L’Amérique de Facebook contre celle de Trump
Par Ali Akika – Tout un chacun love dans un coin de son imaginaire une image de l’Amérique. De nos jours, d’autres images se sont imposées et racontent l’Amérique. Ce sont Facebook et autres réseaux sociaux, une planète de «sauvage» liberté fréquentée par ceux qui veulent briser la censure du fric et de la dictature. Trump, tout puissant président qu’il est, a fait les frais de leur puissance. Ses tweets ont été censurés et même les télés lui ont coupé le sifflet alors qu’il parlait en direct depuis le Temple du pouvoir, la Maison-Blanche. Ces réseaux sociaux ne sont pas directement la cause de son échec. Cependant, leur puissance est le fruit de la nouvelle industrie numérique qui a impacté l’architecture du pays pratiquement dans tous les domaines.
Nous verrons plus loin comment cette industrie a structuré la société américaine. Elle a pris le relais du bouillonnement que l’on connaît de l’économie américaine. Bouillonnement d’autant plus remarqué qu’elle agit sur une société complexe et déchirée, produit d’une histoire chargée du lourd héritage de l’esclavage et du racisme. Cet héritage s’est exprimé le 3 novembre dans toutes les rues du pays mettant face à face deux Amériques. Une image symbolise cette fracture. Celle d’un fils du président des Etats-Unis en exercice comparant son pays à une république bananière. Qui aurait cru que la grande et puissante Amérique soit affublée d’une pareille comparaison ?
Ces images du père et du fils, pour surprenantes qu’elles soient, sont la preuve qu’aucune société n’est à l’abri du l’écoulement du temps. L’histoire témoigne en effet que les sociétés entassent dans le grenier des souvenirs tout ce qui devient caduc. La démocratie en tant que catégorie politique et idéologique n’est pas caduque, loin de là. Mais le spectacle offert par le président américain et son fils invite à ne pas oublier que la démocratie est une précieuse conquête des hommes. Force est de constater que la démocratie n’est, certes, pas morte aux Etats-Unis mais, à l’évidence, elle ne brille plus de tout son éclat comme à sa naissance. Et pour protéger cette précieuse démocratie et pour qu’elle ne meure pas aux Etats-Unis et ailleurs, encore faut-il connaître sa carte d’identité qu’il faut renouveler ou réactualiser de temps à autre. La démocratie est née quelque part en Grèce mais s’est «endormie» pendant des siècles sous la protection du droit divin des empereurs et autres royautés. Heureusement, une tempête, un beau jour, s’est levée avec une nouvelle économie. Celle-ci réveilla la démocratie pour «rationaliser» la gestion des sociétés.
Ainsi, avec cette carte d’identité et les mouvements de l’histoire, on peut définir la démocratie comme un système politique qui se nourrit de la culture de chaque société, s’adaptant à son époque et respirant l’air de son temps. La démocratie américaine s’est construite contre le colonisateur britannique et monarchique. Elle s’est nourrie de la philosophie des Lumières et des idées des bourgeoisies qui bousculaient les monarchies. Elle se donna une Constitution qui fit des Etats-Unis une grande démocratie quand bien même il aura fallu attendre longtemps que ce pays abolisse l’esclavage, abolition qui rencontra une vive résistance jusqu’à provoquer la guerre de sécession.
Ceci pour dire que l’histoire vue par le bout de la lorgnette par les habituels laudateurs élèvent la démocratie américaine au rang de la sainteté évitant de s’embarrasser du racisme systémique, des guerres d’agression dans le monde qui se font au nom de ladite démocratie. Ces hâbleurs ne se rendent pas compte que c’est leur aveuglement et leur cécité qui ont préparé le terrain à des Trump et autres fascistes qui fleurissent ici et là. Ils sont choqués par les outrances de Trump, de ses mensonges sans se demander pourquoi pareil individu peut arriver à la tête d’un grand pays. Les coups de canif donnés à la démocratie sont légion un peu partout. Par exemple, appeler à approuver le traité européen et en dépit de son rejet, ledit traité devient légal après avoir subi une vulgaire manipulation juridique.
