L’Algérie et le «printemps arabe» : les confessions de l’ex-président Obama
Par Nabil D. – L’ancien président Barack Obama a évoqué l’Algérie par deux fois dans son livre Une terre promise qui vient de paraître dans sa version française aux éditions Fayard. Le prédécesseur de Donald Trump, dont le mandat a coïncidé avec les soulèvements qui ont chamboulé le Moyen-Orient et le Maghreb en 2011, avoue à demi-mot que Washington a grandement contribué à l’éclatement de ces événements même s’il admet, par ailleurs, que tous ses conseillers n’étaient pas d’accord sur l’attitude que la Maison-Blanche devait adopter face au renversement des «régimes arabes».
Barack Obama s’est surtout concentré sur les cas égyptien, tunisien et libyen sur lesquels son administration, affirme-t-il, était devant un choix cornélien : fallait-il s’impliquer ou pas ? Notamment en Libye où le Français Nicolas Sarkozy et le Britannique David Cameron étaient déjà à la manœuvre. Pour l’ancien locataire du Bureau ovale, une intervention directe de l’armée américaine «n’aurait rien réglé», d’autant que celle-ci était déjà suffisamment embourbée en Irak et en Afghanistan.
«En parallèle (aux manifestations en Tunisie, ndlr), des mouvements similaires, principalement animés par des jeunes, naissaient en Algérie, au Yémen, en Jordanie et à Oman, premiers bourgeons de ce qui allait devenir le printemps arabe», écrit Barack Obama. «Les manifestations antigouvernementales ont gagné en ampleur et en intensité dans les autres pays, où la possibilité du changement se révélait de plus en plus crédible», ajoute-t-il, en soulignant que «quelques régimes sont parvenus à faire au moins une concession symbolique aux manifestants tout en évitant les révoltes et les exactions : l’Algérie a levé la loi d’exception en vigueur depuis dix-neuf ans, le roi du Maroc a engagé des réformes constitutionnelles augmentant modestement les pouvoirs du Parlement élu, et le monarque de Jordanie n’a pas tardé à l’imiter».
«Mais, pour beaucoup de dirigeants arabes, la grande leçon à tirer des événements […] était qu’il fallait écraser systématiquement et sans pitié toutes les manifestations – en employant toute la violence nécessaire, et tant pis si la communauté internationale y trouvait à redire», confie encore l’ancien Président démocrate qui se lance, alors, dans une défense à peine voilée des Frères musulmans. «Après l’armée, qui était profondément enracinée dans la société égyptienne et avait des intérêts dans de nombreux secteurs économiques, la faction la plus puissante et rassembleuse du pays était celle des Frères musulmans [qui] bénéficiaient d’une base très étendue», écrit-il, en regrettant presque le fait que «de nombreux gouvernements de la région voyaient en eux une menace, une puissance subversive», et que «leur philosophie fondamentaliste faisait d’eux […] une possible épine dans les relations» avec Washington.
«Les médias ont commencé à se pencher sur la réaction de mon gouvernement face à la crise (les soulèvements populaires de 2011, ndlr), en se demandant concrètement de quel côté nous étions», se souvient Barack Obama. «Jusque-là, nous nous étions bornés à publier des déclarations standard qui nous faisaient gagner du temps. Mais les correspondants à Washington – dont une grande partie prenait visiblement fait et cause pour les manifestants – se sont mis à [nous] harceler, en exigeant de savoir pourquoi nous ne nous étions pas prononcés clairement en faveur des forces pro-démocrates», ajoute-t-il. «Pendant ce temps, les dirigeants de la région nous demandaient pourquoi nous ne soutenions pas Moubarak plus énergiquement», affirme Obama qui cite deux pays particulièrement gênés par la montée des Frères musulmans : Israël, qui craignait de voir l’Iran «s’y installer en deux secondes» si le régime égyptien venait à péricliter, et l’Arabie Saoudite, effrayée de ce que «la diffusion de ce mouvement dans la région représentait une menace vitale pour une dynastie qui étouffait depuis longtemps toutes les oppositions».
«Malgré mon instinct qui me poussait à sauver les innocents menacés par les tyrans, j’hésitais à ordonner une action militaire en Libye, pour la même raison qui m’avait poussé à refuser la suggestion […] d’inclure dans mon discours du prix Nobel un appel explicite à la responsabilité de protéger les civils contre leur gouvernement», fait savoir Barack Obama, qui s’interroge : «Quelle serait la limite de cette obligation d’ingérence ? Et quels en seraient les paramètres ? Combien de morts faudrait-il et combien de personnes en danger pour déclencher une réponse militaire des Etats-Unis ? Pourquoi en Libye et pas au Congo, par exemple, où un enchaînement de conflits avait coûté la vie à des millions de civils ? Devrions-nous intervenir uniquement dans les cas où les pertes américaines seraient nulles ?»
N. D.
Comment (24)