Fayez Al-Sarraj à Rome pour un nouveau départ des relations avec l’Italie
De Rome, Mourad Rouighi – La visite que vient d’effectuer Fayez Al-Sarraj en Italie et ses entretiens avec les responsables italiens ont été suivis avec grand intérêt par les chancelleries impliquées dans le processus de gestion de la crise en Libye, arrivé à un point hautement crucial.
Bien conscient des enjeux des tractations en cours, en entamant cette visite d’un jour à Rome, le Premier ministre libyen s’est dit prudemment optimiste sur les chances de parvenir dans les dix jours à un accord de cessez-le-feu entre les parties belligérantes dans son pays et a préféré éviter de faire des annonces tonitruantes, en précisant que «nous les ferons dans la semaine à venir, d’ici dix jours», a-t-il confié à certains médias l’accompagnant .
Quant aux contours du dossier libyen vus de Rome, il apparaît clairement que cette visite offre à l’Italie une option pour réorienter ses atouts dans ce pays.
«Le besoin d’un changement de posture de notre diplomatie, nous dit un expert italien au fait du dossier, est devenu urgent, vu que le choix de servir d’intermédiaire entre les deux prétendants à partir d’une position d’équidistance s’est avéré inefficace.»
Giuseppe Conte et son dynamique ministre des Affaires étrangères, Luigi di Maio, auraient donc intégré plusieurs données dans leur logiciel et seraient sur le point d’abandonner l’équidistance des mois derniers et de s’engager résolument dans l’appui du gouvernement de Fayez Al-Sarraj pour rétablir une certaine marge de manœuvre, mise à mal, faut-il le souligner, par l’avancée impressionnante d’Ankara sur la scène politique et militaire du pays.
Une telle approche pourrait aider également à convaincre les alliés de Khalifa Haftar que s’asseoir à la table des négociations est la seule issue pour mettre fin au conflit.
Toute cette nouvelle orientation se fera autour d’une série d’initiatives politiques et diplomatiques visant à asseoir Al-Sarraj, l’objectif de l’Italie étant d’agir étroitement avec le voisinage immédiat, Alger, Tunis et Le Caire, pour renforcer d’un côté le gouvernement central et, de l’autre, jouer la carte de la réconciliation nationale, seule voie évitant le démembrement du pays.
Car bien qu’une grande partie des intérêts italiens se situent à l’ouest du pays, en Tripolitaine, Rome souhaite à tout prix préserver des canaux ouverts avec les autres acteurs sur la scène libyenne, à commencer par ceux soutenant Benghazi, pour éviter que ce pays ne devienne une zone d’influence de tous et de personne. Le chaos en somme, prôné par tant de philosophes, faisant une maladive fixation sur cette région.
Pour ce faire, la présence de l’ambassade d’Italie à Tripoli et l’important réseau de contacts avec des dignitaires locaux, constitué au fil des ans, sont une précieuse valeur ajoutée que le gouvernement de Giuseppe Conte devrait actionner pour son prochain effort.
La visite a également permis d’aborder certains sujets de friction, entre autres, le «mémorandum sur la question des migrants» qui a fait couler tant d’encre et qui fait l’objet de critiques virulentes, tant de l’opposition de droite que de la part d’ONG internationales.
Reste enfin l’épineux dossier sécuritaire, un rapport récemment divulgué par des centres de recherches, généralement bien informés, indique, en effet, qu’il y aurait entre 15 000 et 20 000 combattants islamistes locaux et en provenance de Syrie, positionnés dans le sud de la Libye et non loin de la capitale Tripoli.
Le renforcement du gouvernement central permettrait donc à la fois de mieux «assainir» cette situation – qui autrement resterait une «fiche» entre les mains des milices libyennes et éviterait aussi de «livrer» la sécurité du centre de la Méditerranée à la seule Turquie de Recep Tayyip Erdogan.
Rome devra pour autant faire preuve de beaucoup d’inventive puisque, d’un côté, elle se trouve obligée de défendre ses intérêts en Tripolitaine mais, de l’autre, se heurte aux premiers contrecoups du récent accord signé par Al-Sarraj avec Erdogan pour une ZEE (Zone économique exclusive) entre la Turquie et la Libye, qui garantit d’ores et déjà une large marge de manœuvre d’Ankara, capable d’exclure son groupe énergétique national ENI d’une étendue de mer si névralgique ; d’autre part, elle doit aussi défendre ses intérêts énergétiques auprès de certains acteurs qui soutiennent Khalifa Haftar, engagé dans le projet East Med, dans lequel elle compte jouer, là aussi, les premiers rôles.
Un rébus qu’elle a visiblement commencé à dénouer, en déroulant le tapis rouge à Fayez Al-Sarraj.
M. R.
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