interrogé les vivants et les morts, j’ai visité les cimetières, personne ne m’en a parlé… On ne bâtit pas sur du vent. Nous avons écarté, une fois pour toute, les nuées et les chimères pour lier définitivement notre avenir à celui de l’œuvre française dans ce pays…”

    Le jour où j ai lu cette citation de Ferhat Abbas, j’ai
    compris que cet homme avait inconsciemment assassiné un pays, un peuple, une nation pour une passion aveugle qui est celle de vouloir être un français à part entière quitte à se renier entièrement jusque dans son âme, mais la France n’accepta ni son âme ni celle de ses semblables et que de français a part entière qu il fantasmait d’être, elle lui a fait comprendre qu’il est entièrement à part .
     » Dans sa vision du monde, Ferhat Abbas pensait que tout engagement devait être inscrit dans le sillage du vivre-ensemble et qu’un mauvais compromis est bien meilleur qu’une bonne guerre. »

    Cette pensée de Ferhat Abbas me révulse au plus profond de mon être et me convainc de cette intime conviction que toutes les bonnes guerres à coup de millions si nécessaire sont bien meilleures que la compromission et la soumission qu’il aurait voulu infliger au peuple algérien en vivant à la Françafricaine comme la miserable Afrique de l’Ouest ou encore à la marocaine avec la compromission de la monarchie avec les puissances coloniales et que le seul authentique guerrier marocain d’origine algérienne a rejeté en préférant s’exiler et mourir en Egypte, le valeureux Abdelkrim Khatabbi.
    Quoiqu’il y ait je m’agenouille et je prie pour ces héros illetrés, analphabètes, pauvres et sans avoir rien compris ont compris ce que Ferhat Abbas et toute son intelligence et ses connaissances n ‘ont pas compris, c est que la liberté et la dignité n’ont pas de prix et ne sont pas négociables.
    L’Algerie et son peuple ont un destin bien plus élevé que celui qu’un faux français aurait voulu lui donner, alors que même le vrai français n’y a jamais cru.
    Si l’Algerie en est là aujourd’hui, c’est parce qu’elle n’a pas choisi le chemin de la facilité, celui des compromissions et des trahisons. Chacune de ses avancées, elle l’inscrit dans le marbre avec le sang de ses audacieux. On ne change pas l ‘ADN d’un peuple farouche, rebelle et déterminé à sauvegarder sa dignité et sa liberté car intimement un grand destin attend ce peuple quelque soit encore le tribut à verser dans la sueur, les larmes et le sang. Les grands ne meurent jamais.Ils oublient temps en temps de se réveiller.
    Bien à vous.

      Anonyme
      23 octobre 2020 - 8 h 44 min

      Il faut remettre ce qu’il a dit dans son contexte. Tout le monde sait qu’avant 54 il n’était pas pour la solution armée et luttait sur le plan juridique pour que les Algériens aient les mêmes droits que les français. Mais il ne faut pas oublier qu’il a changé d’avis et a fini par se rallier au FLN avant d’être le premier président du gouvernement provisoire de la république algérienne. Tu ne penses tout de même pas que ceux qui ont fait le 1er novembre vont nommer un non nationaliste à leur tête??. La majorité de la population était dans le même cas. Si on avait fait un sondage le 2 novembre 1954 on aurait vu que 90 % des algériens ne croyaient pas à une guerre contre la France. Va lire les livres et les journaux et les témoignages d’algériens avant les années 50 et ceux du lendemain du 1er novembre. Va demander à tes grand-parents combien d’algériens parlaient d’indépendance avant la guerre. C’est surtout la répression française et ses massacres qui a fini par convaincre à partir de 1956 beaucoup d’Algériens de rejoindre les maquisards. Il faut faire attention à toujours se replonger dans le contexte de l’époque.

      Souk-Ahras
      23 octobre 2020 - 10 h 18 min

      @Aures
      Bonjour.
      Il y a une chronologie effective à respecter scrupuleusement quant à l’évolution des « visions » de ce grand homme d’État qu’était Ferhat Abbas. Trois périodes distinctes structurent cette chronologie : pré-nationalisme, nationalisme « zaîmiste » autoritaire et post-nationalisme, révolutionnaire, algérien. Visiblement, je vous rassure que vous n’êtes pas seul dans ce cas, vous êtes resté figé dans la première période. Période, je le rappelle, pendant laquelle les indigènes souhaitaient quitter leur statut de citoyens de troisième zone et être traités de la même façon que les autres « français ».
      Négliger de prendre en compte rationnellement cette chronologie c’est commettre le péché de la méconnaissance, ceci pouvant mener à occulter, par « rejet » indu, les grands combats qu’a mené ce grand homme pour l’indépendance de notre pays. Grand visionnaire, il fut un précurseurs important de la formation de la « nation » algérienne telle que nous la connaissons aujourd’hui.

