Brahimi : «Les Etats-Unis ont commis une grave injustice envers Lamamra»
Par Mohamed K. – «Le rôle des Etats-Unis est extrêmement négatif [en Libye], en ce sens qu’ils barrent la route devant un envoyé spécial africain, alors que l’ONU et l’Union africaine sont d’accord», a affirmé Lakhdar Brahimi. «Ramtane Lamamra est une personnalité connue et respectée dans le monde, en Afrique et en Libye, et le fait que les Etats-Unis aient utilisé leur veto contre lui est une grave injustice», a-t-il regretté dans un entretien à la chaîne Russia Today.
Interrogé sur la vague de normalisations avec Israël, le diplomate algérien a expliqué que le monde vit un contexte dans lequel Donald Trump, Benyamin Netanyahou et Jared Kushner «agissent à leur guise et en toute liberté». «Netanyahou est un sioniste expansionniste qui veut accaparer tout le territoire palestinien et en exclure les Palestiniens, tout ce qui intéresse Trump c’est son intérêt personnel et son intérêt politique, notamment les voix de la communauté juive et des extrémistes chrétiens, et Kushner est un sioniste engagé et proche de Netanyahou, si bien que les deux hommes ont travaillé ensemble et les communiqués que Trump signe sans même les lire émanent d’eux», a souligné l’ancien ministre des Affaires étrangères.
Abordant le conflit palestinien, Lakhdar Brahimi a indiqué que «la partie principale est Israël», en faisant remarquer que le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, «affirme que la décision qu’il a prise d’annexer une très grande partie de la Cisjordanie a été seulement reportée et qu’elle n’a pas été annulée». «Netanyahou a également mis en exergue la loi votée par une majorité des députés à la Knesset et selon laquelle les juifs ont le droit exclusif à l’autodétermination», a encore précisé Lakhdar Brahimi, selon lequel «ceci n’a qu’une seule signification : l’instauration d’un régime ségrégationniste, d’un apartheid similaire à celui qui existait en Afrique du Sud».
«L’autre partie importante dans le conflit palestinien, ce sont les Etats-Unis. Il n’y a aucun doute sur cela», a ajouté l’ancien envoyé spécial des Nations unies en Syrie, qui souligne qu’«Israël est l’Etat le plus puissant au Moyen-Orient» et que «le temps où ce pays affirmait qu’il était faible est révolu». «L’argument de la protection d’Israël de menaces extérieures est une aberration, tant Israël ne court aucun danger ; le danger, en vérité, vient d’Israël lui-même», a-t-il insisté, en s’interrogeant : «De quel droit les Etats-Unis offrent-ils le Golan syrien à Israël ?» et en soutenant que «personne ne peut annuler les droits des Palestiniens».
«A vrai dire, ni la Ligue arabe ni le monde arabe n’existe plus», a asséné Lakhdar Brahimi, en faisant savoir, par ailleurs, que la situation en Libye «ne diffère pas de celle qui prévaut en Syrie, à savoir une intervention étrangère condamnable». «La résolution onusienne qui a – soi-disant – permis de protéger les populations contre les menaces que le défunt Kadhafi proférait a été utilisée pour justifier des interventions inacceptables qui ont débouché sur la chute du régime», a-t-il dit. «Ils ont réussi à faire tomber le régime et à faire assassiner Kadhafi, mais il n’y a eu aucun acte positif visant à aider le peuple libyen à instaurer son nouvel Etat», a encore affirmé Lakhdar Brahimi.
«Ce sont les Etats-Unis qui ont retardé la désignation de l’envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU en Libye, laquelle a pris quatre mois. Il est très rare qu’une intervention étrangère non autorisée par l’ONU soit positive ; dans l’écrasante majorité des cas, elle s’est révélée très négative», a poursuivi le diplomate algérien, qui a appelé à faire jouer à l’Afrique un rôle central dans l’aboutissement à un accord de cessez-le-feu pérenne en Libye. «Il ne faut pas négliger l’Afrique qui peut aider efficacement à régler la crise libyenne, à condition qu’on ne l’en empêche pas.»
Interrogé sur le conflit du Sahara Occidental, Lakhdar Brahimi a répondu que «les négociations entre le Maroc et le Polisario n’ont malheureusement connu aucune avancée». «Ce qui est étrange, c’est que Jared Kushner affirme dans son discours qu’il a prononcé au Maroc qu’il faut que les parties au conflit négocient directement, en faisant allusion au Polisario et au gouvernement marocain, dans le cadre des Nations unies, pour aboutir à un accord de paix qui soit accepté par tous», s’est-il étonné. Pour lui, «si ce que le Maroc a négocié avec les Etats-Unis au sujet du Sahara Occidental avait été négocié entre les parties concernées directement, cela aurait été meilleur que de les négocier avec les Etats-Unis en contrepartie de ce qu’Israël a obtenu dans cette transaction tripartite».
Lakhdar Brahimi a également abordé la question de la réforme du Conseil de sécurité de l’ONU au sujet de laquelle, a-t-il-dit, tout le monde est d’accord, «mais, dans les faits, il n’y a aucun accord, ni sur le nombre de membres ni sur les pays qui doivent accéder au Conseil de sécurité». Quant à la Syrie, le diplomate algérien a souligné que «ce qui arrive au peuple syrien ressemble à ce qu’a enduré le peuple soviétique durant la Seconde Guerre mondiale», en estimant que «les interventions qui ont eu lieu dans ce pays, que ce soit par des Etats voisins ou par d’autres qui ne partagent aucune frontière avec la Syrie, n’ont pas été dans l’intérêt du peuple syrien, mais sur la base de calculs très étroits, chacun s’employant à défendre ses intérêts propres qui n’ont aucun lien avec ceux du peuple syrien».
M. K.
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