Un expert avertit contre la réédition du scénario vénézuélien en Algérie
Par Dr Abderrahmane Mebtoul(*) – L’Algérie ne peut continuer à fonctionner sur la base d’un cours supérieur à 100 dollars le baril, le cours budgétaire inscrit dans les différentes lois de finances 30 à 40 dollars étant un artifice comptable, d’autant plus que 33% des recettes de Sonatrach en 2019 proviennent du gaz dont le prix a chuté de près de 70% entre 2010 et 2019, le cours sur le marché libre étant le 14 décembre 2020 de 2,639 dollars le MBTU. Selon les prévisions du FMI pour les années précédentes, le prix d’équilibre du baril pour l’Algérie était estimé de 104,6 dollars en 2019, à 101,4 en 2018 et à 91,4 en 2017.
Ainsi s’impose une synchronisation entre la sphère réelle et la sphère financière, la dynamique économique et la dynamique sociale au sein d’une vision stratégique qui fait cruellement défaut. Car des mesures strictement monétaires, pour l’Algérie, contredisent les lois élémentaires de l’économie où toute dévaluation, en principe, devrait dynamiser les exportations. Or, entre 1970 et 2020, 98% des exportations proviennent toujours des hydrocarbures en incluant les dérivés. Il s’agit de revoir toute la stratégie économique et sociale.
Il faut également éviter les utopies où, face au manque de dynamisme du secteur public, les assainissements supportés par le Trésor public ayant largement dépassé 100 milliards de dollars entre 2000 et 2020, certains responsables évoquent la privatisation partielle sans définir clairement les moyens et les objectifs, tant pour certaines entreprises publiques que pour quelques banques par la Bourse d’Alger. Etant un processus éminemment politique, toute décision sur un sujet aussi sensible et complexe doit avoir d’abord l’aval du Conseil des ministres, certainement après consultation du Haut Conseil de sécurité du fait que ce processus complexe engage l’avenir du pays à travers de nouvelles recompositions du pouvoir.
Le risque, en cas de stagnation du cours des hydrocarbures et l’absence de réformes profondes pour un retour à la croissance, est la spirale inflationniste du scénario vénézuélien : dévaluation de la monnaie, frein à la croissance, 85% des matières premières et équipements des entreprises publiques et privées étant importés, manque de confiance, dévaluation et détérioration du pouvoir d’achat. L’illusion monétaire sans un véritable plan de relance qui demandera du temps pour leur rentabilité entre 2024 et 2028, trois ans pour les PMI/PME, 6 à 7 ans pour les grands projets structurants, sous réserve de la levée des contraintes d’environnement et que les projets soient mis en œuvre en 2021, ne peut que conduire le pays à l’impasse.
Il ne faut pas vivre d’illusions ; il faut dire la vérité, rien que la vérité. La situation économique en ce mois de décembre 2020 est inquiétante, le statut quo actuel étant suicidaire, nécessite un sursaut national qui ne peut provenir que des Algériens eux-mêmes. L’Algérie, pays à fortes potentialités, acteur stratégique au niveau des régions méditerranéenne et africaine, a besoin d’un renouveau de sa gouvernance et d’une adaptation aux nouvelles mutations mondiales, d’une plus grande moralité des dirigeants et d’une valorisation du savoir avec pour objectif la transition énergétique et numérique, loin de cette mentalité rentière destructrice.
Pour dépasser l’entropie actuelle, éviter un retour au FMI vers le début de l’année 2022, le développement de l’Algérie, sa stabilité et la reconquête de la cohésion nationale passe par la construction d’un front intérieur solide en faveur de profondes réformes politiques, économiques, sociales et culturelles. Il s’agit là de l’unique voie que doivent emprunter les Algériens afin de transcender leurs différends.
A. M.
(*) Docteur d’Etat ès sciences économiques, ancien président du Conseil national des privatisations, ancien haut magistrat et premier conseiller à la Cour des comptes.
Comment (37)