Un avocat français révèle : «Hassan II a livré les chefs du FLN à la France en 56»
Par Nabil D. – Dans son livre intitulé Ben Barka, Hassan II, De Gaulle, ce que je sais d’eux, Maurice Buttin, l’avocat de l’opposant marocain assassiné à Paris, donne une nouvelle version au sujet du détournement de l’avion qui transportait les cinq chefs historiques du FLN le 22 octobre 1956. L’auteur explique qu’il n’est pas le seul à croire qu’il y a eu un «arrangement» entre le prince héritier Hassan II et le gouvernement français, le premier livrait les dirigeants du FLN à la France et le second aidait à éliminer le très gênant opposant républicain par le Mossad à Paris.
Maurice Buttin écrit : «Venu du Caire, Ahmed Ben Bella, Hocine Aït Ahmed, Mohammed Boudiaf, Mohammed Khider et Mustafa Lacheraf se sont arrêtés à Madrid. De là, ils gagnent Nador au Maroc, accompagnés par le Dr Hafid Ibrahim et Abderrahmane Youssoufi. Accueillis à Tétouan par Moulay Hassan, le roi Mohammed V les reçoit solennellement à Rabat, le lendemain 21 octobre. A l’issue de cette rencontre, un communiqué commun rappelle la position du souverain dans le conflit voisin. De facto, une solution à la marocaine. Informé dans la soirée, le gouvernement français, outré, suspend les négociations franco-marocaines sur l’interdépendance ouvertes après le 2 mars. Mohammed V ne tient pas à aller à Tunis. Le Dr Hafid le convainc de s’y rendre et lui conseille d’emmener les dirigeants algériens dans son avion personnel.»
L’avocat français explique que «dans l’entourage du roi, toutefois, certains se posent la question de savoir si la France ne serait pas choquée de voir ces chefs ennemis emprunter l’avion royal. D’autres pensent qu’il n’est pas possible d’y faire monter des révolutionnaires, qui plus est des hommes qui luttent pour instaurer la République, de l’autre côté de la frontière ! Tel est le point de vue de Moulay Hassan. En définitive, Mohammed V part seul le lendemain, accompagné de quelques personnalités, dont les docteurs Hafid, Khatib et Youssoufi. Les dirigeants algériens partent de leur côté, accompagnés de trois journalistes, dont Eve Deschamps, correspondant au Maroc de France Observateur, et Christiane Darbor d’Al-Istiqlal. Deux itinéraires ont été prévus pour ce double vol Casablanca-Tunis».
Il relève que «comme par hasard, le deuxième avion est intercepté par des avions de chasse de l’armée de l’air française, basés en Algérie, qui lui intiment l’ordre de se poser à l’aéroport de Maison-Blanche (actuelle Dar El-Beida, à l’est d’Alger, ndlr)». «Mohammed V, en débarquant à Tunis, poursuit-il, apprend l’événement de la bouche même de Bourguiba. Il en est catastrophé, voire pas rassuré pour lui-même quant à d’éventuels futurs déplacements ! Une question le tourmente : qui a trahi sa confiance ? Des militaires français, en la personne du colonel Touya, attaché à sa personne depuis Madagascar ? Ou des membres de l’entourage de son fils, qui a lui-même conseillé le départ des cinq dirigeants algériens dans un deuxième avion ?»
La réponse, selon Maurice Buttin est venue de Maître Jean-Louis Tixier-Vignancour qui, évoquant le général Oufkir, n’hésite pas à affirmer : «Nous lui devions la capture en octobre 1956 de Ben Bella et de ses compagnons du FLN.» «Michel Droit fait aussi allusion à Oufkir dans son livre Les Clartés du jour, à l’occasion d’une discussion avec le président Ben Bella sur sa capture», ajoute-t-il, en soulignant que «Mehdi Ben Barka, pour sa part, n’hésite pas à accuser Oufkir d’avoir trahi les hôtes algériens, en liaison avec le colonel Touya». «Mais, précise-t-il, en accusant le couple Oufkir-Touya, toujours au Palais, Ben Barka vise, indirectement, le réel patron d’Oufkir, Moulay Hassan.»
«Pour ma part, confie Maurice Buttin, j’ai toujours pensé que, consciemment (sans doute) ou inconsciemment, en conseillant aux révolutionnaires algériens – qui n’étaient pas ses amis, loin de là – de monter dans un deuxième avion, le prince signait leur rapt.» «Ainsi, s’interroge l’avocat du leader tiers-mondiste marocain, Oufkir ou Moulay Hassan ? Ou plus simplement, comme toujours, Oufkir pour Moulay Hassan ?». Et de répondre : «De 1956 à 1966, j’ai tellement entendu citer le nom d’Oufkir dès qu’il se passait quelque répression ou autre événement douteux !» «Mais, enfin, soyons clair : qui était le patron au Maroc, l’unique patron, au lendemain de la mort de Mohammed V ? Et qui oserait même méconnaître le rôle joué antérieurement par le prince héritier ?» se demande encore Maurice Buttin en incluant implicitement les réponses dans les questions.
«Des années après, je mettrai au rang des services réciproques rendus, la livraison par les services français à Hassan II de Mehdi Ben Barka. Or, au travers de mes lectures, j’ai constaté que je n’étais pas le seul à évoquer pareil troc», a-t-il conclu.
N. D.
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