Mais revenons aux Etats-Unis. L’échec de Trump (1) est dû en grande partie à la mobilisation à des coalitions de forces politiques à l’intérieur de l’Etat et dans la société. La mobilisation des secteurs progressistes de la société, «Blancs» et «Noirs» confondus ont apporté une aide précieuse pour contrebalancer la base sociale apeurée de Trump. Cet apport s’est traduit par une ruée sur les bureaux de vote et l’élection du 3 novembre a battu tous les records de participation de l’histoire américaine.
Voyons comment les Etats-Unis ont été victimes d’une théorie qu’ils appliquaient à des pays qui ne courbent pas l’échine devant eux. On appelle cette théorie (de mathématiques) de «chaos créateur». Celle-ci, adoptée par les idéologues politiques de la droite, consiste à utiliser un facteur, par exemple la guerre, pour faire bouger les positions de l’adversaire récalcitrant et l’obliger à négocier. Et par une ruse de l’Histoire, voilà que les Etats-Unis font l’expérience de cette théorie, et chose incroyable, c’est leur président Trump en personne qui crée le chaos au cœur du pouvoir. Ce potentiel glissement des Etats-Unis vers l’inconnu n’est pas fortuit.
Ce pays à sa naissance cultiva l’isolationnisme. Il abandonna cette posture lors des Première et Seconde Guerres mondiales d’où il sortit acteur majeur dans le monde. Il acquiert ce statut grâce à sa puissance économique dont le dollar régissait l’économie mondiale avec le dieu dollar et sous la surveillance de centaines de bases militaires. Il s’engouffra alors dans des aventures de guerres d’agression, de coups d’Etat et d’embargos pour maintenir son hégémonie. Ça ne gênait pas trop les affidés des Etats-Unis car la sainte démocratie ne portait pas atteinte aux libertés à l’intérieur du territoire américain.(2)
C’est cette politique qui permit aux Etats-Unis de garder leur hégémonie sur l’économie mondiale. Mais avec la mondialisation et l’émergence de puissances concurrentes, cette hégémonie commença à battre de l’aile. La Chine, évidemment, est sur la liste des adversaires mais aussi l’Europe grande puissance économique qu’ils ont «neutralisée» en lui assurant la protection de leur parapluie atomique.
Ainsi, les Etats-Unis d’aujourd’hui sont «coincés» entre l’isolationnisme remis en selle par Trump et un désir d’hégémonie de leurs intérêts dans le monde. La féroce guerre commerciale et géopolitique de nos jours est faite pour assurer la première place dans le monde.
Peut-on être isolationniste avec des murs de la douane aux frontières et prôner le libre échange… pour les autres ? Peut-on imposer ses propres lois à l’économie du monde et croire naïvement à la passivité des pays ? Enfin a-t-on les moyens militaires et géopolitiques pour imposer des embargos à des pays et oublier que lesdits pays peuvent nouer des relations avec la Chine et la Russie pour éviter leur étranglement ?
Toutes ces contraintes ont eu des effets politiques et sociaux sur la société américaine. Trump a cru pouvoir sauter au-dessus de tous ces problèmes. Il pensait sans doute être un nouveau Jésus qui pouvait marcher au-dessus de l’eau ou transformer l’eau en vin. (3) Ce genre de miracle, ça eut «marché» ailleurs et à une autre époque. Mais dans une Amérique livrée à la mondialisation et aux problèmes sociaux et raciaux, le verbe (grossier) de Trump ne peut résoudre les problèmes. D’autant que l’économie numérique et de l’intelligence artificielle a fait naître de nouveaux métiers/richesses qui ont bouleversé le paysage sociologique et urbain.
