Deux historiens appellent à rompre avec la sacralisation de la Révolution armée
Par Nabil D. – Les historiens Nedjib Sidi Moussa et Mohammed Harbi ont abordé les questions de la séparation de la religion et de l’Etat ou la démilitarisation de la société dans une tribune parue dans le journal français Le Monde. Ce sont, selon les deux académiciens, «deux thèmes sur lesquels la société algérienne devrait se pencher».
«Nous estimons qu’il est nécessaire de porter un regard critique sur notre histoire récente, non pas pour associer nos voix à celles qui souhaiteraient enterrer définitivement les espoirs de transformation sociale mais, au contraire, pour rouvrir un avenir à la Révolution», écrivent les deux historiens, selon lesquels «il nous appartient de rompre avec la sacralisation ou les légendes entourant le geste indépendantiste, car elles nourrissent un obscurantisme chauvin et constituent des obstacles psychologiques à toute velléité de rupture». «Il s’agit donc, expliquent-ils, de nous départir d’une pensée mutilée et de faire en sorte que le souvenir des combats passés n’entrave pas les luttes actuelles.»
«N’ayons pas peur de nous confronter aux faits historiques dans toute leur complexité, d’autant que les protagonistes de Novembre 1954 n’ont pas vocation à être sanctifiés ni démonisés», relèvent Mohammed Harbi et Nedjib Sidi Moussa, qui pensent qu’«ils (les faits historiques, ndlr) doivent d’abord être compris selon leurs itinéraires, leurs actes et leurs intentions, à savoir débloquer une situation de crise en tenant compte de la conjoncture internationale afin de renverser un ordre injuste».
«Cela revient à évaluer les contributions des vivants, des survivants, qui ont pesé sur les destinées du pays depuis l’indépendance, à rebours d’une lecture par trop morbide et focalisée sur les martyrs tombés au champ d’honneur ou sous la torture coloniale», estiment les auteurs de la tribune. Pour eux, pour parvenir à contrer la «fuite en arrière», il faudra «renouer avec un humanisme qui était déjà en gestation chez les pionniers de l’indépendance, tout en dépassant leurs limites propres».
Par ailleurs, les deux universitaires contestent le référendum constitutionnel «perçu comme une tentative de revenir à la situation antérieure au 22 février 2019, tout en essayant de raviver un mythe largement érodé». «Certes, concluent-ils, le reflux du mouvement populaire est incontestable, pourtant, malgré une sévère répression et la pandémie de Covid-19, les Algériens ne sont pas dupes : le scénario mis en place ne répond en aucun cas à la volonté de changement exprimée dans les rues du pays, mais plutôt à voir avec les luttes entre factions rivales au sein de la classe dominante.» Pour eux, «l’abstention massive démontre la lucidité de la population».
N. D.
Comment (78)