Comment privatiser avec des banques déstructurées et des entreprises déficitaires ?
Contribution du Pr Abderrahmane Mebtoul – Pour éviter les erreurs du passé, pertes qui peuvent se chiffrer en dizaines de milliards de dollars, on devra combattre quatre mythes. Les scandales financiers révélés au grand jour, ayant existé par le passé mais de moindres dimensions, et ayant atteint une ampleur inégalée entre 2000-2019, relatés ces dernières années, montrent clairement que certains dirigeants n’étaient pas mus par les intérêts supérieurs du pays.
Les dernières nouvelles, en date du 10 janvier 2021, d’un ex-Premier ministre ayant présidé aux destinées du pays pendant près de 20 ans qui se livrait à la vente de lingots d’or sur le marché noir, et au moment de tensions budgétaires, un ministre du gouvernement actuel, celui des Transports, avec le PDG d’Air Algérie contactant des marchés en devises douteux, ont amplifié une névrose collective auprès de l’immense majorité de la population confrontée à la dure réalité quotidienne, ne voyant pas le bout du tunnel du fait du manque de visibilité et de cohérence de la politique socio-économique.
Or, le retour à «la confiance et la moralité» des dirigeants, loin de cette société anémique mis en relief par le grand sociologue maghrébin Ibn Khaldoun, est fondamental pour le développement et la consolidation d’un front intérieur en faveur des réformes qui seront douloureuses à court terme mais porteuses d’espoir à moyen terme afin d’éviter un retour au FMI courant 2022 avec d’importantes incidences politiques, économiques, sociales et sécuritaires. Soyons réalistes, on ne peut en une année, après une léthargie de plusieurs décennies, redresser le bateau Algérie où uniquement pour la période 2000-2019 les recettes en devises ont dépassé les 1 000 milliards de dollars avec une sortie de devises en biens et services de plus de 935 milliards de dollars avec un taux de croissance dérisoire qui a fluctué entre 2/3% alors qu’il aurait dû être de 9 à 10%.
L’annonce du ministre des Finances d’une réduction des importations de 8 milliards de dollars en 2020 ne relève pas d’une bonne gestion mais de la réduction drastique des importations qui ont paralysé bon nombre de secteurs. Le taux de croissance du Produit intérieur brut (PIB) dépend fondamentalement de la dépense publique de l’évolution du cours des hydrocarbures qui détermine à la fois le taux de croissance, le taux d’emploi et les réserves de change. Pour l’Algérie, selon le FMI dans son rapport du 14 avril 2020, le Produit intérieur brut réel (PIB) devrait se contracter de 5,2% durant l’année 2020, le rapport de décembre 2020 donnant un taux négatif de 6,5% et, suite à cette baisse, le PIB réel devrait se redresser en 2021 à ¾%, taux calculé en référence à l’années 2020 (taux de croissance négatif) donnant globalement, à taux constant, un taux de croissance entre 0 et 1% termes réel, ce taux étant inférieur au taux de pression démographique.
L’Algérie ne peut continuer à fonctionner sur la base d’un cours supérieur à 100 dollars le baril où, selon le FMI, le cours budgétaire inscrit dans les différentes lois de finances 30 à 40 dollars étant un artifice comptable, le prix d’équilibre était estimé de 104,6 dollars en 2019 et à plus de 110 dollars pour les lois de finances 2020-2021. Malgré ces tensions, le gouvernement a maintenu les transferts sociaux budgétisés comme acte de solidarité, s’établissant à environ 14 milliards de dollars, soit 8,4% du PIB, et plus de 21% de la totalité du budget de l’Etat, ces transferts, à l’avenir, devant être ciblés pour les plus démunis.
Eviter le mythe du développement des start-up et de la privatisation sans vision stratégique
L’expérience des pays développés montre que la rentabilité des star-up est fonction d’institutions et d’entreprises performantes alors que le tissu économique algérien est composé, selon l’ONS, à plus de 80% d’entreprises familiales, de petites SARL, peu innovantes. Evitons de renouveler les expériences négatives de l’Ansej dont, selon un rapport officiel 2020, plus de 70% des projets, des jeunes promoteurs, sont en difficultés ou en faillite, ne pouvant pas rembourser les emprunts bancaires, comme le développement des start-up qui nécessite un fort débit d’internet qui fait cruellement défaut et leur succès dépend de la 5G afin de maîtriser l’intelligence artificielle, non encore mise en place.
Concernant la privatisation, l’annonce des 250 milliards de dollars consacrés aux entreprises publiques durant les 25 dernières années, par le ministère délégué à la Prospective le 2 janvier 2021, doit préciser durant cette période : la ventilation par entreprises, l’évolution de la création de la valeur ajoutée, les effectifs, la partie investissement et la partie assainissements en dinars, en devises et les solutions concrètes soit de liquidation ou de restructuration afin de faire face tant à la situation socio-économique interne qu’à l’adaptation aux nouvelles mutations mondiales.
La privatisation sans réformes structurelles, même partielle, via la Bourse d’Alger est un leurre qui a conduit au bradage du patrimoine national où le constat est l’absence de titres de propriétés clairs, des comptabilités défectueuses, des sureffectifs, des banques qui croulent sous le poids des créances douteuses et le déficit structurel de la majorité des entreprises publiques processus. Elle ne peut intervenir avec succès que si elle s’insère dans le cadre d’une cohérence et visibilité de la politique socio-économique globale, que si elle s’accompagne d’un univers concurrentiel et un dialogue soutenu entre les partenaires sociaux.
C’est un acte éminemment politique et non technique ne devant pas confondre privatisation et démonopolisation, qui est l’encouragement d’investisseurs privés nouveaux ou le partenariat public-privé PPP s’appliquant surtout aux infrastructures, où l’Etat reste le maître d’œuvre, processus complémentaire, allant vers le désengagement de l’Etat de la sphère économique afin qu’il se consacre à son rôle de régulateur stratégique en économie de marché.
En résumé, l’Algérie est encore debout grâce aux patriotes honnêtes qui constituent l’immense majorité des travailleurs et des cadres dirigeants, devant éviter les errements du passé en ces moments de hautes tensions géostratégiques, financières et sociales avec le retour de l’inflation en 2021 que l’on ne combat pas avec des slogans ou des décrets, d’où l’importance du renouveau de la gouvernance, une réorganisation institutionnelle ne pouvant compter que trois départements ministériels – PMI/PME, Industrie-Mines – étant une aberration, devant coupler le Commerce avec celui des Finances, autant d’ailleurs que la création de 41 ministères dont certains responsables se contredisent chaque jour.
Aussi, par un langage de la vérité, loin de toute sinistrose et autosatisfaction destructrice à laquelle la population algérienne ne croit plus, l’Algérie, pays à fortes potentialités et acteur stratégique de la stabilité du Bassin méditerranéen et du continent Afrique, a besoin d’un renouveau de la gouvernance, nécessitant un renouveau culturel loin de la mentalité rentière, une lutte contre la corruption passible du code pénal à ne pas confondre avec acte de gestion ; en bref, de la refonte du système politique et socio-économique.
A. M.
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