Le régime monarchique de Hassan II est derrière l’assassinat de Boumediene ?
Par Hocine-Nasser Bouabsa – Il y a plus de quarante-deux ans disparaissait le 27 décembre 1978 un grand chef d’Etat algérien. Vénéré par les Algériens et par d’autres peuples arabes et du tiers-monde, Houari Boumediene (que Dieu lui accorde Sa Miséricorde) était autant respecté que craint. C’était un secret de Polichinelle que le défunt roi du Maroc, Hassan II, le craignait et le haïssait tellement qu’il en faisait son point de fixation. En effet, le défunt Président ne faisait pas seulement trembler toute la famille alaouite et l’ensemble du Makhzen marocain, mais causait aussi beaucoup de cauchemars à leurs parrains et donneurs d’ordre.
Certains Algériens reprochaient à Boumediene d’être un dictateur, d’autres d’avoir amarré étroitement le pays à la sphère arabo-baâthiste. Mais un adage algérien dit : «Ne crois pas aux beaux mots, mais seulement aux faits que tu vois.» Que Boumediene fût un éloquent communicateur qui faisait jubiler les masses populaires et savait capter l’attention de l’auditoire pour des heures est une réalité historique avérée. Ce qui devait nous intéresser, par contre, ce sont moins ses beaux discours et sa maîtrise parfaite de l’art rhétorique, mais ses réalisations et ses faits concrétisés sur le terrain.
Sachant que l’absolu n’existe pas et que tout est relatif, si on devait juger les faits de son action politique, c’est seulement en les comparant, relativement, d’une part, à ceux de son prédécesseur et ses successeurs algériens et, d’autre part, à ceux des autres chefs d’Etat de son époque. A ce propos, feu Lakhdar Bouregâa – que Dieu lui accorde Sa Miséricorde –, un grand patriote et ex-commandant de l’ALN, connu par son langage très franc et qui, lui-même, fut emprisonné pendant quelques années par Boumediene, disait quelques mois avant sa mort : «L’Algérie a besoin de 48 Boumediene. Un pour chaque Wilaya.» En effet, quantitativement et qualitativement, c’est pendant son règne que l’Algérie indépendante fut la plus forte, culturellement, socialement, industriellement et militairement.
C’est aussi pendant son règne que le régime belliqueux du Makhzen – bien que soutenu militairement et diplomatiquement par la France néocoloniale et par une frange de l’impérialisme américain – fut le mieux contenu dans sa politique expansionniste dans la région. Boumediene connaissait bien ce système féodal de gouvernance moyenâgeuse, qui a fait de la diversion, de la fourberie et du mensonge sa raison d’état et d’existence, depuis qu’il a placé le territoire du peuple marocain en 1912 sous l’autorité du colonialisme français. Les discours de l’ex-président algérien en sont la preuve : dans sa perception, le Makhzen est une association de prédateurs lâches qui s’échine devant les puissances étrangères de chaque époque – qu’ils soient espagnols, anglais, allemands, français, américains ou maintenant israéliens – mais qui terrorisent et esclavagent leurs concitoyens, à qui ils ont ôté la qualité de citoyens libres pour les soumettre au rôle de simples sujets d’un roitelet. Il considérait, d’une part, leurs sultans et rois comme de simples marionnettes qui sont actionnées par leurs maîtres, en fonction des besoins et agendas de ces derniers et, d’autre part, leur régime comme cheval de Troie, entretenu et financé pour empêcher le développement de la région et, au pire, pour l’asservir de nouveau aux puissances étrangères prédatrices.
Bien que fervent partisan des idées politiques de l’Etoile de l’Afrique du Nord, Boumediene se gardait de tomber dans le piège d’une Union du Maghreb arabe, contrôlée par la France. Parce que la Tunisie de Bourguiba et la Mauritanie de Mokhtar Ould Dada étaient encore sous grande influence de leur ancien colonisateur. C’est donc en connaissance de cause que le défunt Président algérien a conçu sa stratégie d’endiguement contre le régime du Makhzen, considéré, à juste titre, par beaucoup d’observateurs comme un «Dom-Tom» français. Connaissant les conditions sous-humaines de vie et d’asservissement que subissait le peuple marocain, il était pour lui hors de question de laisser ce régime vassalisé, belliqueux et sanguinaire – des milliers d’opposants progressistes marocains ont péri dans les geôles de Hassan II – étendre son territoire vers le sud pour asservir le peuple sahraoui du Sahara Occidental.
