Rapport sur la Guerre d’Algérie : Stora préconise un «Traité mémoire et vérité»
Par Abdelkader S. – Dans son mémoire remis au président français, ce mercredi, Benjamin Stora préconise l’institution d’un «Traité mémoire et vérité» entre l’Algérie et la France. L’historien, qui copréside la commission sur l’écriture de l’histoire de la Guerre d’Algérie, appelle à «regarder et lire toute l’histoire pour refuser la mémoire hémiplégique», en estimant qu’«un rapprochement entre la France et l’Algérie passe par une connaissance plus grande de ce que fut l’entreprise coloniale».
Benjamin Stora se dit convaincu que «par la multiplication des gestes politiques et symboliques, on pourra s’éloigner d’une mémoire devenue enfermement dans un passé, où se rejouent en permanence les conflits d’autrefois». «A l’heure de la compétition victimaire et de la reconstruction de récits fantasmés, on verra que la liberté d’esprit et le travail historique sont des contrefeux nécessaires aux incendies de mémoires enflammées», pense-t-il.
L’historien s’interroge : «Pour les sociétés française et algérienne, que faire de toutes les traces de guerre qui hantent les mémoires ? Quel statut donner aux souvenirs des uns et des autres ? Quelle interprétation faire de ces silences que les sociétés accumulent pour continuer à vivre ensemble ? Et faut-il tout raconter, tout dévoiler des secrets de la guerre ?» «La question de la fidélité de la mémoire, de la représentation de la chose passée n’est pas évidente. Les relations entre les deux pays restent donc, soixante ans après l’indépendance de l’Algérie, difficiles, complexes, tumultueuses», fait-il remarquer en guise de réponse.
«Soixante ans après, l’histoire est encore un champ en désordre, en bataille quelquefois. La séparation des deux pays, au terme d’un conflit cruel de sept ans et demi, a produit de la douleur, un désir de vengeance et beaucoup d’oublis», constate l’auteur du rapport de 146 pages. «C’est un exercice difficile que d’écrire sur la colonisation et la guerre d’Algérie, car longtemps après avoir été figée dans les eaux glacées de l’oubli, cette guerre est venue s’échouer, s’engluer dans le piège fermé des mémoires individuelles», ajoute-t-il.
«Du côté français, explique Stora, le grand problème de l’historiographie de l’Algérie et de la guerre repose sur le fait que l’on assiste à la fois à une sorte d’absence lancinante, d’amnésie, de refoulement et à une profusion d’écrits autobiographiques qui ont envahi le champ éditorial pendant une vingtaine d’années. En quelque sorte, l’absence d’histoire a été en partie comblée par des gardiens vigilants de la mémoire, qui interdisaient évidemment à tous les autres de prononcer la moindre parole». «De l’autre côté, en Algérie, poursuit-il, on a été confronté à une sorte de trop-plein de l’histoire, ou plus exactement à une survalorisation de l’imaginaire guerrier qui visait à expliquer le surgissement de l’Etat-nation par la guerre, et pas seulement par la politique.»
«Du côté algérien, insiste Benjamin Stora, ce durcissement mémoriel se concrétisait par une mise en accusation globale du temps colonial, sans recherche de responsabilités particulières des groupes concernés par cette histoire.» Pour lui, «la plongée dans le temps visait à légitimer les ressourcements identitaires, principalement religieux». L’historien, qui a accompagné le président français, Emmanuel Macron, lors de sa dernière visite en Algérie, pointe du doigt «l’immobilisme politique après l’arrivée au pouvoir d’Abdelaziz Bouteflika» qui, greffé à «l’islamisme politique et sociétal» et au «désarroi social», «conspirait à ce retour vers un néonationalisme à base ethno-religieuse».
«En France, les groupes de mémoire constitués en référence à l’Algérie française, frappés d’une maladie qui leur ronge le cœur et qui s’appelle nostalgie, embourbés dans une léthargie de ce qui ne change jamais, ne semblaient pas prêts à éteindre cette guerre sans fin», écrit encore l’historien natif de Constantine, selon lequel «la Guerre d’Algérie, sombre période de la conscience nationale, sort […] des turbulences passionnelles et du traumatisme collectif pour s’offrir, enfin, à l’examen de l’historien». Bien que, relativise-t-il, «la difficile tâche de réconciliation mémorielle entre la France et l’Algérie ne consiste sûrement pas à rédiger une loi mémorielle pour construire une histoire immuable, qui entraverait tout exercice critique de l’histoire». «Il ne s’agit pas, développe-t-il, davantage de donner l’illusion d’écrire une histoire commune, en occultant les divergences profondes dans la construction des imaginaires nationaux, et en oubliant les récits tragiques d’une histoire coloniale, pourtant commune».
«Il s’agit, plus modestement, d’ouvrir des possibilités de passerelles sur des sujets toujours sensibles, mais permettant d’avancer, de faire des pas ensemble», conclut Benjamin Stora.
A. S.
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