      THARYALE
      23 octobre 2020 - 10 h 35 min

      @Aures – 23 octobre 2020 – 2 h 25 min – Bonjour.
      S’avez-vous que dans les années après l’indépendance, l’Algérie vendait son pétrole à la France et autres à un (01) dollar le baril qui était le cours du MOMENT.

      Et Alors
      Alors, dois-je comprendre que l’Algérie à L’EPOQUE avait inconsciemment assassiné un pays, un peuple, une nation pour une passion aveugle qui est celle de vouloir être … ?

      Moralité ?
      Simple, choisir entre le temps qui crée la notion de l’événement ou l’événement qui crée la notion du temps.

      Cordialement – Signé : A de M

      Ben Mhidi l’avait compris
      23 octobre 2020 - 17 h 47 min

      La revolution, elle est pas dans les Livres ou les Journaux, elle est dans la Rue…la ou se trouve le Peuple.
      C’est la rue qu’il faut convaincre, les partis, les theories et tous le reste sont juste des Outils pour Realiser les Aspirations du peuple qui descend dans la rue.
      Aujourd’hui, on demande a la rue de se transformer en Parti politique: ce n’est pas son role.
      Signe: Un simple serviteur du Peuple

      toto
      24 octobre 2020 - 22 h 05 min

      Après la tentative infructueuse de Massinissa, de jeter les bases d’une nation, la dernier sursaut en la matière remonte à Kahina (dans les Aurès justement) qui fut mise en échec par les soldats arabes. En ce sens, je comprends parfaitement les propos de Ferhath ABAS car avant l’arrivée des « gaouris » Ifriquia se modelait au gré des foutouhates jusqu’à l’arrivée de bouaroudj et barberousse pour nous soumettre au diktat de Souleymane elkanouni! et que donc l’an 1 de la naissance de nation algérienne a commencé en 1930, au grand dam de napoléon qui y voyait une extension de plus de son royaume arabe rêvé! berf pour te dire ya si Auress que la nation n’est pas encore achevée loin s’en faut..

    Anonyme
    22 octobre 2020 - 18 h 26 min

    Tout a été fait depuis 62 pour écarter les diplômés er ca continue encore. Le savoir a toujours été l’ennemi de ce pouvoir. 58 ans après, plus de 500.000 diplômés algériens des filières scientifiques se retrouvent à l’étranger, laissant les diplômés de lettres arabe et les diplômés de sciences islamiques diriger le pays!! Quand je pense qu’ils ont écarté un pharmacien pour nous placer un footballeur rapidement chassé par quelqu’un qui est sorti d’une zaouia!! Quel gâchis!!

      Anonyme
      22 octobre 2020 - 22 h 24 min

      Il faut que les choses soient claires ! l’exclusion le mépris envers le savoir n’a pas commencé avec l’indépendance mais bien avant. Le plus « grand Colonel » de tous les temps n’avait-il pas exterminés tous les lettrés qui pouvaient diriger réellement le futur état indépendant ? N’avait-il pas envoyé les seuls arabisant et les rares arabisants à l’époque en Syrie pour enfoncer encore plus l’avenir, n’étaient-ils pas revenus pour faire de l’Algérie ce qu’elle est aujourd’hui ? J’en ai eu moi même dans mon cursus un des ces zombi comme « professeurs » d’histoire géographie.
      Non monsieur, il faut aller à la racine du mal si on veut s’en sortir et rien ne doit rester sacré !

