Rapport alarmant de la Banque mondiale sur la situation économique en Algérie
Contribution du Dr Abderrahmane Mebtoul – Espérons, comme annoncé, un retour rapide au pays du président de la République, pour paraphraser les experts militaires, afin de remettre de l’ordre, non d’une manière autoritaire mais par la concertation et des mécanismes démocratiques, car la situation en ce mois de janvier 2021 est inquiétante. Comme en médecine, les deux principales maladies du corps social, qu’il s’agit de diagnostiquer pour y remédier, sont l’inflation et le chômage résultant de la décroissance du PIB.
Or, alors que les tensions géostratégiques au niveau de la région mobilisent l’ANP et les forces de sécurité (voir l’intervention du chef d’état-major de l’ANP en date du 19 janvier 2021), à la place de s’attaquer aux problèmes essentiels, au plus haut niveau du gouvernement, au lieu de s’attaquer à l’essentiel dont la cohérence de la politique gouvernementale pour faire face à la grave crise économique et sociale avec les incidences négatives de la baisse des recettes des hydrocarbures sur tous les indicateurs économiques et sociaux, on polémique, avec des discours contradictoires, donnant une image négative au niveau national et international comme si l’importation de voitures était la principale préoccupation.
Il ne faut pas vivre d’illusions. Certains responsables semblent oublier qu’il n’existe pas de situation statique, que toute nation qui n’avance pas recule en ce monde turbulent et instable, avec le risque du retour au FMI courant 2022, ce qu’aucun patriote ne souhaite, qui aura des incidences économiques, sociales et sur les réformes politiques à venir.
Pour la Banque mondiale, dans son rapport du 21 janvier 2021, le taux de croissance prévu en 2021 serait de +3,8%, 2,1% en 2022 contre -6,5%, en 2020. Comme conséquence, le Produit intérieur brut par habitant est passé de 4 077 dollars en 2017 à 4 120 dollars en 2018, à 3 942 dollars en 2019 et 3 232 en 2020, à 3 323 dollars en 2021 et à 3 534 dollars en 2022, donc une détérioration du pouvoir d’achat, encore que le PIB par tête d’habitant voile d’importantes disparités par couches sociales et que le taux de 3,8% prévu en 2021 s’applique à un taux négatif précédent, donnant en termes réel, s’il se réalise, entre 0 et 1%.
La croissance est ralentie par la baisse des recettes des hydrocarbures, qui constitue sa principale entrée en devises, ne devant pas faire d’illusions d’un cours supérieur à 80 dollars le baril où, selon le FMI, pour les lois de finances 2020-2021, l’Algérie fonctionne à un cours supérieur à 100 dollars expliquant l’important déficit budgétaire.
En effet, le PLF 2021 prévoit les dépenses budgétaires (dépenses de fonctionnement et d’équipement) qui se situent à environ 64,98 milliards de dollars au cours de 128 DA/1 dollar au moment de l’établissement de la loi tandis que les recettes fiscales globales (ordinaires et pétrolières) sont estimées à 41,62 milliards de dollars, soit un déficit budgétaire record de plus de 21,75 milliards de dollars contre, à la clôture 2020, de 18,60 milliards de dollars avec un déficit global du Trésor de 28,26 milliards de dollars, soit 17,6% du PIB.
Aussi ces indicateurs sont-ils fonction des déterminants du cours des hydrocarbures où le cours actuel du Brent, le 23 janvier 2021, est volatil, les investisseurs se montrant préoccupés par les signaux, même faibles, d’un retour du Covid-19 en Chine et avec plus d’intensité aux Etats-Unis et en Europe est de 54,09 dollars le Brent (45,27 euros) et 51,99 le Wit (42,72 euros). Le niveau du cours actuel s’explique par plusieurs raisons et sera fonction de la maîtrise de l’épidémie du coronavirus et, donc, du retour à la croissance de l’économie mondiale mais également du nouveau modèle de consommation énergétique au niveau mondial en grandes mutations entre 2021/2030 avec un mix énergétique (voir notre interview à la radio publique Chaîne I, le 20 janvier 2021 sur le bilan de Sonatrach 2020) :
– une légère reprise de l’économie mondiale, suscitée par le vaccin contre l’épidémie du coronavirus mais, selon le FMI, le niveau de croissance de 2019 ne sera pas atteint avant 2022 sous réserve de la maîtrise de l’épidémie et d’une entente commerciale entre l’occident et la Chine ;
– le nouveau plan de relance annoncé par le nouveau président américain d’environ 1 900 milliards de dollars dont une grande fraction sera consacrée aux énergies renouvelables et à l’efficacité énergétique, avec le retour des Etats-Unis à l’Accord sur le climat de Paris, préfigurant au niveau mondial une importante transition énergétique qui influera sur le prix des énergies fossiles classiques ;
– la reconduction de l’accord des pays de l’Opep, sous réserve du respect des quotas devant tenir compte de l’entrée sur le marché de la Libye ;
– des fluctuations des stocks américains ayant assisté à une baisse puis fin de la semaine à une hausse ;
– un léger ralentissement de la production de pétrole et gaz de schiste américain ;
– la baisse du cours du dollar par rapport à l’euro, étant passé de 1,10 dollar un euro à 1,2138 dollar le 22 janvier 2021, impactant le cours entre 10/15%.
Pour l’Algérie, l’on devra tenir compte que 33% des recettes en devises proviennent du gaz naturel, une baisse de plus de 70% en référence à 2008/2010, le cours au 23 janvier 2020 étant de 2,52 dollars le MBTU, couvrant à peine les coûts de production de l’Algérie.
