Ferhat Aït Ali, l’importation de véhicules d’occasion et la crédibilité de l’Etat
Par Hocine-Nasser Bouabsa – Ce samedi 24 octobre, lors de son passage sur la Chaîne II de la Radio nationale, Ferhat Aït Ali s’est ouvertement opposé à l’importation de véhicules d’occasion et a annoncé qu’il maintiendra, par ailleurs, sa position dans l’exposé qu’il présentera lors du prochain Conseil des ministres. C’est l’occasion de revenir sur un sujet très banal, mais qui fait pourtant couler beaucoup d’encre en Algérie.
En janvier 2020, lorsque l’actuel ministre de l’Industrie fut nommé ministre dans le premier gouvernement Djerad, beaucoup d’Algériens, dont moi-même, ont salué sa nomination. Bien que l’homme n’eût point d’expérience gouvernementale auparavant, il avait néanmoins la réputation d’être un brillant analyste et un expert indépendant. Hélas, son crédit semble être, entre temps, consommé. En effet, bien que ministre d’un portefeuille de grande importance – particulièrement pour la création de l’emploi –, l’Industrie en l’occurrence, Aït Ali a réduit son action publique presqu’au seul secteur de l’automobile et particulièrement au sujet de l’importation de véhicules d’occasion. Or, primo, l’industrie c’est aussi l’agroalimentaire, la construction métallique et métallurgique, l’électroménager, l’électronique, la pharmacie, etc. Et Dieu sait que tous ces secteurs croulent et coulent sous l’effet de problèmes chroniques de tout genre. Et, secundo, l’importation est par définition un acte ou sujet commercial et non industriel. L’importation de véhicules d’occasion fait donc partie des prérogatives du ministre du Commerce et non de celui de l’Industrie. Un observateur de la politique algérienne me confia récemment avec ironie qu’avec son focus actuel Aït Ali donne l’impression d’être plutôt «ministre de la voiture» .
Le Hirak a-t-il vaincu le lobby des concessionnaires ?
Pour rappel, au mois de septembre 2019, des médias proches du pouvoir annoncèrent avec beaucoup de vacarme l’autorisation de l’importation de véhicules d’occasion, à partir de janvier 2020 et ceci après quinze ans d’interdiction dominés, entre autres, par le lobby des concessionnaires de l’automobile. L’annonce n’est pas restée lettre morte, puisque cette autorisation devint partie intégrante de la loi de finances 2020, adoptée le 14 novembre par l’APN et le 28 novembre par le Conseil de la nation, et signée par l’ex-chef d’Etat, Abdelkader Bensalah, lors d’un Conseil des ministres qu’il a présidé le 11 décembre 2019. C’était la période encore dominée par l’engagement et la mobilisation du Hirak, que le pouvoir cherchait à apprivoiser. Il fallait, par ailleurs, aussi drainer par des promesses populaires les Algériens vers les urnes afin qu’ils élisent un remplaçant au Président déchu. L’article 110 de cette loi stipule :
« 1- Est autorisé le dédouanement, pour la mise à la consommation, des véhicules de transport des personnes et des marchandises neufs, y compris les tracteurs, ainsi que les véhicules à usages spéciaux.
2- Sont, également, autorisés au dédouanement pour la mise à la consommation, avec paiement des droits et taxes relevant du régime de droit commun, les véhicules de tourisme de moins de trois (3) ans d’âge, importés par les particuliers résidents, une (1) fois tous les trois (3) ans, sur leurs devises propres, par débit d’un compte devises, ouvert en Algérie.
3- Les véhicules importés à l’état usagé doivent être conformes aux normes internationales en matière de protection de l’environnement.»
L’article 110 stipule, par ailleurs, que les modalités d’application ainsi que celui du contrôle de conformité sont fixées par arrêté conjoint des ministres chargés, respectivement, des Affaires étrangères, de l’Intérieur, des Finances et des Mines. Monsieur Aït Ali – qui semble confondre entre l’industrie automobile et l’importation déguisée de véhicules ou de kits SKD-CKD – n’étant plus ministre des Mines depuis juin 2020, pourquoi continue-t-il alors à communiquer intensivement sur ce sujet, qui relève de la compétence de ses collègues Akrab ou Rezig, respectivement ministre des Mines et ministre du Commerce ? Il le fait, sans se soucier du droit, car, de facto, il piétine à plus d’un titre les provisions de la loi de finances 2020, devenue contraignante, dès sa signature par le chef de l’Etat puisque, entre autres, il sabote la mise en application d’une partie de cette loi.
En effet, vingt jours après sa nomination, sa première déclaration en date du 15 février 2020 renseigne déjà sur ses intentions illégales. Ce jour, il déclare face à la presse : «Il y a un problème avec le gasoil européen. Ils ont des normes qui sont plus récentes que les nôtres. Par exemple, si on utilise une motorisation européenne avec le gasoil local la voiture ne tiendra pas plus de 3 mois.» Cette allégation est dénuée de fondement, d’autant plus qu’il ne donne aucune précision, ni caractéristique technique du gasoil en question. Son argument est fallacieux, puisqu’il n’y a pas seulement que des véhicules d’occasion à motorisation au gasoil, mais aussi à essence qui peuvent, par ailleurs, être équipés par des kit GPL/GNC.
Le blocage se précise progressivement avec les mois qui passent, bien qu’Aït Ali ait promis plusieurs fois un dénouement rapide. Mais, au début du mois d’octobre 2020, ce blocage se confirme ouvertement lorsque le ministre de l’Industrie annonce l’annulation des dispositions de l’article 110 inclus dans loi de finances 2020, sans se soucier des conséquences néfastes qu’aurait son annonce sur la crédibilité déjà fortement entachée de l’Etat. Pour motiver la décision illégale – puisqu’un ministre n’a pas le pouvoir juridique et institutionnel pour annuler, ni geler une loi votée par le Parlement – de son ministère, il accuse dans son discours les bandes organisées qu’il a localisées en France et qui veulent «ramasser toute la ferraille de l’Europe» pour l’exporter vers l’Algérie.
Et en faux champion du citoyen démuni, il ajoute, sans frémir, que sa décision est également motivée par le fait que le gouvernement ne veut pas encourager le marché informel de la devise et que son ministère «aspire, dans un proche avenir, à trouver des solutions raisonnables pour tout le monde grâce à des réformes financières et économiques, en éliminant les devises à double prix et en éliminant le marché parallèle». Il ajoute : «Nous pouvons penser à importer des voitures en devises et au prix officiel dans trois ou quatre ans après l’amélioration de la situation économique en Algérie.» Voilà un ministre de l’Industrie qui fait de l’ombre au ministre du Commerce et qui devient maintenant aussi ministre des Finances. Connaisseur des mécanismes réels qui influent sur la valeur d’une monnaie, Aït Ali sait que ses dissertations et arguments fallacieux sur ce sujet sont presque incongrus.
Mais pourquoi prend-t-il alors le risque de détruire sa propre crédibilité ? Pourquoi ne démissionne-t-il pas ? Est-il mis sous pression ? Est-il moins indépendant qu’il veut nous le faire croire depuis de nombreuses années ? Nous y reviendrons dans la deuxième partie de cette contribution.
H.-N. B.
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