Le Parlement européen en ordre de bataille
Par Boualem Snaoui – On vit une drôle d’époque, une époque où l’inversion des valeurs et des rôles devient la norme. Au nom de la «liberté et de la démocratie», au nom des «droits de l’Homme», on organise des «chaos» et des guerres infâmes contre des peuples innocents et des nations à peine indépendantes, au profit des puissants. «C’est le nouveau monde».
Les guerres se préparent, elles se construisent, elles s’organisent, elles sont «le fruit amer» d’un long travail de fond, de préparation, de manipulations et de diabolisation, où l’on fabrique essentiellement des «pour la guerre» ; tous les «pour», sous différentes bannières médiatiques, politiques et militaires. Rien ne vient par hasard. Les «contre» sont cachés et on fait en sorte qu’ils n’existent pas. Il arrive que l’on fabrique des «pour» et des «contre» pour les besoins du scénario, préparé par des metteurs en scène souvent expérimentés dans ce type de montage de films de guerre. Ceux-ci logent généralement dans des demeures inaccessibles et fortifiées.
Les médias puissants des «pour», mobilisés en masse, comme à Hollywood, se chargent de diaboliser la cible confectionnée pour la production du film de guerre : il y a les gentils qui sont reconnaissables et, en face, ce sont les «méchants». Dans les scénarios, on reconnaît toujours les gentils qui, par ailleurs, sont toujours, comme dans les vrais films, les gagnants. Et gare à celui qui défend les méchants tout désignés. C’est un peu comme dans les westerns d’Hollywood : les méchants, ce sont toujours les Indiens exterminés, et les gentils, ce sont les cowboys.
«La faim» justifie les moyens, et le bourreau «médiatique» s’attèle à la diabolisation systématique de la victime toute désignée, en la faisant passer pour le tortionnaire. Durant cette phase de préparation, des mains expertes n’oublient pas de fabriquer des «slogans» à la chaîne, qu’on diffuse sur «les ondes de guerres». Cela fait partie du jeu de «massacres».
Dans le cas de l’Algérie, sur les écrans, dans la presse écrite affiliée à «la propagande démocratique», dans les Parlements, sur les réseaux sociaux et les «canaux officieux démocratiques», le ton se lit et se devine : on va faire la fête «au peuple algérien», avec en produit d’appel «un grand feu d’artifice» qui est déjà en préparation. Il n’y a plus qu’à se munir de ses lunettes 3D, pour voir les lumières «démocratiques» scintiller de l’autre côté de la rive, contre la dernière République «arabe» ; les monarchies sont-elles génétiquement démocratiques ou alors seront-elles consommées en dessert, car plus faciles à faire ingurgiter ? Les «chauffeurs» de foules et de «guerres démocratiques» s’activent, depuis de longues années, avec leurs «slogans inversés». Il n’y a qu’à voir leurs gueules de charognards essoufflés, avides de sang, pour se rendre compte que ces «vampires» ont fait du chemin : les marchands de mort vont se faire de l’or.
Les médias dominants et leurs appendices ont donc commencé le travail de diabolisation de l’Algérie depuis de nombreuses années, mais l’intensité et la généralisation du discours «civilisateur», dans la corbeille unique de désinformation médiatique, a pris une dimension titanesque ces derniers temps. Ils chauffent les foules. On raconte que les articles de presse commandés pour ternir l’Algérie et glorifier «la danse démocratique des bananes» se paient cash : jusqu’à 6 000 euros pièce. C’est un marché florissant, où même les slogans mis en phase sentent déjà l’odeur de la poudre : «régime», «société civile», «liberté et démocratie», «sauver des populations civiles», «détenus d’opinion», «communauté internationale», etc. C’est la pratique du théorème de «l’inversion des valeurs et des rôles», portée, y compris par une armée désignée sous le pseudonyme de la «société civile».
