Vaine tentative de rénovation islamique
Par Mesloub Khider – Depuis quelque temps, à la suite du sordide assassinat de Samuel Paty, ce professeur tué et décapité par un fanatique islamiste parce qu’il avait montré une caricature du Prophète Mohamed dans un cours d’«enseignement moral et civique», nombre d’intellectuels surannés et d’idéologues enturbannés, familiers des rédactions de la presse écrite ou des plateaux télé, et surtout abonnés aux mosquées musquées au salafisme masqué, s’activent à cultiver une rhétorique religieuse sertie de pépites modernistes pour mieux nous vendre leurs arguties islamistes rénovées, importées pourtant depuis toujours du même désert persique, qui aura été tout juste capable de façonner une civilisation en sable et une religion de sabre. Leurs discours opportunément modérés sont relayés par certains médias convertis à la nouvelle religion islamique désireuse de se mettre en harmonie culturelle avec les valeurs républicaine, démocratique et laïque (sic).
Ainsi, après s’être noyés dans un éthylisme islamiste scélérat, ces islamistes pur jus prétendent vouloir se sevrer de cette addiction salafiste létale au moyen d’une cure d’abstinence intégriste. Après s’être réveillés de leur griserie islamiste avec la gueule de bois, ils tentent de se refaire une virginité avec leur phraséologie modernisée de langue de bois.
Leur mission affichée mais nullement réfléchie : la modernisation de l’islam. Autrement dit, selon leur modèle de pensée outrancièrement «wahhabisée», il faut comprendre : la modération de l’islamisme. La différence est capitale, comme la peine encourue contre quiconque contreviendrait à la doxa islamique. Il s’agit d’une velléité de décaper le corpus coranique de ses protubérances caractérielles, non de décapiter le corps sociologique islamique de l’espace public. C’est une opération de dépoussiérage idéologique circonstancielle, non un nettoyage sociétal radical. Hors de question d’initier un mouvement de sécularisation, de démarcation entre le religieux et le sociétal, de reflux de la religion dans la sphère privée, de relégation du religieux dans le champ personnel intime.
A plus forte raison (toujours islamique, il va de soi ou plutôt de la foi), il n’est nullement question d’adaptation du corpus coranique à la société moderne. Nulle question d’une refonte radicale de l’islam. Il s’agit simplement d’une greffe rhétorique moderniste sur un champ sémantique largement et profondément islamisé ; d’une autoplastie théologique artificielle sur un islam depuis longtemps cultuellement lacéré et idéologiquement macéré. L’opération est vouée à l’échec. L’organisme théologique immunitaire de la société communautaire viscéralement islamisée va développer des résistances, des anticorps pour neutraliser les agents modernisateurs sécrétés par les bouleversements sociétaux profanes. Le «peuple intégriste» maudit les pâles copies. Il continuera à s’abreuver aux mêmes sources islamistes déversées par les multiples canaux acheminés directement par les pays du Golfe via les pipelines salafistes télévisuels, médiatiques, livresques, sans oublier les réseaux sociaux. Comme l’avait écrit je ne sais qui, dans la religion (salafisée), c’est la «défonce» qui est recherchée, la drogue cultuelle dure. Aussi trouveraient-ils toujours un moyen de se fournir en opium islamiste via la filière clandestine orientale contrôlée par les pays du Golfe, cette région productrice de «l’or narcotique vert». Quand on avait supprimé l’alcool dans certaines wilayas d’Algérie au nom des principes «spirituels islamiques», les adeptes des spiritueux ne s’étaient pas mis à consommer l’eau plate, mais à s’enivrer à l’alcool à brûler. Au zombretto.
De manière générale, le «peuple islamiste», avec sa foi de charbonnier qui électrise son ténébreux cerveau religieusement survolté, préfère se contenter de croire sans comprendre, consommer sans prêter attention à la qualité de l’enseignement religieux et à l’origine de fabrication cultuelle. Aussi, dans toutes les dérives islamistes, peut-il exciper de sa croyance en son irresponsabilité théologique. Ni responsable ni coupable.
En réalité, cette intempestive entreprise de refondation, actionnée sous l’effet de la sanglante actualité, vise à moderniser l’islamisme, non à réformer l’islam. N’est pas Philosophe des Lumières qui veut !
