Stratégie de guerre : pourquoi l’armée israélienne ne peut rien contre l’Algérie
Par Ali Akika – On assiste dans les eaux du Golfe arabo-persique à une agitation fébrile des marines israélienne et américaine. Ce déploiement de force, suivi de déclarations martiales de Trump et Netanyahou, annoncent-elles de sinistres événements ? Les menaces de ces frères siamois contre l’Iran, la Syrie et l’Irak sont-elles simplement de l’esbroufe ? Ou bien s’agit-il de gens dotés d’une mentalité arrogante que confère la puissance militaire, décidés à faire un baroud d’honneur avant de quitter à regret la scène politique ? On a eu vent de cette rumeur dans la presse.
On a su, en effet, que l’état-major de l’armée américaine a mis son véto au désir de Trump qui voulait «se payer» l’Iran pour apaiser l’amer échec de sa non-réélection. Quant à Netanyahou, il est prêt à tout pour ne pas aller en prison. Mais que pèse un homme, fût-il Premier ministre, quand son Etat fait face à une situation inédite depuis sa création ? Avant d’analyser la situation stratégique et militaire, quelques mots sur la situation politique en Israël (1). Comme je l’avais déjà écrit, Israël va subir une quatrième élection en moins d’un an et demie. Cette situation est le signe du déclin de plusieurs mythes. Celui d’un Israël «socialiste» dirigé par le Parti travailliste pendant 50 ans.
Aujourd’hui, ce parti n’est que l’ombre de lui-même sur la scène politique. Ce sont des partis religieux et d’extrême-droite qui risquent de s’emparer de tout le pouvoir lors de cette nouvelle élection. Même le «démocrate» Netanyahou, qui a dirigé Israël avec l’appui de ces partis, n’arrive plus à colmater les brèches béantes qui traversent la société israélienne. Si l’on ajoute le million de chômeurs sur une population de 7 à 8 millions à peine, induits par l’épidémie du coronavirus, ce n’est pas avec une telle situation et dans une pareille conjoncture qu’un pays va aller à la guerre la fleur au fusil. Mais l’obstacle principal sur le chemin d’une guerre, ce sont les éléments militaires et stratégiques qui conditionnent son déclenchement.
Ainsi, en dépit de son arrogance qui masque sa faiblesse, Israël sait qu’il ne peut pas tout se permettre. Il l’a appris par deux fois. En 1956, quand il a voulu profiter de l’agression franco-anglaise contre l’Egypte pour conquérir le Sinaï, les Etats-Unis avaient fait les gros yeux à leur allié qui, dare-dare, se replia. La seconde fois, c’était en 1973, quand le «téméraire» Sharon osa franchir le canal de Suez sans biscuits. La guerre avec l’Egypte risquait alors s’installer et l’ennemi invisible de l’armée israélienne avait un nom : le temps. Cette armée fut alors à court de munitions et Israël supplia les Etats-Unis de l’approvisionner. Un pont aérien américain s’était mis en branle et le rusé et cynique Kissinger avait proposé un plan aux deux ennemis. L’Egypte a récupéré le Sinaï, objectif de sa guerre. Israël, dont l’armée était de nouveau approvisionnée en armes et munitions, s’est replié en bon ordre au grand soulagement de Golda Meir, Première ministre affolée par l’inconscience de Sharon (2).
Mais revenons à la stratégie militaire et son application sur le terrain. On sait que la configuration géographique d’Israël, entouré de pays en guerre ouverte ou froide contre lui, et l’absence de profondeur stratégique, ont obligé ses armées à porter toujours la guerre sur le territoire de l’ennemi. Cette stratégie permettait à la fois de mettre à l’abri sa population et faire en sorte que l’activité économique et sociale continue d’être normale. Porter la guerre chez l’ennemi était donc rentable à la fois politiquement et militairement. Politiquement car le monde occidental, avec son opinion majoritairement favorable, ne condamne pas Israël auquel il reconnaît la «légitime défense» sans trop se poser de questions.
Sur le plan militaire, cette stratégie a des avantages énormes. On détruit les infrastructures de l’ennemi, on terrorise les populations et on occupe le terrain sans trop de pertes. Ces «succès» ont été possibles grâce à l’avancée de l’infanterie, sa mobilité et sa protection qui se font sous la double protection de chars et d’une aviation maîtresse du ciel. Cette stratégie a fonctionné jusqu’en 2006, quand le Hezbollah dévoila les fissures dans l’épaisse armure de l’armée d’occupation. En 2006, le Hezbollah réussit une chose incroyable : prendre pour cible un campement de l’armée israélienne à l’intérieur même du territoire israélien. Cela supposait que la résistance libanaise avait des armes de longue portée, mais aussi et surtout la capacité de localiser le stationnement des troupes ennemies.
D’autres exploits ont été réalisés contre cette armée qui, jusque-là, était considérée comme «invincible». Cette guerre de 2006 avait révélé que des troupes israéliennes étaient en mauvaise posture car elles étaient encerclées. Elles furent secourues grâce à un déluge de bombes de l’aviation qui protégea leur retraite. Enfin, pour la première fois, cette armée abandonna sur place ses fameux chars Merkava.
Avec les guerres d’aujourd’hui en Palestine (Gaza), au Liban, en Syrie et en Irak, les cartes politiques et militaires ont quelque peu changé. Par la présence politique et militaire de grandes puissances (Russie et Iran) et l’apparition de nouvelles armes sophistiquées qui ont prouvé la suprématie de la stratégie de défense sur la stratégie d’attaque. On a vu, plus haut, pourquoi la stratégie d’attaque a pris du plomb dans l’aile dans l’armée d’Israël. Arrêtons-nous sur l’armement sophistiqué des nouvelles technologies – cyberguerre, drones, brouillage des radars, maniabilité, précision des missiles, etc. Ces nouvelles armes ont «amoindri» la valeur stratégique des avions de guerres, atout des pays comme les Etats-Unis et Israël dans leur agressive stratégie d’attaque.
