Donald Trump sera-t-il le Néron des temps modernes ?
Par Ali Akika – Derrière les rideaux du théâtre de l’ombre de la Maison Blanche nous proviennent des bruits qui risquent d’ébranler les fondations de ce sanctuaire du pouvoir américain. Est-il osé d’utiliser la métaphore de Rome en train de brûler alors que Néron l’empereur regarde, de son palais, sa capitale en proie aux flammes ? Le mythe de Néron véhicule la personnalité d’un empereur quelque peu déconnecté de la réalité. Néron faisait vivre à Rome une vie extravagante où les délices des fêtes succédaient aux complots, persécutions d’opposants politiques et celui des premiers chrétiens venus de la lointaine Palestine.
Ainsi, derrière l’«épopée» de Néron, il y a un empereur à la tête d’un empire qui était sur le point d’être bousculé par un monde qui va peu à peu émerger (le monde chrétien). Ceci pour rappeler une lapalissade que ni les pouvoirs ni les empires ne sont éternels. Les agitations de Trump et de son employé Pompeo rendant visite à son ami Netanyahou, pour cautionner sa pratique du droit de la force, ne trompent personne. Heureusement que l’histoire n’obéit pas aux lubies des hommes et que l’utilisation de la force de l’épée peut se fracasser contre l’acier du bouclier (L’Art de la guerre, Karl Von Clausewitz).
Examinons la situation de Trump qui a voulu rendre sa grandeur à l’Amérique (Make America Great Again). Son comportement lors de la dernière élection américaine a révélé la face cachée du système américain. Par son refus de reconnaître le verdict des urnes et son éventuelle et future sortie de la Maison Blanche par une porte «secrète», il porte un coup politique et symbolique à l’édifice constitutionnel du pays. Dans quel état va-t-il laisser les relations des Etats-Unis avec le monde ? Un mot vient à l’esprit, le chaos. Il a fait sortir son pays des grandes institutions internationales, Unesco, OMS. Il a déchiré des accords internationaux, sur le climat et le nucléaire avec l’Iran. Il remplace le droit international par le droit américain qui punit quiconque ne respecte pas ses embargos.
Et cerise sur le gâteau, pour des considérations électorales à son propre bénéfice et celui de son ami et compatriote Netanyahou, il offre en cadeau un pays volé à un autre peuple. Sans compter les bombardements de pays, les assassinats de dirigeants étrangers. Cependant, à la veille de son départ, Trump s’aperçoit que ses actes inouïs et extravagants risquent d’être ensevelis sous les décombres qu’il a provoqués. Il voit et entend déjà l’anxiété qui s’empare de ses alliés. Un prince-ministre d’Arabie, la peur au ventre, menace de fabriquer une bombe atomique, un ministre israélien de la Défense se déplace en personne à la frontière pour annoncer des bombardements sur la Syrie.
Si on ajoute les informations fuitées relatives à une éventuelle attaque contre l’Iran et les craintes exprimées par la France et l’Allemagne quant à l’annonce du retrait américain d’Afghanistan et d’Irak, on peut déduire que le départ de Trump «officialise» les échecs politiques et stratégiques des Etats-Unis. Ces échecs ont une origine, l’agression, entre autres, de la Syrie. Cette folie guerrière a introduit deux grandes puissances, la Russie et l’Iran dans le pré-carré américain au Moyen-Orient. Quant à la Libye, la sale agression américano-européenne a fait entrer dans la région Méditerranée/Afrique la Turquie. Cette erreur, la France et l’Angleterre la paient cher de nos jours et Obama a reconnu dans ses mémoires la gaffe qu’il a commise, en apportant sa caution à cette agression. Il l’a fait payer ensuite d’une certaine façon à ces deux alliés, en refusant d’intervenir en Syrie en dépit de la ligne rouge de l’utilisation de gaz chimique qu’il avait fixée.
Que s’est-il passé pour que l’Occident profite d’une situation et s’en va à la guerre, la fleur au fusil ? Il s’est passé deux événements historiques qui, en apparence, n’avaient pas de lien entre eux. L’implosion de l’URSS en 1991et les guerres contre l’Irak en 1991 et 2003. Le vide stratégique et politique provoqué par la chute de l’URSS et l’erreur et la faute de Saddam Hussein en envahissant le Koweït ont donné des ailes aux Etats-Unis et leurs alliés pour réduire leurs adversaires à l’impuissance. Qui a donné cette assurance et réveillé les démons de leur arrogance ? Le triomphe de la mondialisation «heureuse» et ses paradis du consumérisme sous la protection de puissantes armées qui outrepassaient les décisions du Conseil de sécurité, devenu un jouet aux mains de l’Occident. A côté de cet Occident jubilant, la Russie, ex-URSS, sur la touche, ne peut rien faire. Elle est humiliée par un Eltsine, laissant brader les richesses du pays par la mafia russe en relation avec les rapaces occidentaux à l’affut de bonnes affaires. La Chine fait le dos rond pour ne pas attirer sur elle l’Occident. Elle utilisait discrètement son énergie et son intelligence pour tirer profit de la mondialisation au summum de son triomphe. L’Occident fit donc la loi durant la période 1990-2010.
