L’Algérie a besoin d’un nouveau contrat politique et social entre la nation et l’Etat
Par Dr Abderrahmane Mebtoul – La gestion volontariste depuis l’indépendance, les enjeux de pouvoir internes, la crise économique, sociale et culturelle, et enfin les contraintes externes de plus en plus pesantes ont abouti à des changements, menés parfois à la hussarde, qui ont révélé une réalité bien amère : l’absence dramatique d’une véritable stratégie nationale d’adaptation à ce phénomène total et inexorable qu’est la mondialisation. La conjonction de facteurs endogènes et exogènes et l’intervention massive – parfois directe et par moments insidieuse – d’acteurs internes et externes a abouti à une transition qui se traîne en longueur depuis des décennies et non pas seulement pour la période actuelle. L’économie est fondamentalement politique, comme nous l’ont enseignée ses fondateurs, notamment Adam Smith, David Ricardo, Karl Marx, Joseph Schumpeter et plus près de nous les prix Nobel en sciences économiques attribués aux institutionnalistes entre 2000 et 2019.
Les réformes, fondement de la transition socio-économique, renvoient à la refondation de l’Etat qui implique de saisir les tendances réelles de la société algérienne face aux mutations, tant internes que mondiales. Les exigences d’un Etat fort de sa droiture et de son droit, si elles constituent un outil vital pour la cohésion nationale et le destin de la nation, ne doivent pas occulter les besoins d’autonomie de pouvoirs locaux qui doivent être restructurés en fonction de leur histoire anthropologique et non en fonction des nécessités électoralistes ou clientélistes.
La cohésion de ces espaces et leur implication dans la gestion de leurs intérêts et de leurs territorialités respectives enclencherait alors une dynamique de complétions positives et rendrait la maîtrise des groupes plus facile pour la centralité politique nationale. L’autonomie des pouvoirs locaux ne signifie pas autonomie de gouvernement, mais un renforcement de la bonne gouvernance en fortifiant le rôle de la société civile, que seules des actions d’intérêt commun doivent légitimer, et non le soutien de l’État.
Un nouveau contrat politique et social entre la nation et l’Etat
La refondation de l’Etat, pour ne pas dire sa fondation comme entité civile, passe nécessairement par une mutation profonde de la fonction sociale de la politique. La fin de l’Etat de la mamelle, puis de la légitimité révolutionnaire, signifie surtout que le pouvoir bienfaisant – ou de bienfaisances inaugurées comme contrat politique implicite par les tenants du socialisme de la mamelle afin de légitimer l’échange d’une partie de la rente contre la dépendance et la soumission politiques, et qui efface tout esprit de citoyenneté active – doit céder la place à un pouvoir juste. C’est la norme du droit qui reprend sa place pour légitimer le véritable statut de la citoyenneté nationale.
Le passage de l’Etat de «soutien» à l’Etat de justice est, de mon point de vue, un pari politique majeur, car il implique tout simplement un nouveau contrat social et politique entre la nation et l’Etat. L’Algérie ne peut revenir à elle-même que si les faux privilèges sont bannis et les critères de compétence, de loyauté et d’innovation sont réinstaurés comme passerelles de la réussite et de promotion sociale. La compétence n’est nullement synonyme de postes dans la hiérarchie informelle, ni un positionnement dans la perception d’une rente ; elle se suffit à elle-même et son efficacité et sa légitimité se vérifient surtout dans la pertinence des idées et la symbolique positive qu’elle ancre dans les corps et les acteurs sociaux. La compétence n’est pas uniquement fondée sur un diplôme, elle est aussi une conscience et une substance qui nourrissent les institutions et construisent les bases du savoir afin d’avoir un impact réel sur la dynamique sociale globale, et cela afin de réaliser les aspirations d’une Algérie arrimée à la modernité tout en préservant son authenticité.
La refondation de l’Etat ne saurait se limiter à une réorganisation technique de l’autorité et des pouvoirs. La gouvernance est une question d’intelligence et de légitimité réelle et non fictive. Cela implique des réaménagements dans l’organisation du pouvoir devant poser la problématique stratégique du futur rôle de l’Etat largement influencé par les effets de la mondialisation dans le développement économique et social, notamment à travers une réelle décentralisation.
Refonte de l’Etat et réelle décentralisation
Il s’agit d’aller, comme je le suggère depuis les années 1980, vers une réelle décentralisation autour de quatre à cinq pôles régionaux socio-économiques homogènes, à ne pas confondre avec le concept dangereux du régionalisme qui annihile tout esprit de citoyenneté, afin de rapprocher l’Etat du citoyen. Dans ce cadre, cellule de base par excellence, la commune algérienne a été régie par des textes qui ne sont plus d’actualité, autrement dit obsolètes. L’objectif central de la démarche est de transformer la commune «providence » en commune «entreprise».
Cela suppose que toutes les composantes de la société et les acteurs de la vie économique, sociale et culturelle soient impliqués, sans exclusive, dans le processus décisionnel qui engage la configuration de l’image de l’Algérie de demain qui devra progressivement s’éloigner du spectre de l’exclusion, de la marginalisation et de toutes les attitudes négatives qui hypothèquent la cohésion sociale. L’implication du citoyen dans le processus décisionnel qui engage l’avenir des générations futures est une manière pour l’Etat de marquer sa volonté de justice et de réhabiliter sa crédibilité en donnant un sens positif à son rôle de régulateur et d’arbitre de la demande sociale.
L’image de la commune-manager repose sur la nécessité de faire plus et mieux avec des ressources restreintes. Il n’y aurait donc plus de place pour le gaspillage et le droit à l’erreur, ce qui exclut obligatoirement le pilotage à vue au profit d’actions fiabilisées par des perspectives de long terme, d’une part, et les arbitrages cohérents qu’implique la rigueur de l’acte de gestion, d’autre part.
En résumé, il existe une dialectique entre le Politique et l’Economique et tout projet est forcément porté par des forces sociales, souvent avec des intérêts différents. En ce XXIe siècle à côté des Etats via les partis politiques, des instituons internationales, la société civile à travers les réseaux sociaux décentralisés et les nouvelles technologies, représentatives et non celles liées à des intérêts de rente constitue la troisième force.
En démocratie, les urnes tranchent sur les projets de société et la minorité politique se soumet à la volonté de la majorité tout en demeurant une force de proposition incontournable afin que le pouvoir puisse corriger ses erreurs, chacun de nous aimant à notre manière l’Algérie, personne pouvant se targuer d‘être plus patriote qu’un autre. La tolérance par la confrontation d’idées contradictoires productives, loin de tout dénigrement, est la seule voie pour dépasser l’entropie actuelle car le plus ignorent est celui qui prétend tout savoir.
A. M.
Professeur des universités, docteur d’Etat (1974) en sciences économiques, expert international
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