Le moment venu, il n’hésita pas une seconde pour déclarer publiquement son soutien aux combattants du Polisario, au peuple sahraoui et à la République arabe sahraouie et démocratique, la RASD. Son soutien n’était pas seulement diplomatique – la RASD fut reconnue par plus de 80 pays – mais aussi militaire. Ce soutien donna à la petite, mais néanmoins déterminée Armée populaire de libération sahraouie, l’APLS, une puissance considérable de feu qui contraint la Mauritanie à se retirer, en 1979, du Sahara Occidental, malgré le soutien militaire conséquent de la France à l’armée mauritanienne de Mokhtar Ould Dada.
L’APLS était à tel point forte qu’elle s’est permis d’occuper même la ville marocaine de Tan-Tan. La guerre n’est donc plus limitée seulement au Sahara Occidental, mais fut transférée par le Polisario à l’intérieur même du territoire marocain. Certains experts militaires avaient alors pronostiqué qu’après une autre année de guerre, le Maroc se serait effondré, vaincu par une petite armée de combattants aguerris et convaincus par la justesse de leur cause. Un tel scénario aurait acté non seulement la fin du régime prédateur du Makhzen, vassalisé par la France et la naissance d’une république démocratique marocaine, mais aurait surtout chamboulé en profondeur la géopolitique de l’Afrique du Nord.
La bataille de Tan-Tan, en territoire marocain, a eu lieu en janvier 1979. Elle était le fruit d’intenses combats au cours de l’année 1978 entre les forces du Makhzen stationnées au Sahara Occidental et l’Armée de libération sahraouie qui enchaînait succès après succès. Curieusement, c’est en septembre de cette année 1978 que les premiers signes de maladie apparaissaient sur le physique du Président algérien qui, de plus en plus, était matraqué par des douleurs de tête qui l’obligèrent à réduire ses activités de chef d’Etat. Après quelques semaines, il rentra dans un état comateux et décéda le dernier mercredi de l’an 1978, à quatre heures du matin. Officiellement, sa mort fut causée par deux hématomes dans le cerveau, dus à sa maladie de Waldenström mais, d’après Jeune Afrique, il serait aussi possible qu’il ait été «victime d’un empoisonnement lors de son séjour en Syrie, le Mossad l’aurait contaminé avec le flash d’un appareil photo».
En faisant la connexion avec les revers des forces royales face au Polisario en 1978 et avec une éventuelle défaite du Maroc et, par conséquent, à un nouvel ordre géostratégique en Afrique du Nord, si la guerre aurait continué, la mort précoce en fin de cette année de Houari Boumediene, à l’âge 46 ans, prend une autre dimension. Le scénario d’un éventuel assassinat devient alors encore plus plausible. Ceux qui y auraient contribué directement ou indirectement seraient ceux qui le considéraient comme un grand danger pour leurs intérêts dans la région. La sauvegarde du régime asservi marocain faisait partie justement de ces intérêts.
En 2019, après quarante ans d’errances et de trahisons programmées – c’est un euphémisme de parler de chadlisme et de bouteflékisme –, une nouvelle génération d’Algériens s’est emparée du flambeau de la Révolution de Novembre 1954 et s’est engagée à faire renaître l’esprit et les valeurs des hommes qui l’ont déclenchée, et dont Boumediene représentait, par ses faits, la continuité. Cette renaissance et ce ressourcement sont les garants de l’avenir d’un peuple jaloux de sa liberté et de son indépendance, prêt à les défendre avec son sang à tout moment, comme ses ancêtres l’ont fait déjà depuis de milliers d’années.
Boumediene avait élaboré une doctrine et conçu une stratégie d’endiguement contre les forces du Makhzen qui se sont vendues aux puissances colonialistes anti-algériennes. Les évènements qui se succèdent à une vitesse vertigineuse aux frontières de l’Algérie lui ont donné raison. Pour le salut du pays, il est donc nécessaire de revenir à cette doctrine et d’adapter la stratégie de défense de l’ANP aux aléas de la guerre hybride que livrent depuis quelques années le Makhzen et certaines puissances étrangères au peuple algérien.
La réussite d’une telle stratégie exige la fortification du front interne. C’est une condition sine qua non. Pour cela, il est indispensable d’enterrer définitivement l’esprit du clanisme et d’entamer une véritable politique de repentance, d’apaisement et de réconciliation qui permettra de rétablir la sérénité, la confiance et l’unité dans les rangs.
H.-N. B.
(PhD)
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