Le président américain John F. Kennedy et le discours algérien
Par Khaled Boulaziz et Kaerdin Zerrouati – «La grande révolution dans l’histoire de l’homme, passée, présente et future, est la révolution de ceux qui sont résolus à être libres.» (John F. Kennedy, 35e président des Etats-Unis). En ce moment se déroulent les élections présidentielles américaines. De tous les présidents américains, John F. Kennedy restera celui que les historiens considèrent comme le président-messie pour une Amérique en plein désarroi.
Pour les Algériens, il restera celui qui, le 2 juillet 1957, au Sénat des Etats-Unis en tant que sénateur démocrate du Massachussetts, prononça un discours-réquisitoire contre la France coloniale et sa guerre génocidaire en l’Algérie. A contre-courant de la position du président des Etats-Unis Eisenhower qu’il jugea totalement inadéquate, brisant le consensus des milieux intellectuels et universitaires américains, la position du jeune sénateur Kennedy fut avant-gardiste.
Ce discours porte le nom de : The Algerian Speech – Le discours algérien. En voici des extraits :
«Monsieur le Président,
La volonté la plus puissante dans le monde d’aujourd’hui n’est ni le communisme ni le capitalisme, ni la bombe H, ni les missiles téléguidés, mais l’éternel désir de l’homme d’être libre et maître de son destin.
Le grand ennemi de cette force et son élan de liberté peut être désigné, faute d’un terme plus précis, sous le nom d’Impérialisme – et aujourd’hui cela signifie l’impérialisme soviétique et, que cela nous plaise ou non, et même s’ils ne doivent pas être assimilés, l’impérialisme occidental aussi.
Le monde vit aujourd’hui plusieurs guerres d’indépendance, dites aussi guerre contre l’impérialisme occidental. Tous ces conflits exigent notre attention. Mais c’est celui qui se déroule en Algérie qui demande de notre part des positions fortes et courageuses en vue de le solutionner. Un conflit où toutes limites de cruauté ont été dépassées. Je parlerai cet après-midi de nos échecs et de notre avenir en Algérie et en Afrique du Nord
Monsieur le Président,
La guerre d’Algérie confronte et mets les Etats-Unis dans une impasse diplomatique, la plus importante depuis la crise en Indochine. Nous n’avons pas seulement échoué à répondre au problème sans détour et avec efficacité, mais nous avons même refusé de reconnaître que c’est notre problème aussi.
Aucune question ne pose un défi plus difficile à nos décideurs en politique étrangère – et aucune question n’a été plus cruellement négligée que celle de la question algérienne.
Bien que je sois un peu réticent à entreprendre un examen public de cette affaire comme je l’avais espéré – quand j’ai commencé une étude approfondie du problème il y a quinze mois.
Je suis encore plus réticent à me montrer critique envers la France dont l’aide à notre propre guerre d’indépendance ne sera jamais oubliée et dont le rôle sur la scène internationale a toujours été un de leadership et de coopération constructive.
Je ne veux pas que notre politique soit anti-française, pas plus que je veux qu’elle soit antinationaliste – et je suis convaincu qu’un nombre croissant de Français, dont nous saluons la patience et l’endurance, doivent comprendre que les points de vue exprimés dans ce discours sont à long terme dans leur propre intérêt.
Les diplomates américains et français, il faut noter d’emblée, se sont joints à dire depuis plusieurs années que l’Algérie n’est pas un sujet approprié pour les débats de la politique étrangère américaine et qu’il est essentiellement un sujet de préoccupation interne, français, un soulèvement provincial, et une crise qui trouvera une réponse de manière satisfaisante au niveau local.
Mais quelle que soit la vérité de ces clichés, les faits sur le terrain en Algérie aujourd’hui décrivent le nouveau visage du nationalisme africain, et les sous-produits de plus en plus larges de la crise, ont fait de l’Algérie un sujet du droit international, et par conséquent américain.
La guerre d’Algérie, dans laquelle sont engagés plus de 400 000 soldats français, a dépouillé les forces continentales de l’OTAN jusqu’à l’os.
Elle a estompé les espoirs occidentaux d’un marché commun européen, et gravement compromis les réformes de libéralisation de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), en forçant la France à imposer de nouvelles restrictions à l’importation en vertu d’une économie de guerre. Cette guerre qui ne dit son nom a maintes fois fait l’objet de discussions aux Nations unies, où nos remarques sans équivoque et l’opposition à son examen ont endommagé notre leadership et le prestige de ce corps.
