Rapport Stora sur la Guerre d’Algérie : j’accuse la France seule coupable !
Contribution de Khaled Boulaziz et Kaerdin Zerrouati – «Je témoigne que la manifestation du 8 mai était pacifique. Cela s’est terminé par des dizaines de milliers de victimes. A Guelma, ma mère a perdu la mémoire (…). On voyait des cadavres partout dans les rues. La répression était aveugle ; c’était un grand massacre.» (Kateb Yacine). La montagne a accouché d’une souris. Le rapport publié par Benjamin Stora (1) est une insulte au peuple algérien en premier et une forfaiture, en second, contre la probité intellectuelle humaine.
Peut-on dans un texte de 148 pages résumer la souffrance de toute une nation et son long combat pour sortir de la nuit coloniale ? A titre d’exemple, le rapport compilé suite au procès de Nuremberg sur les crimes nazis durant la Seconde Guerre mondiale (1939-1945) totalise 20 000 pages étalées sur 200 volumes. Il fut le fruit d’un travail d’une équipe de plusieurs centaines de personnes, étalé sur cinq ans (2). C’est dire et illustrer la probité et le sérieux dictés par l’histoire pour démonter les responsabilités liées aux préjudices et souffrances subies par les différentes populations au cours de ce conflit meurtrier.
Sur les vingt-deux recommandations contenues dans le rapport de Stora, deux relèvent d’une distorsion flagrante due au fait communautaire, dont l’auteur ne peut s’émanciper : Gisèle Halimi peut prétendre à une place Panthéon, pas pour les raisons que Benjamin Stora avance mais pour le droit à l’avortement, l’abolition de la peine de mort, la dépénalisation de l’homosexualité, issues qu’elle a défendues contre vents et marées ; les vérités sur les massacres d’Oran doivent être dites, mais les vraies. Sur ce plan, Stora pointe une culpabilité type Shoah. A chacun sa vérité et la nôtre est aux antipodes de celle prônée par le rapport (3).
D’autre part, libre à Benjamin Stora et à la France de définir la mission cherchée par ce rapport. Pour la nation algérienne, cette mission ne doit avoir qu’un seul objectif : établir l’entière responsabilité de l’Etat français dans le terrible drame de la colonisation. Pour cela, il ne faut s’en tenir qu’aux faits historiques afin de surgir : sa culpabilité criminelle, politique et morale dans cette tragédie.
Chaque génération, sans doute, se croit destinée à reconstruire le monde. La présente est devant un double défi : mener l’éveil national à bon port en donnant de véritables structures civiles au pouvoir algérien et mettre à genoux les nostalgiques des biens-faits de la colonisation. Elle sait pourtant qu’elle ne peut compter que sur elle-même. En sachant que cette tâche est aussi grande et sacrée que celle qui fut dévolue à ceux qui ont payé le prix fort pour libérer cette nation.
Héritière d’une histoire millénaire où se mêlèrent révolutions, conquêtes, empires devenus histoire, cultes morts et idéologies exténuées, où de médiocres pouvoirs ont régné jusqu’à leur destruction sans parvenir à la subjuguer, c’est avec abnégation, loin de toute haine, oppression, que chaque génération a pu, en elle-même et autour d’elle, restaurer à partir de ses seules négations un peu de ce qui fait la dignité de vivre et de mourir sur cette terre.
Devant tant de dangers internes et externes, où les élites des ténèbres de ce monde risquent d’établir pour toujours les royaumes de la mort, cette génération sait qu’elle doit, dans une sorte de course folle contre la montre, restaurer entre ses enfants une paix qui ne soit pas celle de la servitude, réconcilier à nouveau travail et culture et refaire avec tous les Algériens une arche d’alliance.
Il n’est pas sûr qu’elle puisse accomplir cette tâche immense, mais il est certain que, dans chaque cœur algérien qui bat, elle tient déjà son double pari de vérité et de liberté.
Mais, devant ces immenses défis, cette génération appréhende aussi avec circonspection cette mission de recherche mémorielle dans le fait de voir l’autre partie se référer à une vision française, dans une démarche et dans un esprit qui seront en porte-à-faux avec ceux de la Déclaration du 1er Novembre 1954.
Chaque nation cultive une mystique qui explique sa résilience dans le temps.
A ce jour, la France savante reste perplexe devant un fait inexplicable : l’âme algérienne a résisté aux sirènes françaises tout au long de l’occupation. C’est cette distance morale qui empêcha la France de neutraliser l’ensemble des forces collectives qui ont constitué le fer de lance de la farouche résistance algérienne.
Dans un pays comme l’Algérie – où tout est jeune – tous les mots doivent garder leur vertu. En particulier, le mot «mémoire» ne doit pas signifier n’importe quoi, mais désigner un thème précis en rapport avec la terrible guerre et le grand génocide perpétré par la France depuis l’invasion de 1830. Sous peine de voir surgir de nos rangs des obnubilés louant dans notre pays les bienfaits du colonialisme. Car la pensée révisionniste est en marche en Algérie en épousant, partout, les formes qui lui permettent de violer les jeunes consciences.
Le seul moyen de lui faire barrage, c’est de documenter d’une manière sérieuse, précise et une fois pour toutes la responsabilité totale de la République française dans le drame de la colonisation en Algérie.
Cela n’est possible que dans la mesure où la nation sera elle-même dégagée des équivoques historiques dans lesquelles un abus de langage voudrait l’envelopper. Ces équivoques ont été prévues justement pour faire glisser le peuple algérien dans l’absurde et le doute.
K. B./K. Z.
(1) https://www.elysee.fr/admin/upload/default/0001/09/0586b6b0ef1c2fc2540589c6d56a1ae63a65d97c.pdf
(2) https://cdn.southampton.ac.uk/assets/imported/transforms/content-block/UsefulDownloads_Download/04209220A59C4637BD99A01BBE94E78B/MS200.pdf
(3) https://www.cambridge.org/core/journals/comparative-studies-in-society-and-history/article/abs/jewish-riot-against-muslims-the-polemics-of-history-in-late-colonial-algeria/D9D5882B1F46AC8116662944C83F93FC
Comment (23)