Les Tunisiens des frontières crient misère : «Nous avons Dieu et l’Algérie !»
Par Farida O. – «Nous avons Dieu et la frontière algérienne.» Les habitants de Kasserine, en grande majorité jeunes, vivent le désœuvrement total. «Nous vivions de petits trafics qui nous permettaient de joindre les deux bouts, mais depuis que la frontière avec l’Algérie est fermée pour cause d’épidémie du Covid-19, nous n’avons même plus de quoi nous payer un café», se plaignent des jeunes interrogés par un youtubeur tunisien.
«Il faut que vous veniez voir dans quelles conditions je vis avec mon épouse et mes trois enfants. Avant, je glanais un peu d’argent, de quoi nourrir ma famille ; aujourd’hui, il m’est impossible d’acheter des couches au dernier-né», regrette un père de famille qui souffre de l’absence de revenus et du «peu d’intérêt que le pouvoir central accorde à cette région reculée de Tunisie». «J’ai déchiré ma carte d’identité tunisienne, je ne me sens pas tunisien, je me sens plus algérien», a renchéri un autre jeune, en ajoutant qu’«ici, nous côtoyons tellement les Algériens de l’autre côté de la frontière dans le cadre de nos activités clandestines que nous avons adopté jusque leur langage».
L’un d’eux raconte que son baudet qui lui servait au transport du mazout acheté à Tébessa pour être écoulé en Tunisie à des prix «abordables» a été tué par un soldat tunisien. «Si je n’avais pas fui, je serais peut-être moi aussi mort», a-t-il lâché, amer. «Ceux qui peuvent se targuer d’être des Tunisiens de plein droit sont ceux qui ont les épaules larges et qui sont pistonnés, quant à nous, nous sommes considérés comme des parias qui passons notre temps dans les cafés à ne rien faire faute de travail», déplorent ces jeunes en chœur, nostalgiques du temps où la frontière avec l’Algérie leur offrait un «semblant de dignité», disent-ils.
Des habitants des villes et hameaux proches de la frontière algérienne manifestent régulièrement et demandent à entrer en Algérie où, affirment-ils, ils arrivent à subsister grâce à de petits trafics plus ou moins tolérés du côté algérien par solidarité. La crise sanitaire mondiale a privé la Tunisie de sa principale ressource, le tourisme, à laquelle les Algériens contribuent en grande partie. Quelque deux millions d’Algériens étaient attendus dans les stations balnéaires qui s’étendent sur les 1 400 kilomètres de côtes que compte ce pays voisin exsangue qui a dû recourir à des mesures drastiques après un rebond non-maîtrisé de l’épidémie, suite à une réouverture précoce de l’espace aérien pour tenter de renflouer les caisses vides.
La situation n’est guère meilleure chez nos voisins marocains où les usines des firmes étrangères sont sinon à l’arrêt du moins en sous-activité, dont le constructeur français Renault qui risque de mettre la clé sous le paillasson. Dans les villes frontalières, la misère est totale et le trafic de denrées alimentaires et de carburant est au point mort. Des Marocains manifestent également parfois pour réclamer l’entrée sur le territoire algérien où les opportunités de travail sont plus nombreuses.
F. O.
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