Le rapport de Benjamin Stora déchaîne les passions en Algérie et en France
Par Houari A. – La volonté affichée par les présidents algérien et français de mettre en place une commission pour réécrire l’histoire et, espéraient-ils, solder symboliquement le lourd contentieux qui divise, à ce jour, l’Algérie et la France, près de soixante ans après l’Indépendance, se heurte contre une farouche opposition de part et d’autre de la Méditerranée.
En Algérie, la déclaration d’Emmanuel Macon, qui a réitéré sa position consistant en un refus catégorique de présenter des excuses et de faire acte de repentance à l’égard de l’ancienne colonie, a soulevé un tollé général et annihilé le rapport que l’historien Benjamin Stora à l’instant même où ce dernier venait de le lui remettre. «Tout ça pour ça», regrettent des observateurs qui s’interrogent sur le contenu du texte équivalent qu’Abdelmadjid Chikhi compte remettre au président Tebboune, vraisemblablement juste après son retour d’Allemagne où il vient de subir une intervention chirurgicale.
C’est surtout dans les milieux harkis et pieds noirs que les réactions les plus virulentes ont suivi la diffusion du rapport de près de 150 pages contenant 25 propositions émises par «l’historien de réconciliation». «Après la remise du rapport commandé à Benjamin Stora sur la colonisation et la guerre d’indépendance de l’Algérie, la Présidence française n’envisagerait que quelques actes symboliques ! Ce n’est, certes, pas une telle déclaration qui va rendre plus sereines les relations économiques, culturelles et de bon voisinage entre les deux pays», écrit un de ces derniers, connu pour son animosité viscérale envers les Algériens.
«Ce n’est, certes, pas son discours (discours d’Abdelmadjid Tebboune, ndlr) de ce 8 mai 2020 qui permettra un apaisement mémoriel, alors qu’il ne s’agit que d’un tissu de mensonges», maugrée l’auteur du pamphlet qui fait allusion aux propos du Président algérien sur «la répression sanglante et sauvage de la colonisation abjecte» qui, avait-il dit, «demeurera une marque d’infamie collée au front du colonisateur qui a commis, 132 années durant, des crimes imprescriptibles à l’encontre de notre peuple, car le nombre de victimes a dépassé 5 millions et demi de personnes de tous âges confondus, soit plus de la moitié des habitants de l’Algérie sous l’occupation coloniale».
Les nostalgiques de l’Algérie française arguent que, «tout d’abord, [le] fameux canon Baba Merzoug qui a été volé lors de la conquête au Fort l’Empereur, sur les hauteurs d’Alger, appartenait aux Turcs» et pas aux Algériens, donc. Usant d’un sarcasme funeste, l’auteur de l’article décrète, en parlant des «restes humains» (les crânes des résistants algériens longtemps entreposés dans un musée français, ndlr), que «ce ne sont pas les ossements qui nous font défaut, il y en a des millions dans nos catacombes».
Les anciens colons aigris enragent à l’idée qu’une stèle dédiée à l’Emir Abd El-Kader soit érigée à Amboise où il fut détenu. «De qui se moque-t-on, Stora ?» rouspètent-ils, en avouant qu’ils n’ont pas encore digéré qu’une place ait été baptisée au nom de Maurice Audin, qualifié de «traître» qui «avait collaboré avec nos ennemis».
Quant à commémorer la date du 17 Octobre 1961, cela relève du «summum de la méconnaissance de l’histoire», selon eux. «Non, Stora, il s’agissait d’une manifestation interdite, organisée par le FLN avec la participation de militants du FLN, nos ennemis à l’époque, et non pas de braves travailleurs algériens», protestent-ils, en accusant l’historien français de «ne rien connaître de la répression de cette manifestation». Pour eux, il n’y a pas eu de «200 Arabes jetés dans la Seine et des milliers de blessés» qui n’existeraient que «dans le livre de fiction du communiste Jean-Luc Einaudi, publié plusieurs années plus tard».
Les attaques n’épargnent pas non plus les avocats Gisèle Halimi, Jacques Vergès et Ali Boumendjel.
H. A.
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