Les dangers d’une nouvelle élection
Par Dr Arab Kennouche – Le retour différé du président de la République, Abdelmadjid Tebboune, en Algérie laisse entrevoir une forme de vacance du pouvoir si la santé du chef de l’Etat ne lui permettait pas d’occuper ses fonctions à plein rendement. Sans augurer de quoi que ce soit, il appartient aux décideurs de l’Etat de prévoir le cas d’un dysfonctionnement répété et durable des organes de la Présidence comme du temps du règne d’Abdelaziz Bouteflika. Ne présentant pas les mêmes traits psychologiques que son prédécesseur, Abdelmadjid Tebboune, bien plus conscient de ses responsabilités historiques, est appelé cette fois-ci à empêcher l’engrenage de la déstabilisation, dans un contexte où les coups fusent de toute part, depuis le Sahara Occidental jusqu’au Parlement européen.
Une question, dès lors, émane de l’équation politique figeant au moins deux critères : la capacité réelle et opérationnelle, en terme de durabilité, à gouverner du Président actuel après une longue convalescence, et l’incidence d’une forme de vacance même altérée sur l’ensemble des questions urgentes touchant le pays. Abdelmadjid Tebboune, en effet, ne disposant pas d’une administration présidentielle tentaculaire car se refusant à toute forme de clanisme pervers qui a coûté cher à l’Algérie, pourrait aisément organiser sa démission en cas d’impossibilité de gouverner sur le long terme, surtout que les dossiers s’accumulent sur tous les fronts. Mais quelle forme prendrait cette sortie ?
La tendance politique depuis le fâcheux incident du cinquième mandat est à l’application stricte de la Constitution, ce qui, par empêchement direct ou indirect, conduirait à de nouvelles élections présidentielles dans les plus brefs délais. On ne pense pas, en effet, un instant que l’actuel chef de l’Etat rechignerait à quitter le pouvoir en invoquant des raisons dilatoires aboutissant finalement à la présentation d’un portrait en bois aux futures élections. D’autant plus que le contexte actuel dans lequel lorgnent encore les partis observateurs du Hirak, condamnerait un comportement politique d’accaparement du pouvoir à la Bouteflika. Ainsi, on peut aisément supposer que le scénario d’un chef de l’Etat fantôme ne se reproduira pas. Faut-il autant que le président de la République organise de nouvelles élections présidentielles à plus ou moins court terme ?
Cette option semble aujourd’hui comporter plusieurs dangers qui doivent permettre de l’éviter. Tout d’abord, la situation sanitaire du Covid-19 empêchant tout rassemblement irait jusqu’à bloquer, voire porter un coup fatal à tout le processus d’élection. Une fois de plus, comme pour le vote des amendements à la Constitution de 1996, les taux de participation risquent d’être insuffisants ou très bas. Organiser un scrutin en plein Covid-19 comporterait le risque de ne pas cautériser au bon endroit de la plaie. Le nouveau président élu souffrirait des mêmes maux de manque de légitimité et serait perçu comme un président-pis-aller, faute d’avoir «pu trouver mieux pour l’instant». Il est, aussi, presque certain que tous les scrutins qui suivraient, comme les législatives, seraient entachés de la même désaffection conduisant à une crise aggravée de l’Etat.
Si, en effet, un nouveau président de la République réussit à sortir du lot, sa véritable épreuve de force sera effective lors des élections parlementaires qui, en cas d’échec, aurait pour conséquence, une fois de plus, de discréditer un tel président et de l’isoler de la nation.
Enfin, alors que l’Algérie de Tebboune et Chengriha nettoient de fond en comble les institutions gangrénées par vingt années de bouteflikisme, la remise en cause de ce tandem par une réouverture trop précipitée du champ politique aux forces encore en présence dans le sérail serait donner une occasion en or à des retours de pratique clanique contre les intérêts de l’Etat. On a pu constater comment une simple absence du chef de l’Etat pour des soins en Allemagne a ouvert la porte à un vent de mesures tactiques destinées à affaiblir encore plus l’Algérie. Les Emirats arabes unis, activés par leur nouvel allié Israël, tentent désormais de renégocier les acquis de l’ère Tebboune-Chengriha et ne manqueraient pas de faire peser de tout leur poids l’issue d’élections présidentielles en contexte fragilisé.
Autrement que par le biais d’élections présidentielles anticipées, l’Algérie envisagerait-elle l’option d’un nouveau Haut Comité d’Etat, ou bien d’une instance similaire qui organiserait une courte transition durant l’année 2021 ? Le but d’une telle structure de gouvernement serait de reporter sine die tout type d’élection dont l’issue serait catastrophique et de rassurer le peuple algérien sur les conditions sanitaires du pays, certainement dans une phase post-vaccin.
En se rendant pleinement responsable des conditions sécuritaires et sanitaires du pays, le pouvoir enverrait un message clair en direction de la nation : «l’organisation d’élections propres dans un contexte sanitaire pleinement viabilisé». En dehors d’un tel message, la nation ne pourrait se sentir convoquée et légitiment responsable de son avenir. Un Haut Comité d’Etat aurait aussi l’avantage, pourvu qu’il ne s’éternise pas, de renforcer l’image d’un pouvoir politique réunifié dans un centre qui manque tant à l’Algérie.
Il est patent, en effet, que l’administration Tebboune fut en peine de communiquer d’une seule voix avec la nation selon des normes protocolaires et sur la base d’une plateforme politique claire. Ce décentrement fut l’occasion d’interventions étrangères qui ont frôlé l’ingérence, donnant l’impression d’un vide abyssale dans le sein du pouvoir. Les attaques venimeuses des Emirats arabes unis et le peu de remontrances de la part du pouvoir actuel en l’absence du chef de l’Etat suffisent à démontrer l’urgence d’un nouvel échafaudage juridique, sorte de haut comité civil apolitique qui concentrerait des pouvoirs exceptionnels transitoires, le temps de sortir le pays de ce chaos qui ne dit pas son nom.
Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que les ennemis de l’Algérie vont continuer de porter l’estocade partout où ils sentiront comme à présent la présence simultanée de plusieurs brèches : brèche institutionnelle par l’installation d’une crise permanente au sein de l’Etat, brèche sociale et sanitaire doublée d’une crise économique aigue et, enfin, brèche géostratégique par la résurgence de l’expansionnisme marocain.
Autant dire que l’urgence d’une solution pérenne n’est plus à démontrer.
A. K.
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