De nos jours, les missiles sol-air d’une grande précision peuvent interdire le ciel aux avions de chasse les plus sophistiqués. Dans des «duels» aériens, les missiles sol-air sont aidés par le brouillage des radars, rendant les avions aveugles, lesquels ne trouvent le salut que dans la fuite. Des avions qui se contentent alors de tirer de loin hors de portée et des radars et des missiles.
Ayant analysé la déconfiture de 2006 de leur armée et au vu de l’apparition de nouvelles armes sophistiquées aux mains de leurs ennemis, les stratèges israéliens réfléchissent à de nouvelles tactiques pour ne pas perdre leurs suprématie dans la conduite de la guerre. C’est ainsi que, ces derniers temps, l’armée israélienne est victime d’une «boulimie» d’exercices pour faire à tous les scénarios à cause des modifications stratégiques intervenues dans la région. Voilà pourquoi ces exercices portaient sur la rentabilisation des troupes et du matériel, la coordination entre les tactiques de combat des trois armes : infanterie, aviation et marine.
Facile sur le papier, plus difficile sur le terrain car l’infanterie, arme décisive dans l’occupation du terrain, est une arme fragilisée. Elle ne peut plus être partout à cause de la multiplication des fronts de bataille, d’occuper le territoire habité par une population plus qu’hostile, puisqu’elle continue le combat avec les moyens à sa disposition. Et, enfin, cette infanterie ne peut plus compter, comme jadis, sur le «nettoyage» du champ de bataille par l’aviation de guerre ni avancer facilement derrière les chars qui se font canarder par un combattant sorti de nulle part – bataille de 2006.
Une autre difficulté de taille, outre l’absence de profondeur stratégique, l’armée israélienne aura du mal à alimenter les multiples champs de bataille. Pour ça, il lui faut une infanterie nombreuse et rapidement mobilisable d’un terrain à un autre, seule tactique susceptible de submerger l’ennemi et rester maître du terrain. Ne pas courir plusieurs fronts et concentrer le maximum de forces sur un front, voilà une règle d’or de l’art de la guerre, que tout stratège applique, s’il ne veut pas boire le poison en voyant ses troupes décimées (3). Courir ici et là ne semble être dans les capacités ou possibilité de l’armée d’Israël. C’est pourquoi Israël tente par tous les moyens de faire sortir l’Iran de Syrie et se retrouver dans une posture stratégique d’antan. Avoir face à son armée les Palestiniens et Libanais, entités non étatiques que l’on pense maîtriser plus facilement.
Voici donc les éléments militaires qui ont contrarié les désirs de Trump d’attaquer l’Iran. Ses conseillers-stratèges savent que la sixième flotte américaine est à portée de missiles, de drones et d’une nuée de petits bateaux télécommandés, des outils qui peuvent faire beaucoup de mal. Et si on ajoute tous les puits de pétrole de la région sous la menace de devenir facilement des sites en flammes, le jeu en vaut-il la chandelle ? Quant à Netanyahou, qui a la rage de donner une leçon à l’Iran pour éliminer la menace de l’arme atomique et à la Syrie pour occuper définitivement le Golan, il peut toujours fantasmer, ça ne coûte rien. Le vent actuel sur la région ne semble donc pas souffler à long terme en faveur des élucubrations de nos deux frères siamois.
Mais restons prudents et espérons que nos deux comparses reviendront à des attitudes rationnelles sous la pression de leur entourage politique et militaire. Prudence et espoir car une guerre, même perdue par ces soldats du «chaos créateur», engendre beaucoup de dégâts. Les peuples de la région n’ont pas besoin de ça. Ils ont jusque-là évité de tomber dans les pièges de leurs ennemis et opter pour la guerre du temps long. Celle-ci permet le harcèlement qui fatigue et démoralise l’ennemi. Ainsi, dans cette guerre, nous avons deux adversaires. Les uns pratiquent la guerre comme le jeu d’échecs, les autres la pratique comme le jeu de dames. Le premier fait appel aux combinaisons illimitées de l’algèbre, le second se limite au calcul arithmétique de l’épicier qui compte ses sous en fin de journée (4).
A. A.
1- La normalisation avec quelques pays arabes, si c’est bénéfique économiquement pour les adorateurs du dollar des deux côtés, elle ne pèse pas lourd sur le plan politique et stratégique avec des pays dont les armées ne sont aucunement capables de se défendre et encore apporter un plus à Israël.
2- Sharon avait montré son côté va-t-en-guerre en fonçant sur Beyrouth en 1982. Fou de rage de ne pouvoir vaincre les Palestiniens retranchés dans la capitale libanaise, il se vengea sur les camps des réfugiés à Sabra et Chatila dans la banlieue non défendue par les fidayine.
3- Piètre stratège, Hitler se lança éperdument sur plusieurs fronts. Son armée se brisa contre la forteresse de Stalingrad, une défaite qui prépara la capitulation de l’Allemagne. Son armée, prise en étau entre le débarquement des alliés en Normandie en juin 1944 et la prise de Berlin par l’armée rouge soviétique en avril 1945, capitula sans conditions le 8 mai 1945.
4- Je pense à certains «intellectuels» politiques des pays du Golfe et du Maghreb, qui nous «invitent» à faire preuve de réalisme et de se soumettre aux fuites en avant d’Israël qui veut imposer ses désirs par la force. Ce défaitisme a une origine : le vieux complexe du colonisé alimenté par la «fascination des enfants de Coca-Cola», comme dirait Jean-Luc Godard.
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