Fin 2020, selon le rapport du ministère de l’Energie de janvier 2021, le chiffre d’affaires de Sonatrach, non inclus les dérivés, à ne pas confondre avec le profit net, devant retirer les coûts, a été fin 2020 de 20 milliards de dollars, comme je l’ai annoncé il y a trois mois (voir www.google.com), avec une forte baisse en volume physique (moins 11%), les cours de pétrole ayant baissé à 42 dollars le baril en 2020 (la BM donnant un chiffre différent) contre 64 dollars en 2019, et non pas de 24 milliards de dollars comme annoncé par certains responsables du secteur, la différence étant énorme (4 milliards de dollars), montrant une non-maîtrise de la gestion faute d’une information fiable.
Cette baisse des revenus de l’Etat, pour un montant de 1 853 milliards de dinars de fiscalité pétrolière versé au Trésor public durant l’année 2020, en baisse de 31% par rapport au montant de 2019, est, certes, imputable à l’épidémie du coronavirus, pour 70/80%) mais également à la gestion interne de Sonatrach pour 20/30%, expliquant l’audit exigé par le président de la république il y a plus de quatre mois de cela. L’économie algérienne extériorisée via la rente de hydrocarbures induit forcément, combinée avec la dévaluation du dinar où la dépréciation a connu un taux d’environ 30% entre 2019/2021, le cours étant le 21 janvier 2021 à 132,92 DA/1 dollar et 160, 90 DA/1 euro, une inflation importante pour tous les produits importés, biens de consommation, biens intermédiaires et équipements, l’ONS et la baisse des réserves de change qui tiennent la cotation du dinar officiel à plus de 70%.
En cas de baisse drastique des réserves de change à 12/15 milliards de dollars, la Banque d’Algérie sera contrainte de dévaluer le dinar officiel à environ 200/220 DA/1 euro fin 2021 et non 2023, comme prévu par le gouvernement, avec une envolée du cours sur le marché parallèle qui fluctue en fonction du taux d’inflation avec une projection début 2023 d’environ 300 DA/1 euro, en cas de la non-dynamisation des exportations hors hydrocarbures. Si l’on s’en tient au rapport de la Banque mondiale de janvier 2021, le secteur des hydrocarbures représente 94% de ses exportations de produits, 98% avec les dérivés et 40% de ses recettes budgétaires, alors que l’équilibre budgétaire en Algérie est estimé à 106,3 dollars entre 2020-2021, alors que le prix moyen d’exportation a été 70,5 dollars en 2018 ; 64,2 dollars en 2019 ; 42 dollars en 2021, la BM prévoyant 48 dollars en 2022. Les revenus des hydrocarbures passeront de 13,1% du PIB en 2019 à 9,5% du PIB en 2020 et pour les neuf premiers mois de 2020, l’on a assisté à une baisse de 10,1% de la production, les prix du Sahara Blend ayant chuté de 39,4%.
Les réserves de change pour la BM, contredisant les prévisions du PLF 2021 pour 2021/2013, 19,2 mois d’importations en 2017 ; 15,5 mois en 2018 ; 13,6 en 2019 ; 13,6 en 2020 ; 5,7 mois d’importation en 2021 et 3 mois d’importation en 2022 (donc selon ces prévisions, une cessation de paiement courant le premier semestre 2022, malgré toutes les restrictions des importations en 2020 ayant paralysé tout l’appareil de production).
Des mesures strictement monétaires, pour l’Algérie, contredisent les lois élémentaires de l’économie où toute dévaluation en principe devrait dynamiser les exportations. Or, entre 1970-2020, où le cours du dinar est passé de 5 DA/1 dollar en 1970 à 132 DA/1 dollar le 22 janvier 2021, environ 98% des exportations proviennent toujours des hydrocarbures en incluant les dérivés, montrant que le blocage est d’ordre systémique. La résultante du faible taux de croissance tirée directement et indirectement par la dépense publique via la rente qui irrigue tous les secteurs à environ 80% (cela peut se calculer par l’inversion de la matrice, triangulation de la table des échanges interindustriels) entraîne avec la pression démographique plus de 44 millions en 2020 avec une population active approchant 13 millions, plus 50 millions d’habitants en 2030, un fort taux de chômage, environ 15% en 2020, tenant compte des emplois précaires et dans l’informel, assistant à la tertiarisation de l’emploi à faible valeur ajoutée, où l’on devra créer entre 350 000/400 000 emplois par an, non par décret qui s’ajoute aux taux de chômage actuel.
Cependant, soyons réalistes, loin de toute démagogie destructrice de certains discours, l’Algérie dépendra encore pour longtemps des hydrocarbures pour ses recettes en devises, d’où l’urgence de profondes réformes structurelles. Cependant, évitons toute sinistrose, l’espoir faisant vivre, comme dit l’adage.
L’Algérie, acteur stratégique de la stabilité de la région méditerranéenne, a toutes les potentialités de surmonter la crise actuelle sous réserve de la réforme en profondeur de son système politique et économique, d’une vision stratégique de développement hors hydrocarbures, la stabilité juridique et monétaire, une lutte contre la mauvaise gestion et la corruption dans le cadre d’une libéralisation maîtrisée dans le cadre des valeurs internationales, parallèlement à la levée des entraves bureaucratiques, un nouveau management et transparence de la gestion de Sonatrach, lieu de production de la rente, la refonte du foncier, l’adaptation du système socioéducatif, la réforme du système financier dans son ensemble, lieu de distribution de la rente pour éviter les pratiques occultes du passé et l’intégration de la sphère informelle, 33% de la masse monétaire en circulation plus de 40% de l’emploi et de l’activité économique par des mécanismes économiques et non par des actions bureaucratiques.
A. M.
Professeur des universités, expert international
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