Accompagnant cet encerclement médiatique, l’encerclement politique bat son plein et a atteint des niveaux inégalés, avec les résolutions du Parlement européen votées contre l’Algérie et son peuple, confectionnées à la chaîne par ces temps de pandémie. Les deux résolutions (celle du 28 novembre 2019, et celle du 26 novembre 2020) attirent d’abord l’attention par l’intrigante unanimité politique (allant de l’extrême-droite à la gauche) jamais réalisée dans l’histoire mondiale et qui nous laisse pantois. Des députés européens, de droite, de gauche, des «Verts», de l’extrême-droite, qui ne s’accordent sur aucune des politiques engagées par le Parlement et les Etats de l’UE, se sont spontanément rassemblés comme un seul «homme, bien sûr par hasard, sans hésitations, sans réticences, pour voter une résolution contre l’Algérie et son peuple. Comment des députés de «gauche» peuvent-ils porter le même bulletin de vote que des «députés» de «droite» et/ou «d’extrême-droite» ?
Toutes les digues politiques sont tombées. Je me demande même si j’ai «le droit démocratique» de poser la question… Les cartes politiques sont totalement brouillées.
Dès les premiers constats, énumérés de A à Q, relevés dans la dernière résolution du 26 novembre 2020, quelle n’a été ma surprise lorsque j’ai lu, heureusement assis, que «les manifestations du Hirak se poursuivent en-ligne pour freiner la propagation du Covid-19» – «manifestants exprimant leur point de vue sur les réseaux sociaux». Ah bon ? Il y a des manifestations en-ligne détectées par le Parlement Européen ? Il fallait nous le dire, on se serait épargné, sur la place de la République à Paris, les câlins au LBD (lanceurs de balles de défense utilisés par de la police française) dans les mêlées (type match de rugby) parfumées au gaz lacrymogène, avec «les bleus» aux couleurs l’équipe de France, depuis plus de deux ans.
Dans le cas de l’Algérie, comment un Parlement européen a-t-il pu délibérer sur des manifestations sur les réseaux sociaux ? «Un truc de ouf», comme disent les jeunes. Peut-être que Jean-Dominique Merchet, dans son article sur «La cyber influence de l’armée française» nous a apporté une première réponse. Et quand je disais qu’en Algérie il y a «une armée de la société civile».(1)
En parcourant les injonctions des «maîtres» et leurs condamnations surprenantes, numérotées de 1 à 20, je me suis arrêté à l’alinéa 9, qui devrait être gravé dans le marbre. Le Parlement européen s’y dit «préoccupé par les sanctions prononcées contre les diffuseurs d’informations fallacieuses», souillant l’honneur de fonctionnaires publics et le «financement d’associations». Rien que ça, tiens, on ne savait pas qu’il fallait décorer les auteurs des «informations fallacieuses» et «blanchir les financements occultes des associations» en Algérie. L’ensauvagement est «halal» pour le peuple algérien. C’est bien le monde à l’envers, je vous le disais.
Le second élément qui saute aux yeux, ce sont «les injonctions» culturelles, ethniques, linguistiques, administratives, de politique judiciaire et constitutionnelle, allant même jusqu’à presque «exiger» – point 12 de la résolution – le remplacement du drapeau national algérien par un autre. Mais à quel titre un Parlement, censé traiter des affaires européennes, peut-il délibérer et imposer un drapeau, fabriqué dans les coulisses coloniales, à un pays tiers souverain ? N’est-ce pas que c’est troublant ? Le message du «Coran berbériste», que j’ai rédigé précédemment a été bien reçu, même si, «sans Tabbou», ce soldat de «l’armée de la société civile» m’avait interrompu en cours de route. A propos du film L’homme qui murmurait aux oreilles des chevaux, auquel il m’avait fait pensé, je disais que le cheval «de Troie» on le connaît ; il ne restait plus qu’à trouver l’homme. Eh bien, ça y est, bingo : ils l’ont trouvé.
L’injonction num. 14 vaut aussi son pesant d’or. Elle exige de l’Algérie, à la fois, une pleine reddition de comptes (mise sous tutelle) et un contrôle par des civils (déjà désignés à Bruxelles ?) des forces armées, ainsi que la subordination effective de ces dernières à une autorité civile. De mémoire d’antimilitariste et d’objecteur de conscience, je n’ai jamais vu une telle injonction à l’égard d’un Etat indépendant. Ils veulent y entrer «comme dans du beurre» ? Cela va rendre jaloux les militants et les paysans qui s’étaient soulevés contre l’expropriation de leurs terres à la suite du projet du ministre de la Défense, Michel Debré (UDR), d’agrandir le camp militaire du Larzac de 3 000 à 17 000 hectares. C’est José Bové qui doit faire un brushing à ses moustaches.