    Je suis pas d'accord ,
    22 octobre 2020 - 16 h 43 min

    Je suis pas d’accord avec vous mais je vous écouterez jusqu’au bout !
    la mémoire d’un grand homme qui n’a pas eu de chance avec sa destiné qui lui
    a mis les yeux à l’évidence que l’Algérie était régie par les armes et la hogra,
    ce n’était pas l’intelligence qu’il fallait en cette période de 1958 mais de la force et du courage pour écraser
    le colonisateur qui a tant verser le sang de nos humble combattant qui combattent encore
    aujourd’hui avec le noble Hirak …

    saber
    22 octobre 2020 - 16 h 37 min

    C’est dommage que (…) benbella le marocain et Boumediene ont chassé cet homme de grande envergure ils l’ont mis en résidence surveillée parcequ’il a dit a Boumediene mon fils si tu es vraiment un colonel alors tu rejoins la caserne et a benbella il lui dit on ne dirige une nation comme on dirige une équipe de foot.

    Anonyme
    22 octobre 2020 - 15 h 04 min

    Un grand merci Khaled Boulaziz et Kaerdin Zerrouati pour ce magnifique hommage et votre excellente contribution.

    Du 11eme siecle..Il y a.presque 1000 ans
    22 octobre 2020 - 14 h 19 min

    DIbn Arabi Jusqu’a Ferhat Abbas.
    Cela s’inscrit dans la longue Tradition de Tolerance Religieuse de l’Algérie et de l’Afrique du Nord.
    Du Maitre Soufi Ibn Arabi en passant par un disciple celebre, L’Emir Abdlekader qui Avec ses compagnons Algeriens, mettra en pratique ses convictions en Protégeant les Chrétiens d’Orient a Damas Contra les Fanatiques criminels de l’époque.

    THARYALE
    22 octobre 2020 - 11 h 00 min

    Messieurs Khaled Boulaziz et Kaerdin Zerrouati, bonjour.
    Laissons l’Histoire aux Historiens quant aux annales optiques de celles-ci, elles peuvent être aussi relatées sans sentence mais indétermination, comme remarquées dans vos multitudes interventions sur AP ou cette chronique d’Abdelhakim Meziani dans « FERHAT ABBAS » :

    “J’ai interrogé les vivants et les morts” C’est presque dans l’indifférence que l’Algérie a célébré la commémoration du 29e anniversaire de sa mort, le 24 décembre dernier. S’il fut l’un des rares musulmans à avoir accompli des études universitaires durant la période coloniale, Ferhat Abbas n’en restera pas moins du côté des humbles, de la société globale algérienne dont il comprendra très vite la grandeur. Pourtant, les fureurs d’Alger ne se répercutent guère en petite Kabylie où, depuis la répression de 1871, règne un ordre qui ressemble presque à de la sérénité. L’enfance de Ferhat Abbas, écrit Jean Lacouture dans Cinq hommes et la France, ses classes à l’école primaire de Djidjelli (Jijel), ses études secondaires au lycée de Constantine, son service militaire à Bône (Annaba) avant de choisir de faire des études de pharmacie à Alger, ne sont marqués par aucun incident notable. De l’avis de Jean Lacouture, l’étudiant Abbas ne semble pas avoir suivi très assidûment ses cours de pharmacie. Il mettra huit ans, au lieu de six, pour achever ses études : “Mais il s’intéresse à bien d’autres choses, à la politique surtout et à la littérature. Un personnage fort influent du gouvernement général, M. Mirante, directeur des Affaires indigènes — et qui, par vocation autant que par devoir, fait de la politique arabe, c’est l’époque de Lawrence d’Arabie — le remarque, le trouve ardent et sympathique, lui fait connaître des gens en place, lui donne des conseils esthétiques.” Est-ce à ces protections, s’interroge le célèbre journaliste français, que Ferhat Abbas doit son élection, en 1926, en qualité de président de l’Association des étudiants musulmans de l’université d’Alger ? Rien n’est moins sûr, car les articles qu’il publie bientôt dans deux journaux rédigés en français, At’Takaddoume (Le Progrès) et Le Trait d’union, sous le pseudonyme quelque peu révélateur de Kamel Abencérages, articles qu’il réunira plus tard dans un livre intitulé Le Jeune algérien, sont souvent sévères à l’égard de l’administration coloniale. La réalité coloniale, lit-on dans Ferhat Abbas, une autre Algérie, de Zakya Daoud et Benjamin Stora, impose tout d’abord à l’enfant de Taher une colère étouffée. Du reste, la vie entière de cet homme, attachant à bien des égards, le visage allongé, osseux, au nez aquilin, le regard sombre sous le sourcil dru et le geste large, c’est, souligne Jean Lacouture, l’histoire de la recherche d’une patrie, dans la France, puis avec la France, et puis hors de la France, voire contre la France. Ses études enfin terminées à Alger, il s’installera comme pharmacien à Sétif où il aura tout le loisir d’approfondir sa pratique politique. Pour Jean Lacouture, sa pensée politique d’alors est profondément, irréfutablement exprimée dans un texte très souvent cité, publié le 23 février 1936 :

