Le Dr Lagha Chegrouche explique d’où vient la logique de la rente en Algérie
Par Farida O. – Le Dr Lagha Chegrouche s’apprête à éditer un livre intitulé Géopolitique d’Algérie : syndrome de la Régence. L’essai, qui paraîtra le mois de janvier prochain, s’inscrit dans le prolongement de son ouvrage Chroniques nord-africaines : Régence et gouvernance «qui réfute des allégations véhiculées et des assertions enseignées dans les écoles de toutes les régences coloniales ou postcoloniales».
Le nouvel essai explique comment l’Algérie est le couronnement d’une centralité géopolitique ancienne dans son histoire et sa géographique, moderne dans sa configuration postcoloniale dont les fondements ethniques, historiques et culturels sont plusieurs fois millénaires. Une centralité territoriale et politique dont la genèse était l’Etat de Numidie (202-46 av. J.-C.), pour s’affirmer plus tard en tant qu’Algérie. Elle est plus marquée dans sa gouvernance par le mode, les us et coutumes de l’Etat d’Alger (1710-1830), appelé abusivement, parfois outrageusement, «Régence d’Alger». Un déni de son autonomie, voire de son existence ! Pourtant, c’est une réalité géopolitique précoloniale qui marque encore l’Algérie postcoloniale dans sa gouvernance, son histoire et sa géopolitique.
La gouvernance postcoloniale est toujours à la recherche de la rente. Autrefois, c’était la «prise corsaire» ou la rentre céréalière : le gaz de schiste est son nouveau chébec ! Les projets d’hydrocarbures se multiplient mais ils ne reproduisent que l’extraversion économique. L’exportation infère l’exportation, comme pour l’Etat d’Alger, la «course» induit les courses. Une marine de la Régence efficace en mer et une gouvernance déficiente dans ses arsenaux et ses domaines céréaliers. La «prise» était sa rente, une rente corsaire. Le célèbre arsenal, celui de la construction navale des glorieux et invulnérables chebecs, était en déconfiture, puis à l’abandon, après un leadership marin établi. Le domaine céréalier, grenier d’Europe, est légué en concession et ses récoltes, mises sous-comptoir au profit des compagnies européennes.
La rente est une bénédiction pour les puissances qui régulent son usage comme la Norvège et la Hollande. Une malédiction pour les pays rentiers, toujours à la recherche de la rente, comme l’Espagne, dans sa course à l’or d’Amérique ! Ce pays a accaparé presque tout l’or sud-américain mais elle a perdu, au final, sa puissance et son rayonnement, exactement comme l’Etat d’Alger. La rente «tue» ! La Régence postcoloniale a gaspillé plus de 1 000 milliards de dollars américains de 2000 à 2020, sans effet induit pour l’économie du pays. La Régence postcoloniale est toujours à la recherche de la rente pétrolière.
L’autochtonisation de l’Etat d’Alger à partir depuis 1710 a rendu possible le développement des exportations de blé. La demande européenne fut le principal moteur de la production pour l’exportation. L’industrie céréalière était prospère et génératrice de revenus. Pour l’époque postcoloniale, le pétrole de tous les Hassi a remplacé le blé des plaines d’Algérie, «guemh el-beliouni», un blé de qualité supérieur comme pour le «Saharian Blend», un pétrole du Sahara à 44° API. En effet, c’est un grain dur doré et consistant, chanté par les autochtones du pays pour ses qualités nutritives : «Ya Salah, ya Salah, ya guemh el-beliouni» ! Qui ne se mémorise pas ces chants de labour et de sueurs d’Algérie.
Les guerres contre l’Etat d’Alger ont épuisé ses forces militaires et ses ressources économiques, puis précipité le déclin du pays et son occupation. Ces guerres ont été conduites pour infléchir le leadership maritime d’Alger. La «Sublime Porte» d’Istanbul n’apportait aucun soutien logistique, ni militaire à l’Etat d’Alger, face à la persistance de la rivalité des puissances européennes. C’était une attitude de représailles à la décision d’Alger d’avoir renvoyé le Pacha ottoman en 1710, à son choix d’autonomie et de relation consulaire avec des puissances tierces. En effet, la «Sublime Porte» entretenait ouvertement de fortes et amicales relations avec les puissances hostiles à l’Etat d’Alger, en particulier la France. Une politique ottomane vengeresse, voire «complotiste», contraire aux intérêts de l’Etat d’Alger, une politique qui a perduré jusqu’à la destruction de la flotte maritime d’Alger durant la bataille de Navarin en 1827 et le blocus de son port.
L’essai tente enfin de cerner cette géopolitique d’Algérie, le jeu et l’enjeu. Il porte sur le discours de gouvernance, parce qu’il participe à l’apologie du pouvoir et procède d’un vouloir de mystification d’une crise de gouvernance récurrente, qui prend l’allure d’une nouvelle manifestation syndromique : le syndrome de la Régence. Une réfutation de nombreux «postulats» et de «préjugés» partagés par l’élite, une réplique avec méthode et références inédites. Une critique de la posture d’aliénation culturelle de cette élite.
Le Dr Lagha Chegrouche, auteur du livre, est chercheur, directeur du Centre d’études nord-africaines (CENA). Ses travaux de recherche portent sur l’économie, l’énergie et la géopolitique comparée. Il enseigne à l’Université de Paris I et collabore avec des institutions internationales. Il est l’auteur de nombreuses publications académiques relatives à l’économie, à l’énergie et à la géopolitique. Depuis 1990, il a signé des contributions dans des ouvrages et revues scientifiques.
F. O.
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