Elle a miné nos relations avec la Tunisie et le Maroc, qui ont naturellement un sentiment de cause commune avec les objectifs des dirigeants algériens, et qui subissent de la part du gouvernement français des représailles économiques pour leur support et assistance à l’insurrection algérienne.
Elle a dilué l’efficacité de la doctrine Eisenhower pour le Moyen-Orient, et nos programmes d’aide étrangère et d’information. Elle a mis en péril la présence de certains de nos bases aériennes les plus stratégiques, et menacé nos avantages géographiques sur l’orbite communiste.
Elle a affecté notre réputation aux yeux du monde libre, notre leadership dans la lutte pour garder ce monde libre, notre prestige et notre sécurité, ainsi que notre leadership moral dans la lutte contre l’impérialisme soviétique dans les pays communistes.
Elle a fourni des arguments puissants à la propagande anti-occidentale à travers l’Asie et le Moyen-Orient – et sera l’élément le plus gênant durant la conférence des nations libres de l’Afrique en octobre à Accra, qui espèrent aider à la transition vers l’indépendance d’autres colonies africaines, et la recherche des voies communes pour que ce grand continent reste aligné sur l’Occident.
Enfin, la guerre d’Algérie n’a cessé de drainer la main-d’œuvre, les ressources, et l’esprit de l’un de nos alliés, le plus ancien et le plus important – une nation dont la force est absolument vitale pour le monde libre, mais qui a été obligé par ce conflit épuisant de reporter de nouvelles réformes et de programme sociaux, à retarder de nouveaux plans importants pour le développement économique et politique en Afrique occidentale française, le Sahara, et dans une Europe unie, faire face à un mouvement communiste national consolidé à un moment où cette idéologie est en retraite ailleurs dans l’Europe, en étouffant un journalisme libre et critique, et en libérant la colère et les frustrations de ses habitants en perpétuelle instabilité gouvernementale suite à une attaque injustifiée contre l’Egypte.
Non, l’Algérie n’est plus un problème pour les Français seuls – et ne le sera jamais…
Son examen à l’ONU est tout à fait compréhensif, une discussion franche et exhaustive d’une question si importante pour nos intérêts doit être évaluée des deux côtés de l’alliance atlantique.
Il est urgent de faire face aux problèmes réels auxquels nous sommes confrontés en Algérie – ces questions ne peuvent plus être évités à l’ONU ou à l’OTAN – des questions qui deviennent de plus en plus difficile de solutionner, dans une guerre acharnée apparemment sans fin.
Le gouvernement français, quelle que soit la personnalité de ses dirigeants, semble soudé aux mêmes formules rigides qui ont régi ses actions en Algérie depuis si longtemps, et le seul signe d’espoir est une préoccupation plus articulée pour un règlement parmi les penseurs indépendants en France.
En tout et pour tout je soutiens que la France doit reconnaître l’Algérie comme une entité indépendante. Et à mon avis, la France doit mener des négociations avec les nationalistes sur cette base.
Merci de votre attention.»
Les Etats-Unis reconnaissaient l’Algérie comme Etat indépendant le 3 juillet 1962, lorsque le président John Kennedy adressa un message de félicitations au peuple algérien pour son indépendance de la France.
Le 8 octobre 1962, l’Algérie devint le l09e Etat membre des Nations unies. Pour l’événement, une délégation emmenée par Ben Bella pour sa première visite de chef d’Etat fut reçue par le président Kennedy et son administration à Washington.
Marchant sur les traces de son père, la fille du président-martyr John-Fitzgerald Kennedy souhaita une joyeuse fête de l’Indépendance au peuple algérien, dans un message enregistré à partir de Tokyo et diffusé sur les réseaux sociaux. (1)
Caroline Kennedy, ambassadrice des Etats-Unis au Japon, salua les Algériens en arabe, avant de présenter ses félicitations au peuple algérien à l’occasion de la célébration du 54e anniversaire de l’Indépendance. Elle mit en exergue qu’elle était fière du rôle que son père joua dans le soutien à la lutte pour l’indépendance de l’Algérie. «Aussi bien au Sénat qu’à la Maison-Blanche, mon père a pris fait et cause pour l’indépendance du peuple algérien et voyait dans son élan les mêmes aspirations à la dignité et à la liberté qui ont motivé les pères fondateurs de l’Amérique en 1776.»
Le combat du peuple algérien fut noble et soutenu par des amis du monde entier. John F. Kennedy, sans hésitation, prit le côté de la justice et de l’insurrection algériennes. Il le payera de sa vie.
K. B./K. Z.
(1) https://www.youtube.com/watch?v=D4qBaNYS4ic
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