Année 2011, un événement imprévu surgit, appelé par les médias «printemps arabes». Autant l’Occident et notamment les Etats-Unis ont toujours des plans de réponse militaire et politique contre des puissances étatiques, autant ils étaient surpris et démunis devant des peuples qui avaient toutes les raisons de se révolter contre des dictatures moyenâgeuses. Il restait à l’Occident de faire appel à leurs services secrets qui peuplent leurs ambassades. Ces derniers leur proposent la carte politique du monde arabe où les partis islamistes/intégristes occupent un poids non négligeable, notamment les Frères musulmans dont les Etats mentors sont le Qatar et la Turquie. Ça tombe bien pour l’Occident ! Il a des comptes à régler avec les pays arabes qui ont été libérés par le mouvement national. Des pays comme l’Egypte de Nasser, la Syrie, l’Irak, l’Algérie qui ont la «mauvaise idée» de soutenir et même de faire la guerre à Israël. Alors, l’Occident se mit en ordre de marche en utilisant les hommes et l’argent des pays féodaux du Golfe. La coalition internationale eut la peau d’un Kadhafi victime du mirage de son Etat des masses. Mais la coalition de l’Occident se brisa contre la muraille de Syrie avec l’appui de la Russie et de l’Iran.
Aux années 1990-2000 de la mondialisation «heureuse» vont succéder les années 2010-2020 qui annoncent la mondialisation stoppée dans sa montée en puissance. La Chine entre dans le jeu et renforce l’alliance informelle de la Russie et l’Iran. La donne sur la scène internationale change. L’Occident, affaibli par ses guerres contre l’Irak, le coup des tours de New York du 11 septembre 2001, l’invasion de l’Afghanistan, doit faire face à un redoutable concurrent sur le terrain économique, la Chine. 2020, la terrible pandémie du coronavirus révèle le talon d’Achille de l’Occident. Le voilà plongé dans une crise sanitaire et économique dont on ne mesure pas encore toutes les conséquences. Pendant ce temps, la Chine a déjà maîtrisé la crise sanitaire et retrouve sa croissance économique, nous dit-on.
Ce chamboulement que je viens de tracer à grands traits, nécessairement, produira des effets. Le congé donné à Trump par le peuple américain n’est pas une petite affaire. Il va sans doute calmer (espérons) dans le monde les ardeurs des groupes poliment nommés populistes, fascisants en vérité.
Dans la période «heureuse» de la mondialisation, les pays bénéficiant de dollars pour service rendu à l’Oncle Sam auront des soucis à se faire. Israël, qui profita de la destruction de l’Irak, imposa les accords d’Oslo qu’il ne respectera jamais et qui espérait refaire le coup avec le «Deal du siècle» de Trump, ne vas plus aller directement au Congrès américain fournir et exiger la liste de ses besoins. Netanyahou l’a fait sous la barbe d’Obama mais son vice-président de l’époque est devenu président des Etats-Unis, aura sans doute en tête de ne plus laisser son pays se faire humilier par le frère siamois de Trump. Il faut savoir que lorsque l’Amérique est touchée dans ses fondements politiques et institutionnels (ses intérêts et valeurs), elle n’hésite pas à risquer la guerre civile (guerre de sécession), à faire la chasse à ses propres citoyens durant la période du maccarthisme.(1)
Les pays du Golfe, ne «sachant que faire» de leurs dollars, construisent des villes du futur avec le savoir/technologie de l’Occident et la main-d’œuvre/esclave de l’Asie. Israël et ce beau monde commerçaient déjà dans le silence de la honte et faisaient le bonheur des marchands d’armes de la gloutonne et obèse industrie militaire américaine. Un dernier pays que l’on oublie dans cette «heureuse» mondialisation, c’est la Turquie. Allié de poids, ce pays membre de l’OTAN a été aidé à se débarrasser de la dictature militaire qui faisait mauvais genre dans le tableau de famille «des droits de l’Homme». Une dictature remplacée par des islamistes qui n’ont jamais fait peur à l’Amérique, pétrie de religion et qui plus est, les islamistes sont de bons élèves de l’économie de marché. Un allié, certes, mais encombrant qui ne fait pas bon ménage avec les autres alliés de l’Oncle Sam.