Trump en a fait l’amère expérience d’autant que les jeunes des villes qui ne votaient pas se sont mobilisés sous l’impulsion des émeutes antipolicières. C’est ce paysage économique et politique d’une Amérique du XXIe siècle que Trump devait en principe réguler pour que son pays demeurât premier de la classe (America first again). Sauf que sa méthode, la force et l’arrogance ressemblent à celle du XIXe siècle où les Blancs dominaient et les Noirs étaient esclaves. C’est pourquoi le spectre de la guerre civile avec Trump flottait dans l’air car la guerre de sécession avait marqué l’Histoire des Etats-Unis. Ce n’est pas un hasard si Joe Biden s’est donné pour tâche prioritaire l’unité du peuple américain.
Avec l’économie du numérique gérée par les classes moyennes et supérieures, une nouvelle classe politique a émergé. Pour elle, il est temps d’éviter une nouvelle guerre de sécession comme celle de 1861/65 qui opposa le sud agricole et esclavagiste et le nord industriel et abolitionniste de l’esclavage. Les commentateurs en France décrètent sans le moindre soupçon de doute que les Etats-Unis pourront faire l’économie d’une grave crise. Leur aveuglement se nourrit de leur conception «religieuse» de la politique et de la fameuse lubie de «la fin de l’histoire» qui marque le triomphe du capitalisme et de la démocratie selon leur vision des choses et du monde.
Ainsi, le départ de Trump va sans doute redistribuer les cartes politiques du paysage politique. Un paysage structuré autour d’une industrie déclinante (mines et pétrole aux mains des républicains) et celle engendrée par les nouvelles technologies va définir de nouvelles frontières politiques. Ça se ressent déjà dans le paysage urbain et rural et ça s’est traduit dans le résultat des élections.
Ce «nouveau monde» des «bobos», celui du patron de Facebook, Mark Elliot Zuckerberg, a intérêt à enrichir sa démocratie car elle a depuis longtemps montré ses limites. Le comportement et les outrances de Trump ont montré une part de sa laideur que beaucoup de gens s’obstinent à ne pas voir. Les guerres incessantes faites aux peuples, le racisme et l’injustice sociale à l’intérieur du pays étaient cachés par la puissance du pays, la richesse et le prestige de ses grands savants, ses intellectuels et artistes. Une dernière chose à remarquer, l’entrée de la jeunesse afro-américaine dans le jeu politique. Elle suit la tradition du mouvement des droits civiques de Martin Luther King. Et n’oublions pas la lutte des Blakcs Panthers qui ont séjourné à Alger pour échapper aux griffes du FBI.
Le mandat de Joe Biden ne sera pas une sinécure, bien au contraire. Mais il est certain que la face sombre des Etats-Unis a commencé à faire bégayer les inconditionnels de ce pays. Ces affidés fermaient les yeux quand les millions de morts étaient écrasés par les bombes américaines au nom du chaos «créateur». Mais maintenant que cette «maladie» a atteint les Américains chez eux, il faut espérer qu’ils enlèveront leurs masques pour mieux lire le monde.
A. A.
(1) J’ai écrit un article le 10 mars 2020 : «Pourquoi Trump ne sera pas réélu» ?
(2) On a remarqué que le pays et sa démocratie donnaient au président américain une grande liberté pour agir à l’extérieur des Etats-Unis. Cette liberté n’est plus permise si le président prend la moindre liberté avec la Constitution américaine quand il s’agit des affaires intérieures. Ainsi, Nixon fut renvoyé quand il espionna le siège du parti démocrate. Clinton échappa de peu à son renvoi quand il transforma le Bureau ovale de la présidence pour des rendez-vous !!!! Quant à Trump, il échappa aussi à un renvoi pour «abus de pouvoir».
(3) C’est Trump qui se compara à Jésus Christ pour vanter sa célébrité devant les évangélistes chrétiens qui croient que Jésus a marché sur l’eau.
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