1er novembre 1984 : police de la pensée, 1er novembre 2020 : police des urnes
Par Boualem Snaoui – Il y a des temps et des époques qui vous renvoient à des souvenirs que vous avez envie de gommer et d’effacer définitivement de la mémoire, de votre mémoire. Malheureusement, le temps est parfois traître et vous renvoie cet éternel recommencement dans la gueule.
L’horrible mise à mort d’un collègue, Samuel Paty, professeur d’histoire dans un collège à Conflans Saint Honorine, condamnée unanimement, ici comme ailleurs, a généré une onde de choc incommensurable : l’horreur, la peur, la tristesse, la désolation, l’abattement, ont envahi la foule, les foules partout dans le monde. On ne sait plus par quel bout prendre le cours de cet événement tragique et du cortège d’horreurs qui l’accompagnent. Le monde est désemparé, et moi aussi. Cela dépasse l’imaginaire humain. Le ciel nous tombe dessus.
Des têtes sont tombées aussi récemment au Mali, après la libération de 200 «défenseurs de la liberté de décapiter». En Libye, en Syrie, en Afghanistan, en Irak, au Yémen, au Niger… partout où l’on exporte «la démocratie et la liberté» à coup de bombes et de missiles, «des têtes tombent». Jamal Khashoggi, lui aussi, a été réduit en bouillie. Un monde d’Hollywood des «massacres à la tronçonneuse».
Des têtes sont aussi tombées par dizaines, voire par centaines de milliers en Algérie.
Les têtes décapitées sont de toutes les couleurs (noires, blanches, jaunes, brunes, frisées, etc.), de toutes les religions (musulmane, chrétienne, juive) et même sans religion (athées et agnostiques).
J’ai été longtemps, et même très longtemps «Charlie» ; j’ai même été, vu mon âge, un peu «Grosse Berta» et «Hara-Kiri» ; j’ai été aussi «Val et Font», et j’ai même brandi les caricatures que Siné avait préparées pour ma campagne des élections législatives de 2007, dans un petit livret jaune, avant que le copier-coller des caricatures danoises ne prenne le dessus.
Me concernant, cela me renvoie au soir de ce 1er novembre 1984, à la cité universitaire Bouraoui, dans la banlieue d’Alger, où une soirée musicale était organisée pour les étudiants. C’est dans la salle de restauration qu’une scène a été montée, sur laquelle des musiciens de la chanson châabi sont venus caresser nos oreilles avec les mélodies relaxantes des grands maîtres de la musique algérienne. Une ambiance pour la mémoire, festive, conviviale, fraternelle, rompue violemment par un groupe d’une dizaine de fanatiques. Ces créatures fabriquées dans les laboratoires du «choc des civilisations», étaient venus, avant l’heure, mettre fin à nos «rêves», un certain 1er novembre 1984. Tout un symbole.
Sans aucun argument recevable, sans discussions, sans échanges, et avec une violence physique insoutenable (enlèvement des chaises, coupure d’électricité, tapage, bousculade…), nos oreilles et nos cœurs ont été malmenés par ces lugubres personnages se revendiquant de l’islam. La quiétude de la vie universitaire venait d’être bousculée par ceux qui avaient imposé déjà leur diktat aux fidèles de la mosquée de la cité U. Ce fut le starter de la division et du clanisme parmi les étudiants de cette paisible et joyeuse cité estudiantine.
Avec quelques amis et camarades, nous nous sommes opposés à ces fanatiques qui tentaient d’effacer la mémoire du 1er Novembre et de nous imposer leur dictature, aujourd’hui élevée au rang de «démocratie», par les multinationales des «droits de l’Homme». C’est à ce moment-là que l’un de leur gourou, un personnage trapu, chauve (y compris au niveau des neurones), et dont le visage était parsemé de touffes de poils, s’est empressé avec un couteau de me désigner comme le Samuel Paty de la cité universitaire Bouraoui-Amar. Je revois encore cette lame brillante, du couteau porté dans la main de ce «coupeur de têtes» biberonné à l’idéologie et au régime de la secte d’Al-Banna (de son vraiment nom Hassan, fondateur des Frères musulmans avec le concours de la CIA).