Cela revient à vouloir récrire un texte au propre avec les mêmes termes identiques sur la même page de brouillon. Le résultat serait cacophonique, catastrophique. Le nouveau texte saurait-t-il se frayer un chemin au milieu des lignes de la page de brouillon. Saurait-t-il se distinguer du salmigondis graphique. Voilà ce que ça donne quand on a peur d’ouvrir une nouvelle page d’histoire ; quand on craint de jeter à la poubelle (de l’histoire) certaines pages faisandées par le temps religieusement fanatisé, corrompues par les griffonnages sanglants islamistes. On se condamne à réécrire l’histoire sur la même page de brouillon «salafisée» entachée d’attentat à la rationalité. A force d’user du même brouillon, on se condamne à vivre la tête dans le brouillard, à ingurgiter le même indigeste islamique bouillon.
Quand bien même leur «islam light» aurait-il l’emballage d’un l’islam certifié religieusement purifié, n’ayant subi aucune avarie cultuelle par les forces obscurantistes salafistes contemporaines, un œil rationnel averti percerait à jour immédiatement la supercherie doctrinale, l’imposture théologique. L’islamisme n’est pas soluble dans l’islam. L’islamisme a trop radicalement phagocyté l’islam pour permettre à l’islam de se refaire une virginité sans devoir répudier certaines thématiques salafistes belliqueuses puisées directement du Coran, notamment la sacralisation de la violence, la légitimation de la misogynie. Faute d’un divorce radical d’avec l’islamisme, accompagné de la mise au rebut du patrimoine idéologique islamiste commun aux deux entités longtemps partagé ensemble, acté officiellement par un corpus théologique reconnu universellement, la séparation n’aurait aucun impact libérateur et salvateur sur l’islam supposément engagé dans la rénovation, l’innovation, la modernisation.
En vérité, ce ne sont pas quelques réformes doctrinales ou quelques opérations esthétiques sémantiques des textes coraniques qui pourraient impulser un début d’un commencement d’une initiation à une refondation des comportements cultuels, à une reconfiguration mentale de la société islamique. C’est plutôt, pour employer un terme d’une virale actualité, la «distanciation intellectuelle».
Pour prendre l’exemple des pays développés, du fait de la sécularisation depuis longtemps inscrite dans le fonctionnement rationnel de la société, avec la «distanciation intellectuelle» adoptée dès l’enfance épargnée par ailleurs de l’endoctrinement religieux, personne ne songerait raisonner, délibérer, régir sa vie sur le fondement de la religion. La «distanciation intellectuelle» avec le fait religieux est la règle de conduite principale adoptée par l’ensemble de la population en guise de gestes barrières socialement homologués afin d’éviter la propagation de la virale doctrine religieuse, réputée pour sa létalité en matière de la liberté de conscience et du droit à l’expression.
A contrario, dans les pays musulmans, avec BAC+ 8 affiché sur son curriculum scolaire, la personne, dans sa vie sociale comme lors des discussions censément rationnelles, continue, dans un esprit fataliste, à proférer en guise d’argumentation les mêmes litanies séculaires éculées : «Incha Allah», «bi haouli Allah», «kama qalla errasoul» ou, pire, à psalmodier compulsivement les éternels versets ou hadiths à titre d’argument d’autorité (autoritaire), pour clôturer (cloîtrer la réflexion) la discussion.
Au vrai, dans ce débat sur la modernisation de l’islam, on se trouve devant une aporie insoluble. En effet, aucune rationalisation, ni révolution scientifique n’a transformé les mythologies et autres croyances supranaturelles en catégories de pensées modernes. Dans l’histoire, c’est plutôt l’inverse qui s’est produit : quand la mythologie ou la religion domine, la rationalité et les sciences reculent, s’effacent. Aussi est-il vain de vouloir rationaliser le texte coranique, de tenter de modifier le message originel du Coran, d’impulser une interprétation modernisée des textes islamiques. C’est une aberration épistémique. L’éventuelle évolution ne viendrait pas de la tentative vaine de modification des textes coraniques, par essence intangibles, mais de la transformation de la perception des personnes, elle-même impulsée par la transformation radicale des rapports sociaux de production.
Dans son livre Sur la question juive, Marx avait écrit : «Aussi ne disons-nous pas aux juifs, avec Baller : vous ne pouvez être politiquement émancipés, sans vous émanciper radicalement du judaïsme. Nous leur disons plutôt : c’est parce que vous pouvez être émancipés politiquement, sans vous détacher complètement et définitivement du judaïsme, que l’émancipation politique elle-même n’est pas l’émancipation humaine. Si vous, juifs, vous désirez votre émancipation politique sans vous émanciper vous-mêmes humainement, c’est que l’imperfection et la contradiction ne sont pas seulement en vous, mais elles sont inhérentes à l’essence et à la catégorie de l’émancipation politique.» Cette approche de Marx sur la question juive nous semble applicable à la «Question islamique».
Après l’éveil à l’esprit libre, chaque idéologie religieuse n’est plus un miracle mais un mirage.
M. K.
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