La mondialisation «heureuse» a laissé place à celle du coronavirus, qui a étalé devant le monde entier les trous dans les raquettes de l’Occident. Des industries délocalisées, des déficits abyssaux, une Europe malade de potentiels Brexit, une Amérique obligée de déménager dans le Pacifique pour surveiller le concurrent le plus dangereux et, enfin, un avenir sombre avec un virus plus dévastateur que la chute de la Bourse de New York des années 1920.
La mondialisation des années 90 fut un désastre pour les peuples. Leurs agresseurs profitèrent alors de la conjoncture pour rendre la situation irréversible. L’agitation de l’Amérique de Trump, de Netanyahou et tous les princes de pacotille du Golfe ne s’explique que par la peur des bouleversements en cours des données de la scène internationale. Ces nouvelles données sont «ignorées» car les médias sont braqués sur la pandémie et le chômage qui explose. Mais ceux qui ne sont pas distraits par ces médias savent que la parenthèse de Trump a porté un coup sévère au système américain. Comme ils savent qu’Israël a connu trois élections en moins d’un an et qu’une quatrième élection pointe son nez en début de l’année 2021. A cette crise politique, il faut ajouter le rééquilibrage du rapport de force militaire dans la région. On a oublié qu’Israël a évacué Gaza et le sud du Liban sous la pression de la résistance car l’occupation était un prix insupportable. Avec la guerre en Syrie, l’Iran «campe» en Syrie et interdit dorénavant le ciel à l’aviation d’Israël, ce qui panique Israël. Ce n’est pas une mince affaire pour cette armée que l’on croyait invincible et dont la stratégie est basée sur l’attaque sous la protection d’une puissante aviation.
Tous ceux qui ont cru que la Palestine est devenue inaudible pensaient bêtement qu’on peut couvrir la vie d’un voile de mensonge pour que la réalité cesse d’exister. Un proverbe pertinent de chez nous dit : «On ne peut cacher le soleil avec un tamis.» Non, Messieurs les manipulateurs, la Palestine ne disparaîtra pas. Et nous ne cesserons d’en parler et de la soutenir.
Oui, il faut parler de la Palestine, de cette terre ravie à son peuple, au cœur blessé et l’âme en feu par tant d’injustice. Ce peuple subit la même brutalité que celle de ces peuples arrachés à leurs pays pour être transportés vers un continent lointain que l’on a vidé au préalable de ses autochtones.
Oui, il faut parler de la Palestine avec des images qui évoquent l’histoire de ces peuples. Cinq siècles plus tard, la même et sinistre aventure consistant à maintenir dans des prisons à ciel ouvert des humains, comme on le fit avec les Indiens parqués dans des réserves. C’est cynique et fort de café que des hommes ayant connu l’oppression ou l’intolérance reproduisent chez les autres la même misère de la philosophie d’une époque que l’on pensait révolue. Heureusement que l’Histoire n’est point prisonnière de la folie des hommes. Heureusement, les Palestiniens, habités de rêves d’une autre humanité, sont toujours debout. Par leur lutte, l’injustice de leur tragédie, la Nakba ne sera un jour qu’un triste et douloureux souvenir mais aussi un exemple saisissant d’un peuple de résistants.
A. A.
(1) Biden va défendre les intérêts de son pays avant tout, même au prix d’une guerre. Certes, Israël par le biais des lobbys des communautés juives américaines influe lourdement sur la politique américaine. Cependant, il ne faut pas sous-estimer le nationalisme américain (America first) qui défend bec et ongles les intérêts de l’Oncle Sam. Deux faits d’actualité symbolisent l’America first. La vente des F.35 par le puissant lobby militaro-industriel aux Emirats unis en dépit de l’opposition farouche d’Israël pour maintenir sa supériorité stratégique dans la région.
A cela, il faut ajouter la libération totale d’un militaire Jonathan Pollard, juif américain, qui espionnait pour le compte d’Israël. Il a passé 30 ans en prison et vient d’être autorisé d’aller en Israël. Il fait partie des multiples cadeaux de Trump avant d’entrer dans l’anonymat de simple citoyen. Rappelons enfin que les Etats-Unis ont signé l’accord nucléaire avec l’Iran qui a rendu fou Israël. Il a été déchiré par Trump pour les raisons que l’on sait. De toute manière, il n’y a que le changement de rapports de force sur le terrain qui permettra aux Palestiniens de reconquérir leurs droits. Mais, hélas, avec la trahison des féodaux du Golfe, la tâche devient plus compliquée.
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