Je ne dois la vie sauve qu’aux camarades qui m’ont entouré et à l’intervention rapide des forces de l’ordre de la ville d’El-Harrach, qui m’ont exfiltré de cette «embuscade musicale». J’ai dû abandonner mes études et quitter la zone universitaire durant plus d’un mois. Je savais déjà, à cette époque-là, «qui tuait qui».
Mon retour a été négocié par un camarade pieux et respecté, Hakim, qui est allé expliquer aux dirigeants de cette secte que je n’étais pas le berbériste, mais juste un citoyen sensible aux valeurs d’unité, et non de l’unicité que tentait d’injecter l’autre bras armé du dynamitage du peuple algérien dont un des représentants n’est autre que «Saïd Samedi». Tiens «Saïd Samedi», cet opposant au régime (encore un), hier «cachiriste», aujourd’hui «hirakiste», qui veut battre le record de longévité détenu par Giscard d’Estaing en politique, n’a rien trouvé à dire, ni à écrire, suite à ma dissertation à son sujet, parue le 16 septembre 2019. Tout était bon (?), seule l’information sur le fait qu’il n’est pas «kabyle» (sa famille est originaire de Biskra), s’est miraculeusement volatilisée de sa page Wikipédia le 17 septembre à 3 h 20 du matin (cela a-t-il donné une insomnie ?). Il n’a donc pas fait de moi «son petit». Du coup, j’ai été relaxé par la police de la pensée.
Entre ceux qui veulent nous emmurer dans leurs guerres intestines du «pour et du contre», dans l’islamisme et le berbérisme, dans «le printemps des Arabes» et «le printemps des Berbères», vous remarquerez qu’au nom de «la liberté» et de «la démocratie», ils ont toujours un œil vigilant braqué sur l’abattage de l’Algérie et de son peuple. Au moment où les autres nations envoient des satellites et regardent vers le ciel, ces partenaires de «la guerre des civilisations» agissent de concert, en nous invitant à creuser nos tombes, sous le prétexte de rechercher nos rhizomes dans l’enchevêtrement racinaire de notre histoire plurielle.
Même l’idéologique «berbériste» d’extrême-droite Bernard Lugan, celui que l’on retrouve (par hasard ?) associé au génocide ethnique au Rwanda, ce «professeur d’histoire, qui se déguisait, en cours, en officier du 6e régiment des lanciers du Bengale, pour faire chanter l’hymne de l’armée coloniale à ses étudiants», comme le rapporte le journal Libération du 18 juin 2004, est de la partie. Les vidéos de celui qui considère que «la colonisation fut une chance historique pour l’Afrique noire qui n’a pas toujours su la saisir» font des ravages sur les sites «berbéristes».
Encore un effort et ces distributeurs de «cachir» et de «bananes» arriveront à effacer de la mémoire universelle Ibn Sina (dont le nom a été latinisé en Avicenne), Ibn Rochd (dont le nom a été latinisé en Avorroès), Al-Batani (dont le nom a été latinisé sous les noms d’Albategnius, Albategni, voire Albatenius), Jâbir Ibn Hayyân (dont le nom a été latinisé sous le nom de Geber), Al-Battani (dont le nom a été latinisé sous le nom de Albategnius), Al-Kindī (dont le nom a été latinisé sous le nom de Alchindius), Al-Khwârismî (Algoritmi), Ibn Baja (dont le nom a été latinisé sous le nom Avempace), et tous les scientifiques de l’âge d’or des musulmans.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_scientifiques_de_l%27%C3%A2ge_d%27or_de_l%27Islam
Aujourd’hui, on entend les lamentations des Pokemons de la politique qui, pour plaire aux colons, appellent à s’en prendre aux citoyens ce 1er novembre 2020, à l’occasion de la consultation sur la nouvelle Constitution. Les imposteurs de Roland Gory sont de plus en plus nerveux.
La police multinationale de la pensée et de la musique du 1er novembre 1984 se voit confier une nouvelle mission de police des urnes.
B. S.
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