Voilà donc une idée, quelle est bonne, du Parlement européen, d’organiser des inspections de sites militaires algériens par l’armée de «la société civile» formée dans les écoles des «Printemps des révolutions colorées». Vous allez voir Ali Belhadj, BouSachi, «La Zoubida de la Gaff», «Amir Dz», «Saïd Samedi», «Ferhat le moine», «Sans Tabbou» de son prénom Karim, l’empereur du RCD, Zitout, Mourad «la Tartine», Rachid «le mécanicien», etc., venir inspecter les sites de l’armée algérienne !
Elle n’est pas belle la «révolution des bananes» ? Au moment où l’armée française vient d’annoncer, ce 4 décembre 2020, la production en série du «soldat augmenté». A ce stade, le message du Parlement européen aux Algériens est : «A vous le tribalisme, à nous soldat augmenté.» Vous vous rappelez des «courbés vers la terre de Salluste» ? On y est.
Finalement, les réponses sont à découvrir dans les travaux d’Ahmed Bensaada, qui décrit, entre autres, l’action des lobbys de la «printanisation» des pays, comme Open Society Foundations (OSF), dirigée par le milliardaire Georges Soros, Endowment for Democracy (NED), la United States for International Development (USAID) et Freedom House, pour faire exploser l’Algérie. Environ 40 000 lobbyistes qui arpentent les couloirs du Parlement bruxellois, soit autour de 50 par député européen. Bastien Lejeune, dans un article paru dans Valeurs du 25 novembre 2020 décrit «Comment l’Open Society de George Soros et Microsoft de Bill Gates financent le Conseil de l’Europe».
Le «théorème des inversions des valeurs», qui est décrit comme une règle singulière pour l’Algérie, a fini par m’atteindre. Je me suis bouché le nez et j’ai jeté l’éponge.
Le plus spectaculaire, c’est de voir le haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la sécurité, Josep Borrell, se réjouir sur son compte Tweeter de la normalisation des relations israélo-marocaines, qui viole la résolution votée par ce même Parlement européen le 10 avril 2002, demandant la suspension de l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël, signé le 20 novembre 1995 et entré en vigueur le 1er juin 2000. Au diable le «droit international», le nouveau monde : c’est le «droit du plus fort» tout court. On le savait déjà, mais là c’est plus clair ; sinon, l’Europe aurait exigé depuis longtemps l’abrogation de la circulaire «Alliot-Marie» CRIM-AP num 09-9006-A4. Cette dernière, datant du 12 février 2010, élaborée par la garde des Sceaux de l’époque, reconduite depuis par tous les gardes des Sceaux, criminalisant les militants du mouvement «BDS» : (Boycott Désinvestissement Sanctions), alors même que l’arrêt Baldassi du 11 juin 2020 condamnant la France, de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a jugé que l’appel au boycott des produits israéliens ne peut en soi constituer une infraction pénale : il est, en effet, couvert par la liberté d’expression.