    “Si j’avais découvert la nation algérienne, je serais nationaliste, et je n’en rougirais pas comme d’un crime. Les hommes morts pour l’idéal patriotique sont journellement honorés et respectés. Ma vie ne vaut pas plus que la leur. Et cependant, je ne mourrai pas pour la patrie algérienne, parce que cette patrie n’existe pas. Je ne l’ai pas découverte. J’ai interrogé l’histoire, j’ai interrogé les vivants et les morts, j’ai visité les cimetières, personne ne m’en a parlé… On ne bâtit pas sur du vent. Nous avons écarté, une fois pour toute, les nuées et les chimères pour lier définitivement notre avenir à celui de l’œuvre française dans ce pays…”

    Evolué, Ferhat Abbas est naturellement partisan de l’assimilation durant cette période. C’est l’esprit du temps, davantage qu’une tare, feront judicieusement remarquer Zakya Daoud et Benjamin Stora, dont on lui fera toujours grief. Devenu par la suite, et dans le cadre des exacerbations des contradictions entre la caste coloniale et la société globale algérienne, l’avocat d’une révolution sanglante, il n’a choisi de plaider cette cause qu’après s’être battu, un quart de siècle durant, pour imposer le réformisme et la non-violence, le refus des solutions extrêmes, la volonté intrépide d’un compromis avec la France…

    Mais en vain…

    L’histoire de la vie de Ferhat Abbas, comme celle de la France contemporaine, ne prouve qu’une chose, écrira Jean Lacouture, et le général de Gaulle l’a comprise mieux que beaucoup d’autres : “C’est que les peuples ont besoin de dignité et que l’un des attributs de cette dignité, c’est l’appartenance à un groupe national reconnu comme tel. Elle montre aussi qu’à leur disputer ce droit, s’ils le revendiquent pleinement, on se condamne à de cruels déboires.”

    Mais quelques questions demeurent :
    – Le nom de l’Etat dont Emir Abdelkader fut homme d’Etat ?
    – Par quel miracle Ferhat Abbes fera TOUTES ses études et mettra même huit ans, au lieu de six, pour achever sa spécialité en pharmacie ?
    – J’ai interrogé l’histoire, j’ai interrogé les vivants et les morts, j’ai visité les cimetières, personne ne m’a indiqué où est planté la «tente spirituelle» qui abrite «l’essence transcendantale» de cet homme.
    – Quand dois-je vivre le rêve de ce grand Monsieur ?
    Etc, etc, etc …

      Anonyme
      22 octobre 2020 - 15 h 02 min

      Tu nous fais la promotion de ton livre.

        THARYALE
        22 octobre 2020 - 20 h 36 min

        Anonyme – 22 octobre 2020 – 15 h 02 min – Bonjour.
        Il ne s’agit pas de livre mais juste la promotion de mon ingénuité ou ignorance (n’est-ce pas !) car il s’agit d’une chronique d’un article dont l’auteur est Monsieur Abdelhakim MEZIANI.
        Repris par divers quotidiens et de blogs Algériens.
        Cordialement.
        Signé A de M.

    Mouloud F
    22 octobre 2020 - 8 h 13 min

    Quel bel hommage vous rendez à ce Grand Monsieur. Sous sa direction notre pays aurait un autre destin, ce qui contrariait les desseins des opportunistes – avides de pouvoir et surtout inféodés au panarabisme de Nasser- et aussi de De Gaule qui a toujours refusé de négocier avec lui. Ce dernier savait a qui il avait affaire et, que la partie ne serait pas facile face à un Homme qui connaissait tous les rouages de la politique française.
    Dès le départ, le GPRA était pour une Algérie Libre , Démocratique et Fraternelle pour laquelle il voyait un grand destin.
    Nous aurions pu avec le peu de moyens, transformer ce merveilleux pays en un eldorado. Le Peuple était prêt a retrousser les manches pour travailler, prouver au monde que l’Indigène n’était pas un idiot et qu’il pouvait rivaliser avec tous, du moment qu’il avait accès au savoir.
    Dommage !!!!

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