Contribution – Histoire de huit ingénieurs algériens assassinés par la France en 1961
Par Khaled Boulaziz et Kaerdin Zerrouati – Cet article est dédié à Abdelhafid Ihaddaden, premier ingénieur nucléaire algérien ainsi qu’à ses huit autres compatriotes et scientifiques, tous morts dans le «crash» de leur appareil aérien au-dessus de Casablanca le 11 juillet 1961. L’avion fut abattu par les services français.
Le 1er novembre, date fondatrice du renouveau de la nation algérienne, nous donne l’occasion chaque fois d’évoquer, surtout pour la jeunesse algérienne, les meilleurs d’entre nous : ceux et celles qui ont consenti au sacrifice ultime pour la libération et la reconstruction de ce pays. Certains sont morts les armes à la main, d’autres ont été lâchement ravis à la fleur de l’âge par la perfidie de l’occupant français et ses sbires.
Abdelhafid Ihaddaden, enfant terrible de cette jeunesse algérienne qui, à la veille d’une indépendance inéluctable, se préparait déjà avec d’autres compatriotes à jeter les jalons du relèvement du pays par la maîtrise des technologies modernes. Il ne désappointa point. Il fut le premier ingénieur nucléaire de l’Algérie et du Tiers-Monde en son temps.
Né le 9 mars 1932 à Sidi-Aïch, il a été amené à quitter son village natal très tôt et de manière définitive dans les années quarante du siècle dernier. Précoce dès son jeune âge, il a eu un cursus des plus brillants, au primaire, secondaire et universitaire qui l’a mené de Béjaïa et Sétif pour les études secondaires, puis à l’Ecole des arts et métiers de Paris (1952-1956) et enfin à Prague (1956-1961), pour les études universitaires et la spécialisation en énergie nucléaire.
Son itinéraire de militant nationaliste fut tout aussi brillant en tant que responsable au sein de l’UGEMA avant d’intégrer le FLN dès 1956. Il a notamment participé au renforcement de la Fédération de France du FLN.
Après avoir obtenu une bourse d’études en Tchécoslovaquie par l’intermédiaire de l’Union internationale des étudiants, il fut chargé par le FLN des liaisons avec les responsables de certains pays de l’Europe centrale de l’achat des armes et de l’accueil des blessés envoyés par le FLN pour se faire soigner dans les hôpitaux des pays qui soutenaient la Révolution algérienne, dont la Tchécoslovaquie.
Le 11 juillet 1961, alors qu’il se rendait au Maroc avec un groupe de scientifiques algériens comme lui à bord d’un Iliouchine 18 du pavillon national tchécoslovaque assurant la liaison aérienne Prague-Bamako via Rabat, il trouva la mort dans le «crash» de l’appareil au-dessus de Casablanca.
L’avion était flambant neuf et la nuit était de ces belles nuits d’été maghrébines, sans nuages, ni vents.
Dahou Ould Kablia, ancien ministre de l’Intérieur, président de l’Association nationale MALG écrira : «Huit spécialistes des mines, de l’électronique et du génie nucléaire ont rejoint la RDA et la Tchécoslovaquie. Je les cite parce que c’est important (Abdelhafid Ihaddadène, Djelloul Mered, Hocine Mouffok, Abdelouahab Bennini, Mustapha Djebbar, Maâchou, Bekhoucha). Trois d’entre eux, les premiers cités, spécialistes en science nucléaire, feront l’objet d’un attentat des services spéciaux français. Leur avion, un Iliouchine 18 de la compagnie tchécoslovaque, assurant la liaison Prague-Casablanca, a été abattu le 11 juillet 1961 dans le ciel marocain.»
Il faut dire que le «crash» fut minutieusement orchestré par les contrôleurs aériens français encore utilisés à ce moment-là par le Maroc «indépendant». Ils se livrèrent ce jour-là dans le ciel marocain à une assassine partie de punching-ball aérien entre les aéroports de Rabat, Casablanca et la base militaire américaine de Nouaceur.
Chaque fois que l’avion, neuf et piloté par l’un des meilleurs pilotes tchèques, se présentait devant une piste d’atterrissage, ces contrôleurs militaires français habillés en civil lui signifiaient l’ordre de prendre de l’altitude devant l’impossibilité d’atterrir… pour cause d’un prétendu brouillard au sol, alors qu’on était au mois de juillet !
Tout a été entrepris pour que les restes de l’avion, une fois leur forfait accompli, ne puissent pas déborder au moment de leur recueil au sol, les dimensions et le volume d’un banal sac de jute pour pomme de terre, c’est-à-dire moins de deux mètres cubes de «restes».
La France officielle, avait la capacité et surtout l’intérêt stratégique de tenir un fichier des ingénieurs nucléaires africains. A l’évidence, l’orgueil français ne pouvait supporter une seule seconde que l’Algérie puisse compter sur la science nucléaire d’Abdelhafid et de ses autres compatriotes, moins d’un an seulement après l’expérimentation de sa première bombe atomique à Reggane, au Grand Sud !
C’est le véritable testament que nous laisse Abdelhafid, le miroir de son réel tempérament d’acier de militant aux positions politiques toujours tranchées et sans concession : «Les coulisses ne rapportent rien et elles sont faites pour les apprentis diplomates et les sorciers. L’indépendance s’arrache. Elle ne se donne pas !»
En évoquant Abdelhafid et ses huit autres compatriotes, aujourd’hui, nous glorifions le souvenir d’ardents patriotes, la mémoire d’immenses scientifiques et l’abnégation d’hommes vrais et simples qui ont tout donné à leur pays.
Tous les Algériens doivent être fiers d’Abdelhafid, ses compatriotes et de tous les autres martyrs ! (*)
N’est-il pas dit dans notre hymne national : nos dépouilles sont la rançon de notre gloire ?
K. B./K. Z.
(*) M’hand Kasmi, Aïssa Kasmi
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