Le Parlement européen avance donc parallèlement au «droit» et ne compte pas délibérer en fonction des condamnations prononcées par la Cour européenne de justice.(2)
Je ne sais pas s’il est utile de faire parvenir à Josep Borrel Fontelles le rapport num 4070 de l’Assemblée nationale française sur «la géopolitique de l’eau», enregistré le 13 décembre 2011 par la Commission des Affaires étrangères, présidée par Lionnel Lucas et dont le rapporteur est Jean Glavany, où des députés français dénoncent «Un nouvel apartheid» dans la gestion de l’eau en Israël.(3)
Ce qui est inquiétant, voire alarmant, c’est présentement la concentration des armées de l’Otan tout autour de l’Algérie, allant du nord au sud et d’est en ouest. Par ses frontières est, la Libye, depuis son effondrement, est devenue le siège de plusieurs bases de l’Otan, dont ceux de la Turquie, des monarchies du Golfe et de milices armées par différents belligérants. Au sud, le Tchad, le Niger et le Mali abritent des dizaines de bases militaires américaines, allemandes, françaises, émiraties, et des groupes terroristes divers s’activent sur les zones frontalières avec l’Algérie. Le centre opérationnel interarmées (COIA), centre névralgique de l’opération Barkhane, est installé au Tchad. Les Etats-Unis ont édifié l’une des plus importantes bases pour drones de l’armée américaine au Niger (à Agadez). Israël a fait une percée au Tchad, avec, à la clef, une coopération militaire soutenue. Le site Africa Intelligence rapporte que trois sociétés israéliennes spécialisées dans les domaines militaires et des télécommunications vont s’implanter au Mali. A l’ouest, la monarchie marocaine, qui organise des exercices militaires avec les armées de l’Otan et qui vient de normaliser officiellement ses relations avec Israël, a annoncé, le 21 mai dernier, la construction d’une base militaire dans la province de Djérada, à un kilomètre de la frontière avec l’Algérie. Les monarchies du Golfe viennent aussi souffler sur les braises, en apportant leur soutien à la monarchie du Maroc.
A côté de ce siège terrestre et aérien, le siège naval prend forme aussi. Le quotidien El-Espanol, en date du 5 juillet 2020, affirmait que l’accord militaire qui lie les Etats-Unis à l’Espagne sur l’occupation de la base navale de Rota, sur la côte atlantique dans le sud-ouest de l’île ibérique, arrive à expiration en mai 2021 ; l’armée américaine pourrait déménager ses navires vers la base de Ksar Sghir, dans le détroit de Gibraltar, au nord du Maroc. La disposition navale dans le Bassin méditerranéen oriental, impliquant la France, la Grèce, la Turquie, tous faisant partie de l’Otan, est aussi un facteur essentiel dont l’approche géostratégique.
A ma connaissance, il n’y a jamais eu autant de concentration d’armées et d’armes, depuis la première guerre du Golfe contre le peuple irakien en 1990, dans une région du globe, autour du Bassin méditerranéen. Il n’y a jamais eu non plus autant de concentration d’armes et d’armées en Méditerranée depuis la Seconde Guerre mondiale. Et la démilitarisation de cette zone n’est pas pour demain, surtout avec Karim Amellal, qui ne paraît pas blanc comme neige, ce cofondateur du site intellectuel Chou Chouf, proche de l’extrême droite algérienne du MAK(4), comme ambassadeur-délégué interministériel à la Méditerranée au ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères, dirigé par Jean-Yves Le Drian (ancien ministre de la Défense).
L’une des réponses à ce plan de guerre géostratégique se trouve dans le projet de l’UPM (Union Pour la Méditerranée) porté par Nicolas Sarkozy, décrit par le cercle des économistes et Hubert Védrine (ancien secrétaire général de l’Elysée de 1991 à 1995, ministre des Affaires étrangères, signataire d’un rapport remarqué sur la France et la mondialisation !) dans leur feuille de route 5+5=32, Ed. Perrin, 2007. Il est précisé : «Ce livre est le premier à éclairer de manière aussi acérée l’avenir de la Méditerranée.» (5)
L’unique projet de paix qui vaille aujourd’hui, dans l’intérêt des peuples méditerranéens, est la démilitarisation de ce Bassin, que personne bizarrement n’évoque, si on arrive évidemment à annuler le rendez-vous du feu d’artifice au «peuple algérien» dont le coup d’envoi semble sorti des cartons, avec comme invités d’honneur : «Les terroristes, l’Otan, les monarchies arabes, Israël, la Russie et la Chine.»
On comprend mieux le «processus de transition» pour l’Algérie, réclamé par notre Commandeur Macron, et la déclaration de John O’rourke, chef de la délégation de l’Union européenne en Algérie, qui précise : «Nous observons avec intérêt le processus des réformes en Algérie.»
«Même si mes habits sont sales, comme les vôtres, laissez-moi me vêtir proprement tout seul.»
B. S.
2- https://echr.coe.int/Pages/home.aspx?p=reports&c=fre
4- https://algerie54.com/2020/03/11/elections-municipales-a-paris/
5- https://lecercledeseconomistes.fr/5532-feuille-de-route-pour-une-union-mediterraneenne/
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